pour le père de Julien Coupat, “Michèle Alliot-Marie cherche à faire un exemple à travers” son fils


article de la rubrique justice - police > antiterrorisme
date de publication : vendredi 2 janvier 2009
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Julien Coupat est incarcéré à la maison d’arrêt de la Santé depuis le 15 novembre 2008, date de sa mise en examen pour « direction d’une association de malfaiteurs terroristes », un crime passible des assises. Sur les neuf personnes mises en examen dans ce dossier, cinq sont soupçonnées d’avoir participé à des actes de malveillance contre des lignes TGV, entraînant des retards dans la circulation de plusieurs dizaines de trains entre le 26 octobre et le 8 novembre. Proches de la mouvance qualifiée d’anarcho-autonome par la police, elles sont suspectés d’avoir formé une « cellule invisible ».

En dépit de l’absence de preuve de sa participation aux actes de malveillance qui ont perturbé le trafic des TGV, la cour d’appel de Paris a décidé, vendredi 26 décembre 2008, de maintenir Julien Coupat en détention.

Dans une interview, publiée sur nouvelobs.com le 30 décembre [1], Gérard Coupat estime que le maintien en détention provisoire de son fils procède d’une volonté politique visant à tuer dans l’oeuf toute révolte de la jeunesse contre le « totalitarisme mou qui tente de s’installer en France ».


« Michèle Alliot-Marie cherche à faire un exemple à travers Julien »

  • Avez-vous pu voir votre fils après l’audience ?

Ma femme avait pris un parloir au cas où Julien ne serait pas libéré.
Elle l’a vu pendant une demi-heure. Il était effondré après ce qu’il
venait de vivre. Effondré d’avoir subi cinq fouilles à nu entre la prison
de la Santé et le Palais de justice, en moins de deux heures. Quand il a
voulu aller uriner avant l’audience, les policiers ont de nouveau procédé
à des vérifications, il a dû enlever ses lacets, et y est allé sous leur
étroite surveillance. Ce n’est qu’une fois mis dans cet état d’humiliation
que l’audience a commencé. Il y a de quoi se demander si la détention
préventive n’a pas pour but unique de casser les personnes. Ensuite, il
s’est retrouvé face à trois magistrats en vacation qui ne connaissaient
pas bien l’affaire, sachant que le dossier de Julien compte 5 tomes et
qu’ils avaient 17 ou 18 affaires à traiter en moins de 8 heures. D’emblée,
les magistrats se sont montrés agressifs, l’accusant de mal se tenir et le
traitant d’"Essec égaré". Julien les a sentis hostiles. Il sentait que ces
magistrats n’avaient pas envie de contrecarrer la volonté du parquet et du ministère de l’Intérieur.

  • Comment expliquez-vous son maintien en détention ?

A partir du moment où le parquet, qui est le représentant du pouvoir
politique, a utilisé une procédure exceptionnelle – le référé rétention
infirmant ce que le juge des libertés, indépendant du pouvoir politique,
avait décidé, à savoir la remise en liberté immédiate –, on se doutait que
personne, surtout pendant les vacances où les décisions sont prises par
des juges vacataires, n’allait aller à l’encontre de l’avis du parquet.
Résultat, comme l’avocat de Julien va probablement déposer une nouvelle demande de remise en liberté mi-janvier, il faudra encore 15 jours pour qu’elle soit étudiée, cela signifie que Julien en reprend pour un mois minimum, alors que rien ne justifie sa détention. Depuis le début de cette affaire, on se trouve face à une justice manipulée directement par le ministère de l’Intérieur ou indirectement par le parquet ; ce qui revient au même.

  • Pouvez-vous le voir souvent ? Parvenez-vous à échanger tous les deux ?

