parfois surpeuplées, souvent insalubres, toujours inhumaines, les prisons ne désemplissent pas en Paca


article de la rubrique prisons > Toulon - La Farlède
date de publication : dimanche 3 décembre 2006
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Elles échouent à remplir leur mission de réinsertion. Mais la privatisation fait
des heureux : les investisseurs.

Deux articles extraits du dossier de décembre 2006 que Le Ravi leur consacre [1].


Prisons : voie sans issue

Si l’armée est la grande muette, l’administration pénitentiaire est du genre aphone [2]. Lorsque le directeur régional s’exprime publiquement, c’est donc un petit événement. Pour l’entendre, il fallait tout de même, un samedi matin, se déplacer non loin de Draguignan dans un hôtel isolé. L’association régionale des visiteurs de prison y organisait son assemblée générale.

Face à une centaine de « visiteurs », le directeur des 15 maisons d’arrêt, maison centrale et autres centres de détention de la région [3] (12 en Paca, 3 en Corse), a un peu déverrouillé sa communication. « Il faut restituer une vérité : tous les établissements ne sont pas surpeuplés. Deux seulement le sont véritablement », a-t-il affirmé, donnant, fait rare, des chiffres précis : mi-novembre, le taux d’occupation de la maison d’arrêt de Nice était de 137 %, avec 180 % dans le quartier des hommes ; celui de la prison de Draguignan s’élevait à 133 %, avec 186 % pour les hommes, soit parfois 3 détenus dans une cellule de 7,5 m². Deux prisons mais parmi les plus peuplées de Paca ! De surcroît d’autres situations ponctuelles de surpopulation se produisent également. « Il y a 15 jours, a confié le directeur, tous les quartiers des mineurs étaient saturés dans la région. A Toulon-la-Farlède, pour ne pas les faire dormir à même le sol, nous avons dû fermer le quartier des arrivants. J’ai aussi dû demander un coup de main à mon collègue de Lyon. Des mineurs qui n’avaient pas de relations avec leur famille, ont été “extraits” vers là-bas. » Les prisons sont pleines (Baumettes : 118 % ; Toulon-la-Farlède : 118,77 %, Aix-Luynes : 116,12 %, Avignon-le-Pontet : 109 %) et ce n’est pas la faute de l’administration pénitentiaire !

« Nous sommes liés à la décision des magistrats et du peuple français, lorsqu’il siège aux assises, qui nous envoient les détenus, se justifie le directeur régional. Nous n’avons aucune prise sur les décisions de justice. » Ni sur le climat sécuritaire, relayé par la plupart des députés de Paca, réclamant aux juges la plus grande « fermeté » en toutes circonstances. Alors, que faire ? Construire de nouvelles prisons et rénover les anciennes ? Mais à l’insalubrité des vieux bâtiments, à Marseille et à Nice par exemple, répond l’inhumanité des nouveaux établissements, comme celui du Pontet à Avignon. « J’ai des détenus qui demandent systématiquement à mes chefs d’établissements d’être “doublés” car ils ne supportent pas d’être seul en cellule, reconnaît le directeur régional. Des toubibs et des magistrats me déconseillent par écrit un encellulement individuel auprès de certaines personnes à tendance suicidaire. »

Reste que la pénitentiaire a aussi sa part de responsabilité dans des conditions de détention le plus souvent inhumaines. Une “visiteuse” : « Il n’y a pas longtemps, j’ai constaté qu’un prisonnier hospitalisé à Draguignan était enchaîné. Il y avait pourtant 2 policiers à l’entrée de sa chambre. » Réponse : « Je peux pas accepter ça ! C’est une question d’honneur ! [...] Mais le ministère de l’intérieur donne ses propres consignes. » Un “visiteur” toulonnais : « A la Farlède, je vous garantis que les quantités lors des repas ne sont pas respectées, loin s’en faut ! »...

