une justice en quête de sens


article de la rubrique démocratie > sur le blog de Gilles Sainati
date de publication : dimanche 13 janvier 2013
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Après 2012, année des espoirs et de l’attente, Gilles Sainati se demande si 2013 sera celle du sens retrouvé de la justice dans notre démocratie.

Les urgences – l’indépendance du parquet, le traitement des « affaires », l’accès à la justice au quotidien, la situation pénitentiaire – permettront-elles de remettre un peu de cohérence dans les rouages de la justice qui ont été désorganisés par le « rouleau compresseur néo-conservateur » ?


L’année 2012 fut l’année des espoirs et de l’attente, l’année 2013 sera-t-elle l’année du sens retrouvé de la justice dans notre démocratie ?

Le rouleau compresseur néo-conservateur a tellement désorganisé les rouages de la justice qu’il faudrait un chantier serein de plusieurs années pour redonner un peu de cohérence dans tout cela. Le temps politique est plus court.

Les dysfonctionnements deviennent tellement habituels qu’ils en deviennent naturels. Cette accoutumance à l’injustice fait dire à certains que la gauche a perdu cette bataille culturelle : nous sommes dans une société injuste et sécuritaire, on ne peut rien y faire ...Il faudrait chausser les bottes d’un Manuel Valls et se contenter de réformes à la marge. La difficulté est pourtant évidente : ces recettes « sarkoziennes » n’ont en rien amélioré la sécurité des Français, n’ont pas combattu efficacement le crime organisé, ni la corruption, par contre elles ont réduit continuellement les libertés du citoyen.

Là encore la confusion des esprits est totale, la droite veut toujours resservir le plat éventé du clivage entre les angélistes et les réalistes, ces derniers étant toujours adeptes de la solution la plus sécuritaire, et finalement la moins efficace. Bon nombre de commentateurs tombent dans ce panneau, certains consciemment, d’autres de manière moutonnière.

Il faudra le répéter inlassablement, l’autorité ce n’est pas l’autoritarisme, la sanction pénale ce n’est pas la répression aveugle ! La justice repose sur le frêle équilibre entre liberté, innocence et culpabilité démontrée après avoir été discutée.

Bâtir une politique pénale dans un unique but de répression est poursuivre un autre but que celui de la sécurité des Français ...

Enfin, il est assez navrant de constater que ceux qui préconisent la voie la plus répressive la choisissent par pure facilité, pour flatter un populisme facile.

Alors comment retrouver le sens d’une justice dans un pays ou se creusent les inégalités, ou la pauvreté gagne, où le vol prend des aspects alimentaires ? Il faudrait y consacrer un étude complète, ce qui va être trop court, mais l’on sait déjà quels sont les thèmes rémanents qui vont remplir l‘actualité judiciaire des prochains mois :

  • L’indépendance du parquet
  • Le traitement des « affaires » ( ces deux premiers thèmes sont bien sûr liés)
  • L’accès à la justice au quotidien
  • La situation pénitentiaire

1 – L’indépendance du parquet

La réforme promise de l’avis conforme du CSM pour nommer un magistrat de parquet permettra d’éviter les outrances des temps sarkoziens ou quasiment tous les magistrats du parquet nommés aux postes clefs avaient la particularité d’être nommés par l’exécutif en passant outre l’avis du CSM ...

Mais cette réforme suffira t-elle pour assurer l’indépendance du parquet et donc l’indépendance des poursuites pénales et de leur conduite ? L’indépendance du parquet est-elle d’ailleurs la seule condition pour garantir l’indépendance de la justice ? Que recouvre ce terme lorsque l’on réalise qu’une politique pénale est avant tout un choix politique gouvernemental ?

Autant de questions qui rendent incertain ce débat auquel doit s’ajouter une réflexion sur la chaîne hiérarchique qui pèse sur la police judiciaire qu’elle soit gendarmerie ou police nationale ... Des procureurs statutairement indépendants c’est bien, mais bien inutile si le rythme, l’orientation des investigations dépend de la place Beauvau. Aussi une reforme qui place au coeur de la République l’indépendance de la justice pénale doit prévoir un corps d’investigation rattaché à l‘autorité judiciaire ... Ne parlons pas de la justice anti-terroriste dont la spécificité la rend perméable aux désirs de la raison d’État.

Autant de questions qui rendent incertain ce débat auquel doit s’ajouter une réflexion sur la chaîne hiérarchique qui pèse sur la police judiciaire qu’elle soit gendarmerie ou police nationale...Des procureurs statutairement indépendants cela devient inutile si le rythme, l’orientation des investigations dépend de la place Beauvau. Aussi une réforme qui place au coeur de la République l’indépendance de la justice pénale doit prévoir un corps d’investigation rattaché à l‘autorité judiciaire ....A fortiori pour la justice anti-terroriste dont la spécificité la rend perméable aux désirs de la raison d’Etat.

2 – Le traitement des affaires sensibles

L’affaire Cahuzac réactive les discussions sur l’indépendance et les conditions de l’ouverture d’une enquête préliminaire ou de la saisine d’un juge d’instruction ... Le choix semble s’être porté vers une enquête préliminaire dans la grande tradition sarkozienne qui était d’éviter à tout prix la désignation d’un juge d’instruction au statut jugé trop indépendant ...

En réalité se joue ici la survivance d’un principe, le seul à notre sens, qui puisse conférer un brin d’indépendance et d’impartialité à toute poursuite pénale à l’encontre du commun des mortels ou des princes qui nous gouvernent. Il s’agit du principe du juge naturel.