On a le droit à une visite de 40 minutes environ trois fois par semaine,
sachant qu’on est sous stricte surveillance pendant les entretiens, vu que Julien est considéré comme "un terroriste dangereux" [2]. Les conditions de détention sont difficiles. Le père d’Yldune (la compagne de Julien, également gardée en détention, ndlr), raconte qu’elle est réveillée toutes les deux heures, soi-disant pour qu’elle ne se suicide pas. Quand je vois Julien au parloir, je passe mon temps à lui dire qu’il faut qu’il tienne bon, qu’il prenne de la distance. Même s’il a des gros coups de barre, comme vendredi, il reste solide face aux pratiques policières visant à l’humilier.

  • Vous êtes persuadé de son innocence. Pourquoi ?

Je suis convaincu que Julien n’a rien à voir avec le terrorisme. Il est
en désaccord, comme beaucoup de gens, avec une politique qui instaure une surveillance et une répression accrues des individus au nom du "tout sécuritaire", qui est le nouveau credo de notre ministre de l’Intérieur. Les jeunes de Tarnac considèrent que le capitalisme financier et l’hyper consumérisme actuels détruisent la planète et la solidarité entre les hommes et entre les peuples. Mais surtout, ce qu’on leur reproche, c’est d’être des jeunes plutôt instruits, appartenant à la classe moyenne, et ayant décidé de vivre réellement selon leurs idées. Non seulement ils contestent notre mode de vie et notre organisation sociale, mais en plus ils osent mettre les leurs en application : c’est cela qui fait peur à la police. A Tarnac, sur le plateau des Millevaches, ils essaient avec des amis de mettre en pratique une nouvelle façon de vivre fondée sur une vision collective de la société et sur une certaine frugalité. C’est une expérimentation sociale. Et c’est pour cela que leur collectif a choisi le plateau des Millevaches, un milieu âpre, pauvre, froid et symbole de résistance, pour ainsi développer ces liens sociaux tellement enrichissants.

  • Que pensez-vous des pièces à charge du dossier ?

Dès le premier jour, la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie a
clamé qu’elle avait beaucoup de preuves à charge. Et puis, en quelques
jours, ces preuves sont devenues un faisceau de présomptions, c’est à dire pas grand chose. Aujourd’hui, son dossier ne tient tellement pas la route qu’elle est obligée d’extirper des bibliothèques un livre aux auteurs anonymes. C’est vraiment n’importe quoi. Entre temps, heureusement, trois jeunes de Tarnac ont été libérés… Il ne reste que Julien et Yldune.

La police a donné aux journalistes un certain nombre d’éléments à charge pour laisser penser qu’elle avait attrapé un gros poisson. Ces éléments étaient censés prouver qu’il s’agissait de terroristes. Selon cette version, Julien serait un "grand terroriste" parce qu’il n’utilise pas de téléphone portable, parce qu’il est soi-disant caché à Tarnac, parce qu’il a passé clandestinement la frontière entre le Canada et les Etats-Unis… C’est grotesque. Mais ce que le ministère de l’Intérieur ne comprend pas, c’est que tous ces indices ridicules ne sont que des éléments du mode de vie que les jeunes de Tarnac ont choisi. Julien, pour ne prendre que la dernière accusation, ne se déplace qu’en stop, afin de prendre le temps de rencontrer et de comprendre les gens. Quant à se "cacher" à Tarnac, c’est tout le contraire : le collectif est très intégré au village, c’est grâce aux enfants du collectif que l’école se perpétue, ils tiennent l’épicerie, le bar-restaurant, le ciné-club... Je suis allé à Tarnac, et ce que j’ai vu, c’est beaucoup de travail et beaucoup de discussions. La notion de chef n’existe pas, le collectif refusant toute structure hiérarchique. Julien ne peut donc pas être "chef de bande", comme le dit Mme Alliot-Marie.

