une triste initiative


article de la rubrique peine de mort > en France
date de publication : jeudi 13 mai 2004
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La proposition de loi déposée par 47 députés de l’Assemblée nationale demandant le rétablissement de la peine de mort pour les auteurs d’attentats terroristes est vaine, dangereuse et choquante.

[Le Monde daté du 11 mai 2004.]


Vaine parce que la France est membre de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, qui, tous deux, exigent l’abolition de la peine capitale comme condition d’adhésion. Rétablir la peine de mort supposerait que la France dénonce la Convention européenne des droits de l’homme (dont elle a ratifié le protocole 6, qui interdit la peine de mort en temps de paix) et se mette au ban de l’Europe. La Charte européenne des droits fondamentaux de l’UE stipule dans son article 2 : "Nul ne peut être condamné à mort ni exécuté."

Dangereuse car on ne lutte pas ainsi contre le terrorisme. Pourquoi les autorités espagnoles n’ont-elles jamais requis la peine de mort pour les dirigeants politiques de l’ETA ni la Grande-Bretagne contre les terroristes de l’IRA ? Pourquoi l’une des victimes d’attentats terroristes en France, Françoise Rudetski, s’est-elle toujours élevée contre les velléités de vengeance que représente la peine de mort ? Toutes les grandes démocraties savent que l’on ne combat pas la terreur par la terreur, le terrorisme par le crime légal. Pourquoi ? Parce que la peine de mort ne dissuaderait nullement des commanditaires de tels actes ni leurs exécutants de fomenter de tels crimes. Parce que de tels fous cherchent la mort, sous toutes ses formes, pour eux-mêmes comme pour autrui, et que plus redoutable serait pour eux la peine de rester vivants.

Les propos du terroriste indonésien Amrozi Bin Nurhasyim, le "kamikaze souriant", impliqué dans l’attentat de Bali, qui criait "Victoire !" au prononcé de sa condamnation à mort en août 2003, disaient cette vanité de la peine capitale, surtout pour les plus grands criminels. Enfin, l’exécution de tels criminels les transformerait en martyrs de leur cause eschatologique, suscitant la levée de nouveaux apprentis kamikazes et terroristes.

Choquante, l’initiative de ce groupuscule de démagogues tricolores l’est aussi : elle tranche avec la dignité dont le peuple espagnol a fait preuve depuis les horribles attentats de Madrid le 11 mars. Très peu d’élus ou de responsables ont demandé le rétablissement de la peine capitale en Espagne.

Est également inacceptable l’argument employé par ces députés, selon lequel, en temps de guerre, "la défense des Etats et des peuples doit primer sur toute autre considération" : quelles sont ces considérations sinon le respect des libertés fondamentales (conventions de Genève, liberté de la presse, abolition de la peine de mort...) qui doit s’imposer aux Etats, en toutes circonstances ?

Cette triste initiative présente peut-être un double mérite : nous rappeler que le 17 mars, devant la commission des droits de l’homme de l’ONU à Genève, la France, par la voix de son ministre de l’éducation nationale, a annoncé sa décision de ratifier dans les plus brefs délais le protocole 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe la peine de mort en toutes circonstances, même en temps de guerre, et le protocole 2 du pacte des droits civils et politiques de l’ONU, qui concerne aussi la peine capitale. La meilleure réponse à une telle initiative, heureusement marginale, serait que la France s’empresse de ratifier ces textes, comme l’ont déjà fait la plupart des grandes démocraties européennes, dont l’Espagne.

Autre rappel législatif : l’Assemblée nationale serait également inspirée de voter enfin la proposition de loi, déjà adoptée par le Sénat en 2002, instaurant une Journée nationale pour l’abolition universelle de la peine de mort.

Ces 47 nostalgiques d’une "justice qui tue" en seraient cois, mais la France achèverait ainsi définitivement sa conversion abolitionniste, commencée en 1981.


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