« La prison est un lieu complètement opaque, dénonce Isabelle Pourtal, déléguée marseillaise de l’Observatoire international des prisons. Entre le discours d’une administration pénitentiaire dispensant au compte-goutte ses informations, et ce qui se passe vraiment entre les murs, il y a toujours un écart. Les mythes sur la prison 3 étoiles ont la peau dure. Pourtant on s’y suicide 7 fois plus que dehors, 49 fois plus dans les quartiers disciplinaires. Les gens y sont obligés de cantiner pour acheter de la nourriture, tous les produits d’hygiène sont vendus plus cher qu’à l’extérieur. Le travail est rare, mal payé et non reconnu. »

Délégué régional du GENEPI, qui regroupe en PACA une centaine d’étudiants offrant du soutien scolaire dans les prisons, Brice Meunier déplore une véritable fuite en avant de la société. « On met de plus en plus de gens en prisons, les fous pour ne citer qu’un exemple. A Nice, il est prévu de construire un asile prison de 20 places. Il sera saturé aussitôt ouvert car, en parallèle, l’hôpital psychiatrique va fermer 300 places. »

Tous les observateurs et les intervenants associatifs doivent également s’accommoder de l’extrême lenteur que le système met à se réformer. Les « Unités de vie familiale » expérimentales devant permettre à un détenu, durant 6 à 48 heures, des moments d’intimité avec ses proches, peinent à se mettre en place. Construites avec la prison en 2003 à Avignon, elles n’ont ouvert qu’en 2006 : seulement 10 « visites » y ont été autorisées !

Reste peut-être le plus grave. La mission de « réinsertion » des prisons figure dans tous les textes. On constate pourtant un taux de retour en prison de 45 %. Il diminue à 33 % lorsque les personnes condamnées sont sorties de prison dans le cadre d’une libération conditionnelle. « Mais toutes les mesures d’aménagement de peine, profitables aux prisonniers mais aussi à la société, diminuent elles aussi sans arrêt, regrette Brice Meunier. Les centres de semi-liberté sont sous-utilisés. Ils ne sont remplis qu’à 70 %. Il faudrait déclarer un moratoire sur la construction des prisons. Si la population pénale explose, ce n’est pas parce qu’il y a plus de condamnés mais parce qu’on donne de plus lourdes peines et que l’on place systématiquement en détention les prévenus en attente d’un jugement. » On continue donc à construire : comme cet « établissement pénitentiaire pour les mineurs » qui doit ouvrir l’an prochain dans le quartier de la Valentine à Marseille.

En attendant l’improbable abolition du système carcéral, la mobilisation se poursuit pour en réformer les aspects les plus intolérables. Conduits par Robert Badinter, des Etats généraux de la condition pénitentiaire ont abouti en novembre à une déclaration solennelle pour susciter l’engagement des candidats aux Présidentielles. L’indifférence domine. Lorsque Isabelle Portal, la déléguée de l’OIP, a sollicité, l’an dernier, tous les députés et sénateurs des Bouches-du-Rhône pour exercer leur droit de visite en prison, un seul a dit « oui » et tenu sa promesse : le sénateur PCF Robert Bret. On attend tous les autres.

Michel Gairaud

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La loi du marché

Sept prisons sur douze sont gérées par le privé en Paca.
Les investisseurs s’y retrouvent, l’État et les détenus beaucoup moins.

Depuis 1987, la France a connu trois programmes « immobiliers de la justice », du nom du secrétariat d’Etat porté par Pierre Bédier entre 2002 et 2004. Tous initiés par des gouvernements de droite et tous ouvrant un peu plus la porte des prisons françaises aux entreprises privées. Chargées initialement de remplir les fonctions de maintenance, de transport, de restauration, de nettoyage, de cantine, de santé, de travail pénitentiaire et de formation, le dernier en date, en 2002 [4], leur a ouvert le marché du financement, de la construction et de la maintenance de 18 nouveaux établissements. Un marché estimé à 1,4 milliard d’euros.

Les actionnaires d’Eiffage et de Bouygues (construction), de la Sodexho et Suez (restauration), ont immédiatement applaudi des deux mains. A l’inverse, dans son rapport de janvier 2006 [5], la Cour des comptes est plus que dubitative. « L’administration pénitentiaire nous dit que la gestion mixte est moins coûteuse que la gestion publique. La Cour arrive pour sa part à des conclusions différentes », déplore l’institution. Un détenu coûte 61,03 euros par jour à l’Etat dans le privé (loyer + les frais de gestion), soit 16,03 % de plus qu’en gestion [6]. Un bénéfice agrémenté par des prix défiants toute concurrence sur la « cantine ». Ces produits qui permettent aux détenus d’améliorer le quotidien sont vendus jusqu’à 50 % plus cher qu’à l’extérieur.

