ne pas céder à la peur !


article lettre  ouverte de l'Observatoire de la liberté de création  de la rubrique libertés > liberté de création
date de publication : vendredi 13 mars 2015
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Suite à la censure dont l’artiste Mounir Fatmi a été victime à la Villa Tamaris (voir cet article), l’Observatoire de la liberté de création
 [1] est intervenu auprès de la direction du centre d’art, mais celle-ci n’est pas revenue sur sa décision.

Vous trouverez ci-dessous les échanges de correspondance entre l’Observatoire et le directeur de la Villa.

Au delà de la situation de Mounir Fatmi, et devant la multiplication des cas de soi-disant “autocensure” – voir l’exposition Femina – l’Observatoire a, dans son dernier courrier, lancé un appel aux institutions publiques de l’art contemporain, les exhortant à ne « pas céder à la peur » mais à « continuer à exercer sereinement les missions qui sont les leurs. » Il ne faut pas laisser les artistes se faire accuser d’être des provocateurs ou des gens qui abandonnent.


Le 26 février 2015, l’Observatoire adressait le mail suivant à Robert Bonaccorsi :

cher Monsieur,

Je vous écris au nom de l’Observatoire de la liberté de création qui a été informé de votre décision récente de ne plus exposer l’œuvre Sleep Al Naim de Mounir Fatmi, alors que vous avez demandé à l’artiste de participer, avec cette œuvre, à une exposition collective devant se dérouler en juin dans votre centre d’art, en novembre dernier. Les motifs avancés publiquement, votre refus de vous faire enfermer dans un "faux débat", ou encore le reproche fait à l’artiste de vous jeter au milieu d’une polémique (…) "qui n’apporterait rien à la compréhension du débat" nous paraissent difficilement compréhensibles dans la mesure où c’est votre Centre d’art qui a choisi l’œuvre en toute connaissance de cause.

Aussi, nous vous remercions de bien vouloir reconsidérer votre décision, et d’assumer votre rôle d’institution artistique en accompagnant l’exposition de cette œuvre, si cela s’avère nécessaire, ce que pour l’instant vous préjugez. Il nous semble en effet de première importance, dans les temps difficiles que nous traversons, que les œuvres soient défendues comme des œuvres, dans la dimension poétique que vous invoquez dans le Monde, et dans la distance symbolique qu’elles apportent lorsque, comme celle-ci, elles ont un lien assumé avec le réel, en l’espèce un autre artiste qui a combattu toute sa vie pour la liberté de création, Salman Rushdie.

Nous sommes à votre disposition pour organiser, le cas échéant, une discussion avec l’ensemble des parties intéressées, convaincus que vous mesurerez que la nouvelle situation que vous créez est bien pire que celle que vous cherchez à éviter, et qu’il relève de votre responsabilité artistique, déontologique et politique d’assumer les choix que vous faites, de les soutenir et, le cas échéant, de les défendre. Nous vous assurons que nous serons à vos côtés si une telle éventualité se concrétise.

Nous vous remercions de revenir vers nous rapidement, et à ce stade, nous ne rendrons pas notre intervention publique pour vous permettre, avec notre médiation, de réintégrer l’œuvre Sleep Al Naim de Mounir Fatmi dans l’exposition C’est la nuit.

Nous vous remercions de bien vouloir, toutefois, nous répondre sous huitaine, après quoi nous reprendrons notre liberté.

Agnès Tricoire


Robert Bonaccorsi répondait par mail, le 4 mars :

Chère Agnès Tricoire,

Je vous remercie pour votre courrier du 26 février.

Nous (les trois commissaires de l’exposition « C’est la Nuit ») nous nous sommes retrouvés face à une situation de fait dont les deux parties ont pris acte.