L’idée est simple : ce n’est pas le pouvoir ou l’opportunité qui décide de la saisine ou de la compétence d’une juridiction, c’est la Loi sur des critères objectifs les mêmes pour tous et toutes.

Si une infraction s’est déroulée à Nevers, c’est le tribunal de Nevers qui sera compétent pour instruire et juger, et le juge du tribunal est désigné en fonction d’un tableau de roulement interne, immuable et public, prévu dans chaque juridiction.

Las, du fait d’une segmentation du travail judiciaire de plus en plus importante, aussi bien au civil qu’au pénal, ce principe se délite et surtout les règles qui président à ces nouvelles désignations de juges spécialisés sont de plus en plus fluctuantes.

Cette segmentation a abouti d’ailleurs à la création d’un juge des libertés et de la détention (JLD) qui, comme son nom l’indique, est là pour encadrer les détentions provisoires et toutes les atteintes aux libertés. Il est devenu un personnage central de la procédure pénal bien qu’il n’ait pas de statut ! C’est-à-dire qu’il est désigné par son supérieur hiérarchique (le Président du tribunal) et peut être révoqué ad nutum (du jour au lendemain) – ce qui s’est produit déjà quelques fois.

Cette situation a été maintes fois évoquée et il suffirait de conférer au JLD le même statut que celui du juge d’instruction.

Cette garantie ne nécessite pas une grande réforme de la procédure pénale mais constituerait une avancée dans l’application du principe d’égalité des citoyens devant la loi pénale qui implique que l’on ne choisisse pas son juge en fonction des circonstances.

3 – L’accès à la justice au quotidien

C’est évidemment la taxe de 35 euros qu’il faut abroger d’urgence. Mais la suppression de cette taxe scélérate ne suffira pas à ouvrir l’accès à la justice et l’accès au droit pour toutes et tous ... [1]

Comme j’ai déjà pu l’évoquer l’accès à la justice, l’accès aux droits, est nécessairement une politique culturelle au sein de la République [2].

L"accès aux droits doit être inclus dans des programmes d’instruction civique qui aient un sens mais aussi dans le cadre d’actions d’éducation populaire.

Faire vivre ces droits c’est souvent compenser le déséquilibre des parties, soit par l’accès gratuit à une défense de qualité et une réflexion doit être entamée sur la notion de service public de la défense pour aboutir à des propositions qui deviennent évidentes tant le travail de l’avocat commis d’office devient de plus en plus fragile actuellement. Mais c’est aussi instaurer dans notre droit l’action de groupe universelle qui aura pour conséquence de rétablir l’équilibre entre le citoyen et les monopoles économiques en tout genre. [3].

4 – La situation pénitentiaire

L’actualité récente concernant la prison des Baumettes a révélé l’état des prisons en France, tout comme il y a dix ans la situation de la prison de la Santé... Bref l’indignation c’est donc tous les dix ans !!!

Il n’y eut donc aucun progrès en dix ans malgré la construction de nouvelles prisons dans le cadre de la privatisation pénitentiaire dénommées programmes Partenariat Public Privés (cf rubrique “Désintox” de Cédric Mathiot dans Libération du 4 janvier 2013. La surpopulation carcérale a-t-elle augmenté « de manière considérable » sous Nicolas Sarkozy, comme le dénonce la garde des Sceaux ? ).

C’est que le problème tient au durcissement pénal qui est intervenu ces dix dernières années dont l’une des mesures les plus emblématiques a été les peines planchers....

Regroupée sous l’article 132-19-1 du code pénal, cette mesure qui prévoit des seuils minimum de peine d’emprisonnement alimente les prisons en peine ferme à exécuter. Sauf décision spécialement motivée du juge en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et des garanties de réinsertion, cette peine plancher doit être prononcée. Autant d’éléments d’information qui font défaut dans le cadre de procédures accélérées type comparution immédiate qui sont devenues le lot commun de tous les tribunaux correctionnels.

Avant les peines planchers, la récidive était déjà sanctionnée par une aggravation de la peine, il suffit là encore de revenir à une situation antérieure, mais en analysant précisément les conséquences perverses qu’a pu avoir une telle mesure (sujet sur lequel nous reviendrons). Citons-en une, l’augmentation du nombre de peines d’emprisonnement à aménager qui a induit le relèvement du seuil à deux ans de l’aménagement d’une peine d’emprisonnement par le juge de l’application des peines alors qu’aucun moyen supplémentaire n’a été accordé.

Bref, la situation de la justice dans notre pays devient paradoxale et inquiétante :

  • durcir les peines, les rendre automatiques pour devoir les aménager massivement de manière à éviter une explosion pénitentiaire,
  • prévoir un juge charger de garantir les libertés mais ne prévoir aucun statut d’indépendance de celui-ci,
  • négocier tous les ans une modique augmentation de l’aide juridictionnelle et maintenir la taxe 35 euros sans prévoir un service public pérenne de la défense,
  • adopter une politique de tolérance zéro pour les citoyens mais abandonner les services d’investigation économiques et financiers...

Cette perte de cohérence judiciaire conduit le plus souvent à une perte de sens pour le citoyen et mine le pacte républicain. Dépossédé de sa capacité à être sujet de droits dans un système judiciaire cohérent et rattaché aux valeurs de la République, le citoyen n’en est plus un.

Pour reprendre une phrase de Hannah ARENDT : « Priver un individu de ses droits fondamentaux, c’est d’abord le priver de la capacité du politique ».

Gilles Sainati



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