On est totalement dans la logique du marketing de la peur et de la manipulation policière. L’idée géniale mise en avant par le procureur général, c’est qu’il faut prendre le terrorisme à la base. Il a fait le parallèle avec la Bande à Baader, mettant en avant le fait que cette fois, les "terroristes" avaient été pris avant qu’ils ne soient véritablement des terroristes ! Mais, hélas pour lui, dans le collectif de Julien, il n’ont pas trouvé l’ombre d’une arme. Et pendant les six mois de filature et en dépit des dizaines de policiers à leurs trousses, ceux-ci n’ont rien trouvé de très répréhensible. Quel gâchis d’argent et d’énergie, dépensés pour rien, ou uniquement pour le cirque médiatico-policier mis en scène par le ministère de l’Intérieur !

  • L’enquête de police dit tout de même que Julien et Yldune ont été vus près de l’une des lignes de TGV qui a été sabotée, le 7 novembre…

- Comme ils étaient suivis depuis six mois, les policiers savaient déjà
tout sur eux. Nous étions tous surveillés, les enfants et les parents.
Pourquoi alors, s’ils disent savoir que Julien était avec Yldune près de
cette voie ferrée, ne sont-ils pas intervenus aussitôt ? Ils disent qu’ils
ont perdu leur trace dans le noir pendant 20 minutes avant de les
retrouver. Or, il est impossible de saboter une caténaire, à deux, pendant un laps de temps aussi court. Les professionnels sont formels. Et comment se fait-il qu’en retrouvant leur filature, les policiers n’aient pas fouillé leur voiture pour trouver des pièces à conviction ? Bizarre…

De plus, ce que la police nomme des actes terroristes sont en réalité des
actes vandalisme. La seule chose sur laquelle ils fondent la procédure
terroriste est le lien qu’ils établissent entre les sabotages sur les
lignes TGV et le livre "L’Insurrection qui vient", dont ils affirment sans
aucune preuve que Julien est l’auteur principal. Dans ce livre, il est
notamment écrit que la révolte peut passer par le blocage des voies de
communication. Or, couper les voies de communication, n’est-ce pas ce que font régulièrement les cheminots en grève, les pêcheurs ou les camionneurs ? Cela fait un demi-siècle que les mouvements de contestation emploient cette technique. Et soudain, le ministère de l’Intérieur décide que ces actes seront dorénavant des actes terroristes. On marche sur la tête…

Depuis le début, une autre histoire est connue des policiers mais n’a pas été prise en compte. Dès le 9 novembre, soit deux jours avant l’attaque policière sur Tarnac, les sabotages ont été revendiqués par des écologistes allemands militant contre le transport des déchets nucléaires. Ils écrivaient dans leur communiqué qu’ils avaient mis des fers à béton sur les lignes des TGV allemandes et françaises pour marquer un grand coup. Or, de ce que je sais, pas un policier n’est allé enquêter de ce côté là.

  • Mais pourquoi alors, selon vous, cet acharnement sur Julien ?

- Déjà parce que la ministre de l’Intérieur ne veut pas perdre la face en
libérant une personne qu’elle s’est empressées d’accuser à la légère de
terroriste. En outre, les idées des jeunes de Tarnac dérangent notre
ministre, qui sait qu’il y a un ras-le-bol chez les jeunes de la classe
moyenne qui pourrait s’embraser, comme en Grèce. Je pense que Michèle Alliot-Marie cherche à faire un exemple à travers Julien et à tester la capacité des Français à réagir à cette nouvelle agression liberticide. Ce qu’elle fait ainsi savoir c’est : regardez, si vous osez contester, voilà ce qu’il vous arrivera. En prenant pour boucs émissaires des jeunes ayant un casier judiciaire vierge, plutôt instruits, de la classe moyenne, elle réussit bien son coup en distillant la peur à grande échelle et en prenant le rôle de la grande déesse protectrice de tous les malheureux… Espérons que les Français ne se feront pas prendre à cette mise en scène.

  • Vous êtes ultra présent dans les médias. Dans quel but ?

