pourquoi et comment s’opposer à base élèves ?


article de la rubrique Big Brother > base élèves
date de publication : lundi 11 juin 2007
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A la suite de la reproduction de la page “Identification” d’un élève dans Base élèves [1], vous trouverez ci-dessous des documents librement utilisables :

  • un tract informatif
  • des modèles de pétition (n’oubliez pas d’en adresser copies aux syndicats, DDEN, fédérations de parents d’élèves, associations, … à la CNIL, ... )

Ce petit dossier se termine par un article récemment paru dans la revue Nature&Progrès qui élargit le problème. Pour en savoir plus sur Base élèves, nous vous incitons à consulter cette page ; quant au fichage des enfants, nous lui consacrons une rubrique. Nous vous proposons d’autre part quelques éléments de réflexion sur le thème de la désobéissance à la loi, dans une démocratie.


Le texte ci-dessous n’a pas été modifié depuis août 2007. Vous tiendrez compte en le lisant de la suppression décidée en octobre 2007 par le ministre de l’Education nationale de toutes les mentions liées à la nationalité qui figuraient initialement dans Base élèves. [Note de LDH Toulon, en date du 25 mai 2008.]

La page “identification” d’un élève dans Base élèves.

POURQUOI S’OPPOSER A BASE ELEVES ?

Il est encore temps de réagir, bientôt ce sera trop tard…

La mise en place d’un fichier centralisé appelé Base élèves se généralise sur l’ensemble du pays.

Pour chaque élève, les mairies et/ou les directeurs d’école devront indiquer : les nom, prénom, date de naissance, profession des parents, adresse, téléphone, nationalité, date d’arrivée en France, langue et pays d’origine, absentéisme, cursus scolaire, redoublements, aides par le personnel spécialisé, évaluations, périscolaire, etc.

Toutes ces données seront nominatives au niveau de l’inspection départementale et académique. Un numéro identifiant national sera attribué à chaque enfant. Le fichier sera centralisé à Orléans. Des données seront partagées avec les mairies, certaines seront conservées 15 ans avant d’être archivées.

Jusqu’à présent, les renseignements sur les élèves restaient dans l’école. Toutes les données communiquées à l’extérieur de l’école pour les statistiques étaient anonymes. Enfin, toutes les aides apportées par le personnel spécialisé étaient strictement confidentielles et non consignées par écrit. Il n’y avait aucune centralisation. Les dossiers scolaires étaient remis aux familles.

L’accès à des données nominatives, par plusieurs instances consultatives, annule toute garantie de confidentialité. La « Loi de prévention de la délinquance » du 5 mars 2007 a inscrit le secret professionnel partagé entre les acteurs sociaux, les professionnels de la santé, les enseignants, les professionnels de la police, les magistrats et le maire de la commune (lui-même au centre du dispositif).

Par ailleurs, nous savons tous que la protection d’un fichier informatique est illusoire, dès lors qu’il est sur internet.

De nombreuses oppositions s’étant manifestées dans les départements où Base élèves a été expérimenté, le projet aurait dû être retiré. Dans cette phase de généralisation, il est donc important de montrer son opposition.

NOUS PARENTS,
REFUSONS LE FICHAGE DES MINEURS PAR L’ECOLE ET LA MAIRIE

Nous, parents d’élèves, refusons que des renseignements concernant nos enfants soient inscrits dans un fichier centralisé. Cela constituerait une grave atteinte aux libertés individuelles.
Nous dénonçons :

  • l’absence de garantie de protection des fichiers dès lors qu’ils sont sur internet
  • l’absence de confidentialité du fait de la possibilité d’accès à des données nominatives par plusieurs instances à l’échelon académique
  • l’impossibilité de se soustraire à ce fichage du fait de l’obligation scolaire
  • la durée de conservation de données personnelles (10 ans)

Aussi nous demandons à notre directeur-directrice d’école et à notre Maire de ne pas accepter le logiciel Base Elèves et de ne pas transmettre des fichiers école existants.
Nous demandons avec détermination à Monsieur l’Inspecteur d’Académie de retirer sa demande de fichage centralisé de nos enfants.

