une société de surveillance ? l’état des droits de l’Homme en France, édition 2009


article de la rubrique droits de l’Homme > rapports
date de publication : samedi 11 avril 2009
version imprimable : imprimer


« Un an et demi après son élection, la “politique des droits de l’Homme” proclamée par Nicolas Sarkozy est en lambeaux », écrit Michel Tubiana. Ce petit livre, le Rapport 2009 de la LDH sur l’état des droits de l’Homme en France, donne une idée de l’ampleur des dégâts [1]. Il montre également que la défense de nos libertés repose sur la vigilance – quotidienne – de chacun d’entre nous.

A la suite d’une brève présentation de l’ouvrage, nous en reprenons un extrait où Michel Tubiana expose que « Le paradigme sécuritaire prend le pas sur celui des libertés ».


Puces, caméras, base de données et fichiers pullulent aujour-d’hui et s’interconnectent de plus en plus largement : dans une journée ordinaire de vie urbaine, chacun de nous est « tracé » au moins une dizaine de fois. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), elle-même, a alerté sur la mise en place d’une « société de la surveillance ».

A partir de besoins légitimes et d’apparence anodine (suivre le parcours scolaire des élèves, réguler le trafic urbain, etc.), le fichage global peut, dans toutes les prochaines années, mettre un outil extrêmement performant au service de la sélection, de la discrimination, de la stigmatisation des « déviants » et du contrôle sociale généralisé. D’autant que les politiques actuelles, sécuritaires, xénophobes, traqueuses de fraudeurs dans la « France d’en bas », ne cessent d’œuvrer en faveur d’un surcroît de surveillance. D’où la nécessaire critique de ce marché de dupes qu’est l’échange des libertés contre une protection illusoire.

Au cœur du combat contre les projets de fichiers gouvernementaux, la Ligue des droits de l’Homme dresse ici un tableau inquiétant de la situation en France, où le recul des libertés menace la vie privée, l’action militante, le travail social, les associations de défense des droits… Mais la mobilisation de la société civile peut faire reculer les gouvernements. Expliquer, alerter, mobiliser : la défense des libertés et de la vie privée appelle plus que jamais à la « vigilance citoyenne » et au débat démocratique le plus large.

Jean-Pierre Dubois, président de la LDH
Agnès Tricoire, membre du Bureau national de la LDH


Sommaire

  • Introduction. Crises et réveils civiques face à la « société de surveillance » (Jean-Pierre Dubois)
  • Surveiller et punir aujourd’hui, la nouvelle gestion des illégalismes (Jean Danet)
  • Surveiller les citoyens, partout et toujours (Jean-Claude Vitran)
  • Surveiller… ou faire peur ? Entraver l’exercice des droits, renforcer le contrôle social (Françoise Dumont et Danièle Lochak)
  • Stade de France, La Marseillaise sous surveillance (Pierre Tartakowsky)
  • Les outils de la surveillance globale. L’ère des miradors invisibles (Alain Weber)
  • Une Europe sous surveillance (Pierre Barge)
  • Roms en Europe, l’universalité des droits en question (Malik Salemkour)
  • Les droits de l’Homme dans le monde : une architecture à inventer (Michel Tubiana)
  • Chronologie de l’année 2008 (Gilles Manceron et François Nadiras)

Le paradigme sécuritaire prend le pas sur celui des libertés

par Michel Tubiana
président d’honneur de la LDH


De manière générale, les libertés individuelles et collectives sont tributaires d’une démarche sécuritaire de plus en plus coercitive. Du gouvernement suédois qui décide de mettre le Net sous écoute généralisée à la vidéosurveillance généralisée en Grande-Bretagne ou aux pouvoirs démesurés reconnus aux policiers français [2], l’Europe — et le reste du monde ne fait pas exception — est en train de renverser ses principes et ses valeurs. Les droits de l’Homme devraient être le fondement des sociétés démocratiques, fondement auquel on confronte les exigences en matière de sécurité. Le système se renverse, ce sont les droits de l’Homme que l’on confronte aux exigences sécuritaires. Ainsi a-t-on vu la Grande-Bretagne, à propos de l’extradition éventuelle d’un ressortissant tunisien d’Italie en Tunisie, venir soutenir cette extradition. Car, alors que la Cour européenne s’apprêtait à l’interdire en raison des risques de torture encourus, la Grande-Bretagne a fait plaider que le respect du droit à la vie des ressortissants européens à qui pourrait porter atteinte cet homme (article 2 de la Convention) primait sur l’interdiction de la torture (article 3) : d’où l’on peut en déduire que l’usage de la torture serait justifié pour préserver le droit à la vie...

C’est-à-dire que la norme s’inverse et que les libertés n’ont plus comme étendue que ce que les exigences sécuritaires de l’État veulent bien leur abandonner. Nous devons prendre conscience que nous ne sommes plus en présence d’un simple recul des libertés individuelles et collectives comme l’histoire en connut tant. Nous vivons un renversement des valeurs. Ce qui est ici en cause, c’est un changement de définition de la sûreté républicaine : alors que les hommes de 1789 la définissaient par la capacité et les droits des citoyens à résister au pouvoir de l’État, la conception actuelle qui s’y substitue peu à peu est totalement inverse, puisque c’est la sécurité de l’État qui devient l’étalon de nos libertés.

Ce changement n’est pas alimenté que par la peur du terrorisme ou la volonté de pouvoir des États. Il s’inscrit dans une tendance lourde qui s’enracine dans la complexité de nos sociétés, dans la crise sociale et économique et dans bien d’autres facteurs, y compris les évolutions techniques. Si celles-ci permettent de mieux communiquer, elles permettent aussi de mieux surveiller et, d’une certaine manière, justifient encore plus de contrôle, en raison précisément de leur complexité et de leur retentissement sur notre vie quotidienne. Et la réponse ne peut se cantonner à une simple posture défensive et dénonciatrice. On voit bien qu’elle ne suffit pas à emporter la conviction de nos concitoyens qui, ballottés entre images de violence, craintes sociales et peurs de toute nature, versent dans l’illusion d’un État détenteur de leurs libertés au nom de la protection de leur sécurité. Les individus sont alors dissous dans l’État par un redoutable signe d’égalité entre la raison et les intérêts d’État et l’intérêt des citoyens. On sait, dans l’histoire, ce qu’une telle confusion a d’erroné et surtout de mortifère pour les libertés et les droits. L’enjeu est, alors, non seulement de réaffirmer les principes fondamentaux, mais aussi de les articuler à ces nouveaux risques ou à leur nouvelle intensité, en s’appuyant sur deux absolus : la liberté est la règle, les restrictions aux libertés doivent rester l’exception ; chaque restriction aux libertés doit être justifiée et proportionnée à l’objectif recherché. C’est pourquoi la LDH a entamé une réflexion destinée non à refonder les droits de l’Homme, dont le socle est et doit rester intangible, mais à s’interroger sur leur articulation avec les exigences de nos sociétés.

Notes

[1Une société de surveillance ? L’Etat des droits de l’Homme en France, édition 2009 par la Ligue des droits de l’Homme - édition 2009, aux Editions La Découverte - Col. « Sur le vif », 10 €.

Vous pouvez commander ce livre auprès de la boutique de la Ligue des droits de l’Homme, tél. 01 56 55 51 04 ou laboutique@ldh-france.org.

[2La mise en commun des compétences de ces deux pays en vue de créer une sorte de “Guantanamo” à Calais paraît paraît particulièrement inquiétante. [Note de LDH-Toulon]


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP