retrait par le ministère d’un questionnaire destiné aux élèves de CM2


article de la rubrique Big Brother > les “enquêtes” sur les jeunes
date de publication : samedi 24 mai 2008
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L’orientation de ce questionnaire avait été fortement contestée, notamment par les syndicats d’enseignants Se-UNSA et SNUipp-FSU des Pyrénées Atlantiques, rejoints par les parents d’élèves, CGT Educ Action 94... Ces protestations ont amené le ministère de l’Education nationale à le retirer.

« La veille citoyenne a payé » a déclaré Françoise Dalia, membre du collectif national des psychologues du SNUipp-FSU.
« Après le succès de l’opérationpas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans, nous pensions ne plus rencontrer ce type de questionnaire, mais dans l’Education Nationale ce n’est pas acquis ! »

[Après une première mise en ligne le 12 mai, cet article a été entièrement revu et complété le 24 mai 2008]

Le ministère de l’Education nationale a lancé en mai 2008 une enquête auprès d’une petite centaine d’écoles primaires. L’objectif était de mettre au point le dispositif qui sera utilisé en mai 2009 pour évaluer la maîtrise du langage et de la langue française des élèves en fin d’école primaire [1].

Le dossier est exposé sur Internet : http://www.everyoneweb.fr/lec.

Très vite, les syndicats d’enseignants Se-UNSA et SNUipp-FSU des Pyrénées Atlantiques, rejoints par les parents d’élèves, avaient fortement contesté les orientations de la dernière partie de l’enquête, constituée d’un questionnaire d’auto-évaluation.

Communiqué de presse du SNUipp-FSU 64 et du SE-UNSA 64

le 9 mai 2008

Un questionnaire pernicieux

En attendant des explications de l’Inspecteur d’académie des Pyrénées-atlantiques et du ministère, le Se-UNSA64 et le SNUipp-FSU64 appellent les collègues de CM2 concernés par les évaluations « bilan de fin d’école » en phase expérimentale à ne pas faire remplir la partie 4 par les élèves.

En effet, cette partie bafoue l’intimité familiale de l’enfant (« tu es né en France ou dans un autre pays »… idem pour les parents, « quelle langue parles-tu à la maison ?  » «  qui vit avec toi à la maison ? ta mère/ une autre femme tenant le rôle de ta mère » etc...), met en exergue des jugements de valeurs pernicieux empreints de moralisme (« en classe, je travaille parce que j’aurai honte de moi si je ne travaillais pas  »).

Les présupposés idéologiques du questionnaire posent problème tant dans la conception du rapport aux savoirs que dans la recherche des causes des difficultés scolaires. Leurs visions sont réductrices, orientées, erronées. De plus, l’enfant est toujours posé en situation de victime (des autres, du maître, des choix familiaux, du système…), une perception négative de l’école oriente le questionnaire tout du long («  je n’aime pas travailler dans le bruit  » « en classe je travaille parce que je n’ai pas envie que mon enseignant me crie dessus  »).

Un questionnaire qui, sous couvert d’objectivité, d’écoute de l’enfant et de pseudo scientifisme («  l’élève est considéré aujourd’hui comme un participant actif de son apprentissage scolaire  » «  en complémentarité à l’évaluation cognitive, l’objectif de ce questionnaire est d’interroger ces facteurs affectivo-motivationnels, appelés aussi dimension conative  »), soulève de nombreuses questions sur l’objectif réel ? Nouvelle étape scandaleuse dans le fichage des élèves ? Quelles utilisations futures (Concurrence entre écoles, évaluations des enseignants, suspicion sur les familles…) ?

Ce questionnaire, à l’image des stages de rattrapage, des nouveaux programmes, s’est fait en l’absence de toute concertation avec les délégués des personnels, les parents, les professionnels de l’école. Va-t-on vers la généralisation de ces méthodes ministérielles ? Des questionnaires similaires ont déjà été largement décriés : lors de la publication du rapport de l’INSERM sur les troubles des conduites des enfants, pour le retrait de certains champs de la base élève, et localement sur Pau pour la suspension du questionnaire du Programme de Réussite Educative. Aujourd’hui encore, on essaie de passer en force par un questionnaire établi en catimini et en passation réduite (88 circonscriptions éducation nationale seraient concernées avant une généralisation future ?), en jetant une fois de plus le discrédit sur l’école publique.