Copies à notre directeur-directrice d’école, à notre Maire, à l’Inspecteur d’Académie.
Par le collecteur du canton, copies aux fédérations de parents d’élèves, à la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés), à la Ligue des Droits de l’Homme

NOUS ENSEIGNANTS,
REFUSONS LE FICHAGE DES MINEURS PAR L’ECOLE ET LA MAIRIE

Nous, enseignants, refusons de renseigner le fichier Base élèves.
Nous tenons au respect de la vie privée de nos élèves et de leurs familles.
Nous ne voulons pas porter atteinte aux libertés individuelles et dénonçons :

  • la centralisation des données
  • l’absence de garantie de protection des fichiers dès lors qu’ils sont sur internet
  • l’absence de confidentialité du fait de la possibilité d’accès à des données nominatives par plusieurs instances à l’échelon académique
  • la rupture de confiance avec les familles qui en résulterait

Aussi nous demandons à notre Maire de ne pas accepter le logiciel Base Elèves, de ne pas transmettre des fichiers école existants.
Nous demandons à Monsieur l’Inspecteur d’Académie de retirer sa demande de fichage centralisé des élèves.

Copies aux représentants des parents d’élèves, à notre Maire, à l’IDEN, à l’Inspecteur d’Académie, aux syndicats enseignants SNUIPP, SNUDI-FO, PAS, SUD EDUCATION, SE,
au Ministre de l’Education Nationale, à la CNIL, à la Ligue des Droits de l’Homme

Le fichage dès l’enfance

Si tout se passe comme le prévoit le gouvernement, les enseignants et les éducateurs risquent de devenir, qu’ils le veuillent ou non, des acteurs de la pénalisation de la délinquance ! On marche sur la tête ou comment prendre un enfant par la main pour lui montrer le - droit - chemin...

par Isabelle Faure, Nature&Progrès - avril-mai 2007 - n°62

Françoise Dolto avait mis en place, en 1979, les Maisons Vertes, lieux de rencontres et de loisirs pour les tout-petits avec leurs parents, où les enfants venaient et rencontraient des amis afin de leur donner dès le plus jeune âge le désir de grandir et d’apprendre, ce désir étant la base structurante de l’éducation selon Dolto. Ces maisons fonctionnent encore aujourd’hui sur des règles simples, pour s’inscrire il suffit de noter sur un cahier le prénom et l’âge de l’enfant accueilli ainsi que le lien qui l’unit à son accompagnant. Pas de nom de famille ou de profession des parents, ainsi ceux-ci n’ont pas à assumer une position sociale et l’enfant n’est pas fiché administrativement.

Dolto insistait déjà sur l’importance d’une prévention précoce, mais elle était basée sur l’anonymat, la communication entre la mère et l’enfant encouragée par les accueillants, dans un lieu accessible à tous.

Je pense que Françoise Dolto se retournerait dans sa tombe si elle savait que la loi sur la prévention de la délinquance, adoptée par le Parlement le 22 février 2007, a été validée le 4 mars par le Conseil Constitutionnel ! Car cette loi concerne l’Education
Nationale dans deux de ses articles et comporte des dispositions inquiétantes pour le respect des libertés fondamentales et de la vie privée des élèves et de leur famille. Elle met en place « un Conseil pour les droits et devoirs des familles, présidé par le maire » (pas par la mère), « et comprenant des représentants de l’état et des collectivités territoriales, des personnes oeuvrant dans les domaines de l’administration sociale, sanitaire et éducative de l’insertion et de la prévention de la délinquance. Ce Conseil servira à informer une famille de ses droits et devoirs envers l’enfant et de lui adresser des recommandations destinées à prévenir des comportements susceptibles de mettre l’enfant en danger ou de causer des troubles pour autrui... Sa création est obligatoire dans les communes de plus de 10 000 habitants » (article 6, chapitre ler).

Il n’est plus question d’anonymat, l’école risque de devenir un lieu de traitement de la délinquance par la délation organisée entre tous les services sociaux : la mise en commun d’information ainsi que la culpabilisation des parents vont devenir la norme. Les maires sont-ils assez formés à la pratique de la réinsertion sociale et ne s’intéressent-ils pas davantage au maintien de l’ordre public ?

Où sont passées les valeurs éducatives et sociales de l’école fondées sur le dialogue, la confiance et l’ouverture aux autres ? Car un jeune délinquant qui se sait étiqueté n’est-il pas encore plus révolté et comment peut-il alors retrouver confiance dans une société qui le montre du doigt, lui et sa famille ? « Pendant que les médias nous abreuvent de chiffres manipulés sur ces jeunes, décrits comme des brutes sauvages, personne ne vient dire que ces monstres sont des enfants et des adolescents sensibles à l’écoute et à l’attention qu’on leur porte et qui, pour quelques irréductibles, vont payer un lourd tribut : l’avenir reste peu engageant pour ces jeunes, ciblés comme responsables de l’insécurité », souligne Brigitte Mortier, de Sud Santé Sociaux 66
 [2].

