Selon Libération, Claude Guéant aurait déclaré :

« Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique ».

Et il aurait conclu : « En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation ».

On ignore si Claude Guéant s’est inspiré de la déclaration de Jules Ferry le 28 juillet 1885, devant l’Assemblée nationale [2] :

« Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. »

Mais il est clair que le ministre de l’Intérieur ignore le rétablissement de l’esclavage par Napoléon, le 20 mai 1802, lendemain du jour où il a créé l’Ordre de la Légion d’honneur. Qu’il méconnaît l’inhumanité avec laquelle la conquête de l’Algérie a été conduite – par des chefs militaires, Bugeaud, Canrobert, Damrémont, Pélissier, Saint-Arnaud ... dont les restes attendent ceux de Bigeard aux Invalides –. Qu’il n’a pas conscience des énormes massacres provoqués par les conquêtes coloniales.

Germaine Tillion a été confrontée à la barbarie, une barbarie qui s’est développée dans un monde qui se considérait comme civilisé, et qu’elle a vécue en déportation. Elle a d’abord pensé que c’était une exception allemande. Puis est venue la guerre d’Algérie et, dans la seconde version de Ravensbrück, l’illusion s’est dissipée :

« Qu’il existe des “races” féroces ou des “races” perverses m’a toujours paru absurde, même en 1945 – quand je dis “races”, j’entends des cultures voisines – mais il est vrai que certaines sociétés admettent certaines férocités, et entre 1939 et 1945, j’ai cédé comme beaucoup à la tentation de formuler des différences, des mises à part : “ils” ont fait ceci, “nous” ne le ferions pas... Aujourd’hui, je n’en pense plus un mot, et je suis convaincue au contraire qu’il n’existe pas un peuple qui soit à l’abri d’un désastre moral collectif. »

Germaine Tillion, Ravensbrück (1988) [3]

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Communiqué de la LDH

Deux questions à propos de Claude Guéant et des « civilisations »

Le ministre de l’Intérieur s’était jusqu’à présent limité à la stigmatisation des individus ou des origines. Chargé par Nicolas Sarkozy du rabattage des voix d’extrême droite, Claude Guéant vient de franchir une étape supplémentaire vers l’ignoble, dans les locaux de l’Assemblée nationale, devant des élus UMP et un groupuscule étudiant proche de la droite radicale.

Avec ses deux petites phrases « Nous devons protéger notre civilisation » et « je pense que toutes les civilisations ne se valent pas », assises sur un amalgame nauséeux entre « civilisations », « ethnies » et politiques gouvernementales, Claude Guéant exhume de son tombeau le débat sur l’identité nationale lancé par Nicolas Sarkozy et que la nation, justement, avait rejeté avec dégoût.

Plus encore, il légitime une hiérarchisation des civilisations entre elles, renouant avec les idées les plus sombres du siècle dernier. Provocation ultime, il le fait au nom de la devise républicaine, dont il trahit ainsi et la lettre, et l’esprit. Une telle escalade pour choquante qu’elle soit ne surprend pas la Ligue des droits de l’Homme, mais deux questions sont maintenant posées : Claude Guéant arrivera-t-il, dans une prochaine déclaration, à faire reculer les limites du supportable et sera-t-il toujours ministre de l’Intérieur lorsqu’il l’aura prononcée ? Car dans la plupart des pays d’Europe de tels propos seraient immédiatement suivis de la démission de leur auteur.

Paris, le 6 février 2012.