Au lieu de favoriser les relations éducatives au sein de l’école avec une politique d’éducation ambitieuse pour tous, l’implantation d’équipes pluri-professionnelles complètes (personnels Rased, psychologues, médecins scolaires, travailleurs sociaux, infirmières…) on veut faire croire que l’établissement de questionnaires remplace un travail de fond respectueux de l’enfant, de sa famille et des professionnels sur le terrain.

L’école de Monein fait partie de l’expérimentation. Une réunion publique s’y est tenue le 20 mai au cours de laquelle les 120 parents et élus présents ont pris connaissance du dossier, et notamment de la partie 4 — le questionnaire des enfants. La colère l’a vite emporté et les parents ont décidé d’assaillir le ministère par mail et par fax et d’informer les médias.

Voici le courrier que la Fcpe locale a diffusé :

Des enfants soumis à “la question”, à l’école, à l’insu de leurs parents !

A l’école primaire de Monein, charmante petite commune du Béarn, sont arrivées, dans un gros carton, les évaluations dites expérimentales, concernant les CM2. Rien que de très normal direz-vous. Sauf que, premier point surprenant, les dits documents, une fois complétés par les élèves devaient être retournés directement au ministère SANS QUE LES INSTITUTEURS LES AIENT CORRIGES. En outre, contrairement aux autres évaluations les parents n’avaient pas à prendre connaissance des évaluations de leur enfant... et pour cause ! Si les 3 premières parties sont somme toute assez anodines (y compris les fautes d’orthographe !) la partie 4 révèle bien des surprises !

Elle s’intitule : Partie 4 Questionnaire. On précise bien au bambin, qui a déjà fait auparavant 3 séries d’évaluations que “ici toutes tes réponses sont bonnes, il n’y a pas de mauvaises réponses”.
Et ça commence très fort avec des questions du type : "Es-tu né en France ?" "Ta mère est née en France ?" "Ton père est né en France" "Quelle langue parles- tu à la maison ?" "D’habitude qui vit avec toi à la maison ? a) ta mère b) une autre femme tenant le rôle de ta mère a) ton père b) un autre homme tenant le rôle de ton père"..........La ressemblance avec les questions qui figuraient sur la première mouture de BASE ELEVES n’est certainement pas fortuite. Viennent ensuite des questionnaires concernant
“Ce que je pense des devoirs à la maison” morceaux choisis : “à la maison j’ai vraiment l’impression de perdre mon temps” ou alors “je fais mes devoirs à la maison parce que j’aurais une mauvaise image de moi si je ne travaillais pas”
Egalement la rubrique “Ce que je pense de ce que je fais à l’école” avec des réponses comme “en classe je travaille parce que je n’ai pas envie que mon enseignant(e) me crie dessus”
Le questionnaire comporte 11 pages avec des questions QUI N’ONT RIEN À VOIR AVEC L’ÉVALUATION PÉDAGOGIQUE des petits CM2. De plus ces questions sont pernicieuses, retorses.

Quel est le but de ce questionnaire ? De quel droit le ministère de l’éducation fait-il remplir ces fiches qui interrogent sur la nationalité, les conditions de vie à la maison, sous prétexte d’évaluation pédagogique ?

Les parents ne sont pas informés de ce que l’on demande aux enfants. Sans l’attitude courageuse et civique des enseignants de l’école de Monein qui ont alerté les parents, cette opération dite “expérimentale” se serait déroulée dans le plus grand secret. L’utilisation, fourbe, de l’ingénuité des enfants qui n’ont pas d’autre choix que de répondre dans ce contexte scolaire, la volonté délibérée de ne pas informer les parents et de maintenir cette opération dans l’opacité, rappelle des pratiques totalitaires en cours dans d’autres lieux et dignes d’autres temps. Sans parler de la culpabilité que pourrait ressentir les enfants face à un tel interrogatoire.