Beaucoup d’enseignants ne veulent pas devenir des rouages de la politique sécuritaire qui se met en place et plusieurs syndicats ont commencé à réagir dès l’annonce du projet de loi en proposant des journées d’action dont la manifestation du 18 novembre dernier à Paris. Certains refusent d’appliquer des dispositions contraires à leur éthique professionnelle d’autant qu’ils sont déjà sensibilisés par la mise en place expérimentale en janvier 2005 dans 21 départements d’un fichier informatisé centralisé baptisé « Base Elèves ler degré ». La généralisation sur tout le territoire de cette structure est prévue dès la rentrée 2007. De quoi s’agit-il ?

D’un simple logiciel d’aide à la gestion des élèves, au suivi des parcours scolaires et au pilotage académique et national, nous dit l’Education Nationale en ajoutant : « le plus par rapport à un logiciel classique est qu’il permet le partage des informations avec les mairies, l’Inspection Académique et le Rectorat ». En fait, de la maternelle au CM2, chaque élève sera fiché d’après trois pôles : base-élèves, base-écoles, base-personnel, et toutes les données familiales, sociales, scolaires et identitaires seront ainsi transmises par les directeurs d’école dans un fichier national accessible aux maires. Le suivi de l’expérimentation reste flou et les bilans périodiques ne sont pour l’instant pas édités. L’administration met en avant l’aide que ce système peut apporter aux directeurs d’école et pourtant plusieurs d’entre eux refusent de le renseigner estimant qu’il s’agit plutôt de l’introduction d’une logique de fichage statistique.

D’après Sud Education Pyrénées Orientales, département pilote de l’expérimentation, « on peut aussi se demander à qui la centralisation nationale de toutes ces données pourra t-elle servir ? De quelles estimations les administrations peuvent elles avoir besoin ? Statistiques sur les évaluations ? Les enfants en difficulté ? Des données sur l’immigration ? L’utilisation de cette base pourrait s’avérer dangereuse car elle introduit ni plus ni moins qu’une logique de fichage de type comptable qui ne laisse plus à l’enseignant la possibilité d’apprécier humainement une situation individuelle ». De même, la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques) s’interroge sur les risques de dérives comme la possibilité de croisement
avec d’autres fichiers et propose aux parents d’élèves d’organiser des réunions d’informations sur le sujet. Le SNUIPP-FSU (Syndicat national unitaire des instituteurs) appelle même à neutraliser certains champs de renseignement comme : nationalité (tous français), absentéisme et suivi Rased [3]. Toute relation avec la loi contre la délinquance citée plus haut qui conditionne, entre autres, le versement des allocations familiales à un contrôle de l’assiduité scolaire, est-elle purement fortuite ?

Devant le contexte sécuritaire actuel, toutes ces structures craignent la divulgation de certaines informations strictement privées comme la langue, la culture d’origine ou la situation familiale. « Car si ce n’est pour contrôler étroitement les populations étrangères, en quoi la nationalité d’un enfant ou son année d’arrivée en France nous intéresseraient-elles ? C’est ce qu’a confirmé l’inspection d’académie des Pyrénées Orientales où Base-élèves est expérimenté depuis 2004 en reconnaissant « être la plus grande source d’information sur l’immigration » », explique Sud Education Côte d’Armor.

Les jeunes qui vont construire le monde de demain eux non plus ne veulent pas d’un système éducatif reposant sur des bases administratives qui peuvent engendrer l’exclusion et la peur. Ecoutons-les par la voix d’une artiste : « En cinq ans, avec le nombre de lois, d’ordonnances et de décrets qui ont été votés, on a vu la société changer à vue d’oeil. Les expulsions de sans-papiers, les expulsions des populations des centres-villes, la répression, etc. Les murs se resserrent de plus en plus. Ce serait bien qu’on s’organise avant qu’on ne puisse plus bouger et qu’on soit écrasés (...) Je crois qu’on peut arriver à détruire le système en essayant de construire à côté de lui, en créant des poches de résistance et des réseaux » [4]. Serons nous capables de leur proposer autre chose avant que le dialogue ne devienne impossible ?

Isabelle Faure

Notes

[1Il y a 5 pages pour chaque élève : “Identification”, “Responsables”, “Année en cours”, “Cursus scolaire” et “Particularités”.

[2Extrait d’un article intitulé « demain, quelle prévention de la délinquance des mineurs ? » dans « En route pour le Sud 66 » n° 11, septembre 2006, réalisé par Sud Education Pyrénées Orientales.

[3Rased ; réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficultés, créés en 1990.

[4Paroles de Keny Arkana, 24 ans, chanteuse de rap, extrait d’un interview dans Politis n° 942, semaine du 8 au 14 mars 2007.


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