vous vous habituez aux discours de rejet de l’autre !


article de la rubrique droits de l’Homme > les grandes déclarations
date de publication : samedi 24 juillet 2021
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Entretien avec Alain Chouraqui, directeur de recherche émérite au CNRS et président de la fondation du Camp des Milles.


A l’occasion de la journée nationale, le Camp des Milles a célébré dimanche 18-07-2021, la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’état français, et a rendu hommage aux Justes de France.

Entretien avec Alain Chouraqui, directeur de recherche émérite au CNRS et président de la fondation du Camp des Milles. [1]

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"Vous exhortez à résister à tous les discours porteurs du pire. Que nous enseigne la progression de ces discours décomplexés ?

L’ensemble des résultats qualitatifs et quantitatifs que nous analysons, conduit à considérer que la démocratie est sur une ligne de crête. C’est-à-dire que nous vivons une situation où s’équilibrent peu ou prou des tendances anti-démocratiques et des tendances qui soutiennent la démocratie. Il faut donc être vigilant à chaque pas que l’on fait, ou que l’on ne fait pas. Tout cela nous alerte, et dans une cérémonie comme aujourd’hui, après avoir entendu le nom de tous ces enfants déportés, et des martyrs d’Oradour, il était impossible de ne pas ressentir un mélange de tristesse, de colère, et de détermination.

Vous insistez notamment sur l’importance de n’être ni « convivial » ni « complaisant » avec ceux qui participent à ce retour des engrenages qui menacent la démocratie. Quels sont les dangers d’une banalisation de la pensée identitaire ?

Avant même la complaisance, nous voyons que la société s’habitue à des discours de discrimination, de rejet de l’autre et de stigmatisation. Le constat est là : la thématique identitaire envahit les coeurs et les esprits, et conduit à des indulgences, à des laisser-faire ou à des complaisances qui peuvent mener très loin, car elles affaiblissent d’autant les résistances possibles et la lucidité sur l’engrenage vers le pire. Cet engrenage est un processus dont chaque étape prépare et habitue à la phase suivante, et se nourrit de l’extrêmisme identitaire, c’est-à-dire cette manière de penser en « eux et nous », et rapidement en « eux contre nous ». Ce carburant puissant représente un danger quand la question identitaire avale tous les autres sujets. Nos analyses pluridisciplinaires montrent que nous nous situons au milieu du processus qui historiquement va du « racisme ordinaire » aux régimes autoritaires voire à la possibilité de crimes de masse.

Vous avez évoqué dans votre discours des « vérités malmenées ». Comment réagissez-vous face au confusionnisme dont témoignent les anti-vaccins qui convoquent des références à la Shoah, ou s’affublent d’étoiles jaunes ?

Je suis très choqué de ces comparaisons qui sont pour moi des excès injustifiés. On a tout-à-fait le droit d’être contre les vaccins ou certaines lois. Y-a-t-il besoin pour s’opposer à une mesure, de convoquer le pire de l’humanité ? A-t-on effectivement perdu toute culture pour oser parler de dictature, à cause d’une mesure imposée par le pouvoir ? Si la mesure est imposée, on a le droit de la contester mais quel besoin de parler de dictature ou de génocide ? Les mots ont un sens. Un génocide est l’extermination délibérée d’un peuple entier, hommes, femmes et enfants. Ce qui m’inquiète, c’est que le jour où il y aurait un vrai crime de masse ou une véritable dictature, on se sera habitué à ces mots là. Cela banalise les pires horreurs et facilite le travail de ceux qui voudraient recommencer. Il faut raison garder : quand les mots deviennent fous, les hommes deviennent fous."

Notes

[1BENJAMIN GRINDA /CAMP DES MILLES /

[2Photo Louise Gamichon


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