Cette “expérimentation” touche ou va toucher certainement d’autres écoles mais elle se déroule dans la plus grande opacité. Il est de notre devoir à tous d’alerter parents, professionnels, élus et de dénoncer un scandaleux fichage des enfants.

Interrogé par le secrétaire départemental du SNUIPP 64 (syndicat majoritaire dans le premier degré), l’Inspecteur d’académie n’a pas souhaité répondre....

Dès le 22 mai, le ministère décidait de retirer la partie 4, comme en témoigne le courriel reçu par les écoles de l’expérimentation :

From : "BILAN-M2LF" <......@education.gouv.fr>
To : ........ <.........@education.gouv.fr>
Sent : Thursday, May 22, 2008 12:03 PM
Subject : évaluation-bilan des acquis des élèves de CM2 en maîtrise du
langage et de la langue française

Je vous demande expressément de ne pas faire remplir par les élèves la
partie n° 4 du cahier de l’élève "maîtrise de la langue et du langage" qui
vous est parvenu dans le cadre de l’expérimentation des outils de
l’évaluation citée en objet.

Merci de votre diligence.

D. V.
Directeur de l’évaluation, de la prospective et de la performance
Ministère de l’éducation nationale, de enseignement supérieur et de la recherche
65 rue Dutot
75015 Paris

Le département des Pyrénées-Atlantiques n’avait pas été le seul à protester contre ce questionnaire :

La CGT Educ’Action du Val de Marne dénonce un questionnaire

[Dépêches de l’Education du 19 mai 2008, avec AFP]

La CGT Educ’Action du Val-de-Marne a dénoncé lundi des évaluations expérimentales menées dans des classes de CM2 qui, outre une évaluation des acquis de l’élève en français, comportent un questionnaire relatif à la "vie privée" et à la "psychologie" des enfants.

Cette expérimentation, organisée dans différentes écoles publiques et privées en France dont quelques-unes dans le Val-de-Marne selon l’Inspection d’académie, vise à tester les futures évaluations annoncées en CM2 à partir de la rentrée 2009 par le ministère de l’Education.

Les futurs documents d’évaluation devraient être présentés lors d’un séminaire au ministère les 2 et 3 juin, selon la même source.

Les trois premières parties de cette évaluation sont destinées à mesurer les acquis des élèves en "lecture, outils de la langue et production écrite", selon le syndicat.

La quatrième, sous forme de questionnaire, demande à l’enfant de dire si ses parents sont nés en France, quelle est la langue parlée à la maison, avec qui il vit, ce qu’il pense de lui dans sa relation au travail scolaire. Des questions portent aussi sur la réputation de l’école, les relations entre adultes à l’école, s’il a été insulté ou agressé ou sur ses activités extra-scolaires.

Dans un communiqué, la CGT Educ’Action 94 dénonce le "manque total de pertinence pédagogique de l’association d’un test de mesure des acquis scolaires avec un test apparent de personnalité". [2]

"On sort complètement du champ scolaire", a dit à l’AFP Valérie Bouzignac, de la CGT Educ’Action 94, en dénonçant une expérimentation "faite en catimini" et avec "un mépris total pour les parents" qui ne sont "pas mis au courant".

"L’objectif est de produire l’évaluation la plus adaptée" avec la "remise en contexte des réponses" suivant la situation familiale des élèves et "pas de constituer une base", a expliqué l’Inspecteur d’académie Didier Jouault. "Plus l’évaluation sera fine, plus on pourra aider l’élève", a-t-il ajouté.

« La veille citoyenne a payé. » Mais il faut rester vigilant !

Notes

[1Référence : circulaire n° 2008-030 du 4 mars 2008, publiée page 23 du B.O. spécial Programme des opérations statistiques, n°2 du 20 mars 2008.

91A - Expérimentation d’un dispositif d’évaluation-bilan des compétences
des élèves en maîtrise de la langue et des langages en fin d’école primaire.
Finalité : test des outils construits préparant les évaluations bilans de 2009.
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edu....

[2La CGT Educ Action 94 et Académique attend toujours les réponses aux questions qu’elle a posées à l’Inspecteur d’académie : voir son autre communiqué.


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