Mounir Fatmi s’est retiré de l’exposition alors que nous étions en phase de préparation. Vous connaissez les termes de la polémique qui a suivi. Les positions respectives ont été largement exposées et relayées par de nombreux sites (Le Monde, Télérama, Var Matin, 360.ma, Yabiladi.com…) y compris en publiant les courriers échangés dans le cadre de la discussion préalable. Nous avons répondu aux questions des journalistes en essayant de poser et de peser les termes du débat et d’éviter autant que possible les emballements médiatiques. Dans ce cadre, Evelyne Artaud et moi-même avons évoqué l’ensemble de ces questions avec Geneviève Breerette la semaine dernière. Nous étions dans le dialogue et non dans la censure mais la poursuite du débat dans la sérénité s’est avérée impossible.

Je vous prie d’accepter l’assurance de mes sincères et cordiales salutations.

Robert Bonaccorsi


La réponse de l’Observatoire a fait l’objet d’une lettre ouverte à Robert Bonaccorsi le 13 mars :

Paris, le 13 mars 2015

Objet : censure de Mounir Fatmi par la Villa Tamaris de La Seyne-sur-Mer

Lettre ouverte et appel aux institutions de l’art contemporain

Cher Robert Bonaccorsi,

Votre réponse est consternante.

Nous sommes intervenus auprès de vous le 26 février pour vous demander de reconsidérer votre censure de l’œuvre de Mounir Fatmi, Sleep Al Naim, œuvre que vous aviez choisie en novembre dernier pour l’exposition collective « C’est la Nuit » devant se dérouler en juin dans votre centre d’art.

Vous l’avez censurée au nom d’une « situation de fait » que vous avez, seul, créée : une œuvre choisie par votre centre d’art et censurée par votre centre d’art, trois mois plus tard. L’artiste ne s’est pas retiré, il a refusé de proposer une autre œuvre, ce qui aurait validé votre acte de censure. En reniant vos engagements, vous l’avez évincé.

Les artistes, face à des institutions comme les vôtres, sont seuls. Ils sont seuls et en situation de faiblesse : ils n’ont, pour se défendre, que leur œuvre. Votre réponse le démontre, les artistes auraient donc toujours tort. Tort de résister à l’abus de pouvoir, tort de ne pas se plier au jeu qui consiste à leur demander d’assumer la censure dont ils sont les victimes.

Nous vous avons offert la possibilité de changer d’avis et de revenir sur cette censure, qui aura des répercussions. Répercussions ici en France, car vous n’êtes hélas pas le seul à laisser vos actes être dictés par la peur. Mais répercussions aussi dans les pays du Maghreb, qui n’ont pas la même conception de la liberté d’expression. Là-bas, ceux qui assujettissent les œuvres à des impératifs moraux, religieux et politiques se frottent les mains : la France, pays des droits de l’Homme, censure une œuvre qu’eux-mêmes ne souhaitent pas montrer.

Ici, ceux qui veulent parvenir aux mêmes fins se réjouissent, et nous savons tous que derrière les cas isolés, il y a une conception de la démocratie, de la capacité de chacun de se faire son propre jugement des œuvres, qui est en jeu.

Que pouvons-nous faire, face à votre refus réitéré ?

L’Observatoire de la liberté de création lance un appel aux institutions publiques de l’art contemporain pour qu’elles accueillent l’œuvre de Mounir Fatmi, actuellement montrée sans aucun problème au Mamco à Genève. Les institutions publiques de l’art contemporain ne doivent pas céder à la peur, et continuer à exercer sereinement les missions qui sont les leurs.

Vous comprendrez que nous rendons ces échanges publics.

Bien cordialement,

Agnès Tricoire
déléguée de l’Observatoire



Copie adressée à :

- Marc Vuillemot, maire de La Seyne-sur-Mer
- Denis Louche, directeur de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) Provence-Alpes-Côte d’Azur
- Michel Orier, directeur général de la Direction général de la création artistique
- Pierre Oudart, directeur adjoint de Direction général de la création artistique

Notes

[1L’Observatoire de la liberté de création est présenté dans cet article de La Gazette des commmunes : http://www.lagazettedescommunes.com....


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