A l’inverse de la ministre de l’Intérieur, dont les équipes n’ont pas
respecté le secret de l’instruction en accusant d’emblée le collectif,
nous, les parents des inculpés, nous avions décidé d’attendre la fin des
96 heures de garde à vue avant de parler à la presse. Nous voulions
respecter la loi républicaine. Mais après toutes ces déclarations qui
faisaient de nos enfants des coupables – car d’emblée le ministère de
l’Intérieur a considéré qu’ils étaient coupables –, imaginez le travail
qu’on a dû faire pour réparer cette image mensongère, qui, de plus, ne
respecte pas la présomption d’innocence ! Imaginez comme c’est difficile
de faire en sorte que les gens changent de point de vue quand, dès les
premiers jours, Mme Alliot-Marie s’est efforcée de convaincre les Français
qu’elle les a sauvés d’actes terroristes, dans un contexte de peur
généralisée ! Par notre travail, les journalistes, en allant à Tarnac, se
sont rendus compte ensuite par eux-mêmes qu’ils avaient été manipulés, voire bernés.

  • Vous mêlez, au combat du père qui veut sauver son fils, celui du citoyen qui s’insurge contre les pratiques politiques actuelles… Pourquoi ce deuxième engagement ?

Mon premier objectif, c’est, en tant que père, qu’Yldune et Julien sortent de prison le plus vite possible. Car le but de la prison préventive, je le répète, dans ce cas, c’est de les casser. Plus courte sera cette période de détention, mieux ce sera pour nos enfants, qui risquent d’en sortir détruits. Nous sommes plutôt pessimistes, car nous voyons bien que Michèle Alliot-Marie et sa police politique mettront le paquet pour s’opposer à leur libération. Il faut savoir que lorsque les magistrats vont ordonner une enquête, c’est cette même police qui va s’en charger. On va donc se retrouver immanquablement confronté au ministère de
l’Intérieur, et cela peut durer des années. Je pense qu’ils vont tout
faire pour que cela prenne du temps. La justice est instrumentalisée par
les policiers, c’en est le parfait exemple. Mais je me battrai tant que
Julien ne sera pas blanchi de cette infamie et que les pratiques
policières et du ministère de l’Intérieur ne seront pas remises en
question.

Mon deuxième but, c’est de montrer à tous ce que je viens de découvrir : que ces lois, qui sont des lois d’exception faites pour al-Qaida et consorts, sont utilisées pour des personnes qui ne font que contester une politique, un mode de société. J’ai découvert la scandaleuse complicité entre la justice et le ministère de l’Intérieur, une complicité plus proche d’une république bananière que d’une démocratie en bonne et due forme. Ce que je veux dire c’est, d’une part, qu’il doit y avoir respect de la constitution française, donc présomption d’innocence et non présomption de culpabilité, et, d’autre part, qu’il doit y avoir respect des droits de l’Homme, donc que la prison doit demeurer un fait
extrêmement exceptionnel.

Moi qui n’avais pas de forte démarche politique dans ma vie, qui votait
tantôt à droite, tantôt à gauche, en fonction des personnalités politiques, qui avais été myope, un peu lâche, je sais désormais ce que je vais faire du reste de ma vie. Je vais m’engager contre ces lois
liberticides : ce sont nous, les hommes et les femmes de 40 à 60 ans, qui avons laissé les gens au pouvoir mettre en place ces lois scélérates ;
c’est à nous, avec l’aide des jeunes, de les faire sauter car elles sont
contraires à l’esprit de la démocratie française. Et puis, je vais mettre toute mon énergie pour que Tarnac continue à vivre, car c’est pour moi un symbole merveilleux de résistance au totalitarisme mou qui tente de s’installer en France. Merci au peuple de Tarnac de nous avoir réveillés.

Interview de Gérard Coupat par Sarah Halifa-Legrand

Notes

[2Article 421-1 du Code pénal :

« Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes : ... »


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