Un malheur n’arrivant jamais seul, la population carcérale se paupérise du fait de la raréfaction du travail pénitentiaire. Si les opérateurs privés dénoncent la concurrence des pays dits « à bas coût » de main-d’oeuvre, la Cour des comptes a aussi tendance à les mettre en cause et dénonce l’inefficacité des études sur les bassins d’emploi qu’ils fournissent. Le travail est pourtant une nécessité en prison : il permet d’occuper, de raccourcir la peine, de « s’échapper » de la cellule, de mettre de côté un petit pécule pour la sortie et, de plus en plus, d’améliorer le quotidien des détenus. Le rapport 2002 du sénateur chevènementiste Paul Loridant, estimait le budget minimum d’un prisonnier à 200 euros par mois.

Inscrit au cahier des charges des opérateurs privés, qui disposent en outre de locaux et de matériels plus adaptés que dans les établissements publics, le travail ne concerne plus aujourd’hui qu’un détenu sur trois. A la toute nouvelle prison de la Farlède, à Toulon, en 2005, le taux de travail était même de 6,6 % ! "Les seuls chiffres [du] travail et [de] la formation [...] sont dérisoires par rapport aux potentialités de l’établissement. Alors que l’objectif était de 80, seuls 50 détenus travaillent dans les ateliers », constatait il y a un an Robert Bret, sénateur communiste des Bouches-du-Rhône [7]. Déjà fastidieux (petite manutention), misérablement payé (à la pièce pour un salaire horaire oscillant entre 3,27 et 3,54 euros), les opérateurs profitent par ailleurs qu’ils soient non générateurs de droits (ni congés payés, ni droit de grève, ni représentation syndicale, ni Assedic dans et à la sortie de la prison) pour imposer aux travailleurs des conditions issues du monde de l’entreprise (peu de pauses, pas le droit de fumer ou d’écouter la radio).

Délégué régional de l’Association nationale des visiteurs de prison, Georges Audibert ne voit finalement qu’un avantage à la privatisation des établissements pénitentiaires : la limitation de la surpopulation carcérale. « Au-delà d’un taux d’occupation de 120 %, l ’Etat paye une pénalité au gestionnaire », explique-t-il. Un voeu pieux. Il y a un an, selon Robert Bret, La Farlède affichait un taux de 125 % (Ndlr : mi-novembre 2006 : 118,77 %). Constructeur de l’établissement, Martin Bouygues en a peut-être profité pour se resservir une coupe de champagne en pensant à ses trois autres projets en cours.

Jean-François Poupelin

Notes

[1Au sommaire du Ravi :
Baumettes : Dans l’attente d’un parloir
Reportage : « Prenez-les dans votre quartier ! »
Témoignage : « Nous, embastillés... »

[2Nos demandes téléphoniques et écrites, d’entretiens et de documentation, sont restées sans réponse. [Note du Ravi.]

[3Aix-Luynes, Ajaccio, Arles, Avignon-le-Pontet, Borgo, Casabianda, Digne-les-Bains, Draguignan, Gap, Grasse, Marseille les Baumettes, Nice, Salon-de-Provence, Tarascon, Toulon-Saint-Roch, Toulon-la-Farlède.

[4Originalement intitulé « 13200 », pour le nombre de places construites (après « 4000 » en 1994, qui avait suivi 13200 » en 1987).

[5Garde et Réinsertion - La gestion des prisons, rapport de la Cour des comptes, janvier 2006.

[6La Cour des comptes explique notamment cette différence par « la marge bénéficiaire que doivent légitimement réaliser les entreprises pour que leurs actionnaires acceptent de s’engager dans des marchés aussi contraignants » (sic). S’il s’agit des 15 % habituellement avancés, le compte est bon !

[7Dedans/Dehors, n°53, Janvier-Février 2006.


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