quand Sarkozy visitait la province


article de la rubrique justice - police > le tout-sécuritaire
date de publication : lundi 16 juin 2014
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Les deux officiers de gendarmerie poursuivis pour détention arbitraire d’un syndicaliste SUD, lors de la visite dans l’Allier du président Sarkozy en 2010, ont été condamnés à quatre mois de prison avec sursis et 1.000 euros d’amende. Le syndicaliste Frédéric Le Marrec, considéré « comme un potentiel perturbateur » avait dû rester quatre heures à la brigade du Mayet-de-Montagne. Le procès des deux officiers s’était déroulé le 15 mai au tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand qui a rendu son délibéré 16 juin.

Cela donne une petite idée de l’atmosphère qui pouvait entourer certaines déplacements en province du président Nicolas Sarkozy.


Détention arbitraire d’un syndicaliste :
sursis requis contre deux gendarmes

par Manuel Armand, Le Monde.fr, le 16 mai 2014


La chronique d’une sorte de paranoïa sécuritaire autour d’un déplacement de Nicolas Sarkozy président. C’est ce qu’a établi, jeudi 15 mai, le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand. A la barre, deux gendarmes, le colonel Patrick Martzinek, 52 ans, et le capitaine Pierre Pouly, 57 ans, tous les deux soupçonnés d’acte attentatoire à la liberté individuelle. En novembre 2010, ils avaient donné l’ordre de retenir Frédéric Le Marrec, un militant syndical de SUD, à la brigade de gendarmerie du Mayet-de-Montagne, dans l’Allier, pour l’empêcher d’aller manifester lors de la visite du chef de l’Etat.

Or, selon la procureure Laure Lehugeur, le capitaine Pouly avait « une parfaite conscience que Le Marrec était retenu hors cadre judiciaire ». « Retenir quelqu’un au regard d’une menace à l’ordre public, ça n’existe pas, la loi ne le permet pas », a-t-elle ajouté à l’intention du colonel Martzinek. La magistrate a requis quatre mois de prison avec sursis et 1 000 euros d’amende contre les deux officiers.

Jeudi 25 novembre 2010, Nicolas Sarkozy effectue dans l’Allier une visite consacrée au monde agricole. Pas tout à fait un déplacement classique. A mi-mandat, le chef de l’Etat étrenne ses habits de futur candidat. « Il paraît que l’on va avoir une élection présidentielle. Je ne raconterai pas de fariboles aux Français », assène-t-il alors.

Les gendarmes sont, eux aussi, sur le pied de guerre. Au sens propre. Le colonel Martzinek, qui dirige la gendarmerie de l’Allier a conçu un long document intitulé « Conception de manœuvre ». Son objectif est clair : « empêcher tout manifestant de perturber la visite présidentielle  » et, pour cela, être « capable de déceler l’adversaire avant qu’il ne se dévoile et de l’interpeller immédiatement. » Et pas de juridisme. Ce qui prévaut, c’est « l’objectif de résultats », comme l’expliquera plus tard le colonel Martzinek devant le juge d’instruction. « Ces obligations venaient directement de l’Elysée. En cas de maintien de l’ordre, il fallait que ce soit fait hors de la vue du président et il fallait empêcher tout perturbateur de s’approcher de la personne du président. »

« Si à 9 h 30, il va pisser, il faut que j’entende la chasse »

Pour Me Jean-Louis Borie, avocat de Frédéric Le Marrec et de la Ligue des droits de l’homme, qui s’est également portée partie civile, les ressorts de l’affaire sont clairs. « Le dérapage de ce dossier découle des instructions données, qui étaient de protéger l’image du président de la République. » La veille du déplacement présidentiel, le préfet de l’Allier, Pierre Monzani, tient une ultime réunion. Un nom est évoqué. Celui de Frédéric Le Marrec. Cet éducateur spécialisé dans un foyer pour adolescent du Mayet-de-Montagne, 42 ans, est présenté par les gendarmes comme un « extrémiste de gauche ». « Si à 9 h 30, il va pisser, il faut que j’entende la chasse », aurait dit le préfet.

Au matin du 25 novembre, au prétexte qu’un drapeau de SUD Santé-Sociaux a été vu dans la voiture de Frédéric Le Marrec, le colonel Martzinek donne l’ordre au capitaine Pouly de l’« extraire », de l’amener à la brigade de gendarmerie du Mayet-de-Montagne sous prétexte d’un contrôle d’identité et de ne pas le « remettre dehors » tant que Nicolas Sarkozy ne sera pas reparti.

« En fait, c’est une interpellation déguisée, vous l’avez tous compris », explique le capitaine Pouly à ses hommes. Problème : le syndicaliste a avec lui sa carte d’identité et les gendarmes locaux voient clairement qu’ils n’ont pas de base légale pour retenir Frédéric Le Marrec. Face à ses hommes qui l’interrogent sur le cadre juridique de leur mission, le capitaine Pouly s’emporte. « Commencez pas à me parler du cadre, on le garde, on s’expliquera après », ordonne-t-il en se prévalant d’une directive du préfet. Il agite même la menace de la mutation. « Débrouillez-vous pour le garder sinon, vous verrez, Lille, c’est bien. » Finalement, Frédéric Le Marrec ne ressortira de la brigade de gendarmerie qu’à 13 h 45, après le décollage de l’hélicoptère de Nicolas Sarkozy.

« Le colonel a appliqué les consignes que je donnais »

Si le capitaine Pouly reconnaît le fait d’avoir donné l’ordre – « j’ai relayé les ordres », nuance-t-il – le colonel Martzinek est plus flottant et se défausse sur ses subordonnés. « J’avais l’ordre d’empêcher toute banderole et toute manifestation devant le président de la République », convient-il. « Je n’ai pas donné l’ordre d’arrêter Le Marrec », ajoute-t-il. Le préfet Monzani, lui, avait assumé ses responsabilités, comme l’a rappelé Me Borie. « Le colonel a appliqué les consignes que je donnais », explique le représentant de l’Etat le 10 décembre 2010, interrogé à la radio.

Et le préfet de s’énerver. « Je dis aux gauchistes qui essayent d’utiliser cet événement : vous n’y arriverez pas. Je vais vous parler de mon passé gaulliste. J’ai collé des affiches aussi, j’ai aussi passé du temps dans des postes de police. J’ai jamais déposé plainte. C’est la différences entre un gaulliste et un gauchiste. » Les avocats des deux gendarmes, Mes Gilles-Jean Portejoie et Jean-Louis Deschamps, ont plaidé l’absence « de l’acte matériel de coercition » et de « l’ordre caractérisé de rétention » et ont demandé la relaxe. Le jugement sera rendu le 16 juin.

Manuel Armand
Journaliste au Monde



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