trois philosophes en garde à vue pour délit de solidarité, deux ex-“dangereux terroristes” maintenus en détention , un ex-préfet escroc grâcié...


article  communiqué de la LDH  de la rubrique justice - police > le tout-sécuritaire
date de publication : mercredi 24 décembre 2008
version imprimable : imprimer


Trois philosophes ont été arrêtés et placés dix heures en garde à vue à leur retour de Bamako, pour s’être déclarés solidaires d’un de leurs collègues qui protestait contre la reconduite à la frontière d’un Africain menotté, encadré par cinq policiers.

Julien Coupat, incarcéré depuis la mi-novembre dans l’enquête sur des dégradations de lignes SNCF, est maintenu en détention, alors que, selon son avocate, son « incrimination préventive [...] est bâtie sur du vent ». Hier, son amie, Yldune Levy, également incarcérée dans cette affaire, a également vu sa demande de remise en liberté rejetée, au motif qu’elle n’a pas encore été entendue par le juge d’instruction.

En revanche, Jean-Charles Marchiani, ex-préfet « escroc » du Var [1], bénéficie d’une grâce présidentielle qui lui permet de déposer une demande de libération conditionnelle.

[Publié le 23 déc 2008, complété le 24 décembre]

COMMUNIQUÉ LDH

Philosophes, sans-papiers et police aux frontières

Paris, le 23 décembre 2008

Après les « dangereux terroristes de Corrèze » devenus « personnes mises en cause mais présumées innocentes dans une affaire d’actes de malveillance vis-à-vis de la SNCF »…

Après les « collégiens présumés dealers » de Marciac sur lesquels des gendarmes avaient lâché un chien policier au milieu de leur classe…

Après le journaliste de Libération, accusé de diffamation par un marchand d’accès Internet, dont des policiers fouillent l’anus, l’ayant arrêté devant ses enfants à 6h30 du matin, pour vérifier disent-ils s’il n’y aurait pas caché de quoi se suicider…

Voici maintenant trois philosophes arrêtés et placés dix heures en garde à vue à leur retour de Bamako, parce qu’ils se sont, lors de leur vol aller, déclarés solidaires d’un de leurs collègues qui protestait contre une scène pourtant bien banale : un Africain menotté, encadré par cinq policiers, dangereux sans-papiers expulsé qui côtoyait des passagers libres sur un vol commercial d’Air France.

Le premier protestataire, directeur de programme au Collège international de philosophie, a été arraché de force de son siège, menotté lui aussi avec brutalité devant les autres passagers puis placé en garde à vue. Il risque cinq ans de prison et 18 000 euros d’amende pour délit de solidarité avec cet homme africain « reconduit » là où, dit-on en haut lieu, on est incapable de « s’élever vers le progrès ». Sauf bien sûr, en cas de condamnation, à ce qu’il bénéficie d’une grâce présidentielle comme Jean-Charles Marchiani – lequel, il est vrai, n’est pas précisément philosophe et avait sans doute commis des infractions beaucoup moins graves que nos « délinquants de la solidarité ».

Le thème du congrès de Kinshasa auxquels se rendaient les philosophes était « la culture du dialogue, les frontières et l’accueil des étrangers ». La Ligue des droits de l’Homme tient à saluer la contribution que les gouvernants actuels de la République viennent ainsi d’apporter aux travaux des congressistes : elle est à la hauteur de la considération qu’appellent leurs discours satisfaits sur « la France pays des droits de l’Homme ».

Les trois philosophes, Sophie Foch-Rémusat, Yves Cusset et Pierre Lauret, narrent leur mésaventure dans un papier de Libération daté du 24 décembre : Les philosophes, les sans-papiers et l’aéronef. Nous en reprenons la conclusion :

[...]

Ce qui frappe dans cette histoire, c’est la volonté de constituer un délit d’opinion. Nous avons seulement posé des questions, de manière calme et pacifique, sans jamais émettre ni slogan ni appel. Nous avons ainsi rendu visible et publique une situation qui a fait l’objet d’un débat d’opinion. Mais le seul fait de porter à la connaissance de l’opinion, et qu’elle s’en empare, l’action du gouvernement, est traité comme un grave délit. On vous avertit d’abord de tout ce que vous risquez, et si en dépit de cela vous vous exprimez en posant une question, on vous débarque, on vous brutalise, on vous place sans ménagement en garde à vue et on vous poursuit sur la base d’une qualification ubuesque des faits. Le gouvernement proclame la « légitimité » de ses lois et l’abus qu’il y a à s’insurger contre elles, mais il veille à ce qu’elles soient appliquées en catimini, et pour cela il est prêt à recourir à des sanctions et des brutalités extravagantes. Parce que son action suscite au fond la honte de tous, expulsés, citoyens, équipage, et même certains policiers, le gouvernement redoute l’opinion. Non pas celle qu’il peut manipuler par des fictions médiatiques et des fantasmes d’invasion, mais celle qui se forme publiquement et fait entendre sa voix, dans le débat, face à la réalité des situations humaines.

Ici, le dispositif d’expulsion des étrangers rencontre un problème : il est délicat d’expulser des Africains dans des avions remplis de passagers africains. Car ces derniers savent qui sont ces hommes qui voyagent en « classe prison ». Ils savent qu’ils ont quitté leur pays à cause de la misère, ou de la tyrannie, ou de la guerre. Ils savent le courage dont ils ont dû faire preuve pour arriver en France, puis pour s’y maintenir. Ils savent enfin la honte sociale qui frappe ceux qui sont contraints de rentrer, privés de tous leurs biens et n’osant plus se présenter à leurs proches. Cette opinion est partagée par de nombreux citoyens pour qui ceux qu’on appelle les « immigrés » sont des voisins, des camarades de travail, les copains de leurs enfants.

C’est cette opinion éclairée que le gouvernement veut museler, avec dans bien des cas la complicité active d’Air France. Il s’agit d’empêcher par tous les moyens qu’on puisse voir les immigrés pour ce qu’ils sont : des hommes et des femmes qui vivent une histoire à la fois tragique et courageuse dans ce monde que nous partageons - si mal - avec eux. Il s’agit de les expulser sans que nul ne se demande ce qu’ils ont vécu avant, et ce qui va leur arriver après. L’important est que les avions décollent à l’heure. Dans l’indifférence au sort de ces hommes entravés qui sont nos compagnons de voyage.

L’Etat français espère nous conduire à cette docilité en multipliant les inculpations et les sanctions, sans oublier de citer Guy Môquet au passage. Il peut parvenir à ses fins : après tout, on a vu pire dans l’histoire. Dès lors, c’est notre responsabilité politique et morale, à l’heure où la crise financière va lourdement aggraver la situation des pays pauvres et des migrants dans le monde, de nous opposer aux projets dégradants du gouvernement du « pays des droits de l’homme », au sein d’une Europe transformée en forteresse.

Sophie Foch-Rémusat, Yves Cusset et Pierre Lauret

Notes

[1« C’est un escroc ! » c’est ainsi que la procureure l’avait qualifié lors d’une de ses comparutions en justice en octobre 2005.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP