multiplication des refus de prélèvements génétiques


article de la rubrique démocratie > désobéissance & désobéissance civile
date de publication : jeudi 21 décembre 2006
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Contre le « fichage ADN », le front du refus s’organise. Ils sont faucheurs volontaires, manifestants anti-CPE du printemps dernier, déboulonneurs de publicité pris en flagrant délit, ou simples citoyens placés en garde à vue puis relâchés sans qu’aucune poursuite ne soit engagée contre eux. Tous risquent un an de prison ferme et 15 000 € d’amende. Leur délit ? Avoir refusé qu’un représentant de l’ordre leur badigeonne les gencives avec un bâtonnet destiné à recueillir leur empreinte génétique.

Une fois condamnés, ils se retrouvent de facto susceptibles d’être à nouveau convoqués – ils sont alors en situation de « délit continu » ...
Après la fabrique des sans-papiers, voici la fabrique des délinquants.

[Première publication, le 16 nov. 2006,
mise à jour, le 21 déc. 2006]

Création d’un réseau contre les prélèvements

Un front du refus s’est constitué cet été, sous l’impulsion de Benjamin Deceuninck, ex-faucheur d’OGM de 26 ans, convoqué le 25 août devant le tribunal correctionnel d’Alès pour avoir dit non au bâtonnet dans la bouche [1]. Près de deux cents personnes étaient venues le soutenir. La procureure a requis 500 euros d’amende, en vertu de la loi du 19 mars 2003, sur la sécurité intérieure. Cette « loi Sarkozy » a considérablement étendu le champ des infractions concernées par le fichage génétique. Au point que le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) contient à ce jour 300 000 profils génétiques
 [2]. Le 29 septembre, Benjamin est condamné à 500 euros d’amende. Il fait appel et relance la mobilisation. Il a peu de temps, car la cour d’appel de Nîmes a été étonnamment rapide, fixant le nouveau procès au 28 novembre. Le jeune militant crée un site Internet [3] pour détailler ses arguments et informer sur les autres procès ­comme celui du faucheur volontaire Bernard Coquelle.

D’autres personnes convoquées par la justice pour les mêmes motifs se font connaître. Benjamin en recense déjà « entre 80 et 90 ». Parmi eux, Guy Wanderpepen, qui s’est opposé au fichage, lors de sa garde à vue en août, pour avoir fauché un champ d’OGM près d’Orléans. « C’est absurde de demander le prélèvement d’ADN à des gens qui n’ont commis ni crime ni viol », s’insurge cet homme de 72 ans. Sur les trente-deux faucheurs volontaires, qui doivent passer en procès à Orléans les 26 et 27 février, ils sont seize à avoir, comme lui, refusé de donner leur ADN.
Hugo, étudiant de 23 ans, a été condamné à quatre mois avec sursis, pour avoir mis le feu à des poubelles, lors d’une manif anti-CPE. Depuis, la gendarmerie l’appelle pour ficher son ADN. Il refuse, au motif que ces empreintes « gardées quarante ans », peuvent tomber aux mains de « gouvernements totalitaires ultra-répressifs » et cela « peut être dangereux ».

Plusieurs organisations le soutiennent : faucheurs volontaires, Ligue des droits de l’homme, la Confédération nationale du travail (CNT), la CGT, les Verts et le Syndicat de la magistrature. Ce dernier dénonce la « montée en puissance » du fichage et le « prélèvement très systématique au stade de la garde à vue ». L’avocat de Benjamin, Me Gandini, a, d’ores et déjà, fait savoir qu’en cas de condamnation, son client se pourvoirait en cassation. Et si besoin, devant la Cour européenne des droits de l’homme.

d’après Carole Rap, Libération, le 13 novembre 2006

Contestation du fichage génétique

par Elise Vincent, Le Monde du 19 déc. 2006

En quarante-huit heures, mercredi 13 et jeudi 14 décembre, trois procès concernant des refus de fournir des empreintes génétiques ont eu lieu. Ainsi, mercredi, le procureur général de la cour d’appel de Grenoble a requis trois mois de prison ferme contre Alain Meunier, 48 ans, militant associatif qui refusait de se soumettre à un prélèvement d’ADN après avoir été dénoncé pour avoir fait pousser du cannabis dans son jardin. M. Meunier avait été condamné à 1 000 euros d’amende en première instance.

Depuis la loi Sarkozy sur la sécurité intérieure de 2003, une centaine de délits obligent à se soumettre au prélèvement génétique. Limitée, à l’origine, aux infractions sexuelles, la législation concerne aujourd’hui les meurtres et les cambriolages, les vols simples, les tags ou les dégradations. Même les participants des manifestations anti-CPE, au mois de mars et d’avril, condamnés pour rébellion ou outrage sont concernés.

Depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions, le fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) explose. De 2003 à 2006, le nombre de profils enregistrés est passé de 2 807 à plus de 330 000. Bien que ce système ait permis d’élucider plus de 5 000 affaires, ceux qui s’opposent aux prélèvements dénoncent l’instauration d’un « répertoire de masse ».

« Cela revient à considérer une catégorie de population comme présumée coupable », dénonce Benjamin Deceuninck, fondateur du collectif Refus ADN. Condamné à un mois de prison avec sursis en 2005 pour le fauchage d’un champ de betteraves transgéniques, il refuse depuis obstinément de se soumettre au prélèvement. Avec son collectif, il multiplie les tracts, les comités de soutien et les conférences sur ce qu’il considère comme l’essor de la société de « Big Brother ».

Depuis que M. Deceuninck a créé son association au mois de juin, il a recensé environ 150 personnes ayant refusé le prélèvement d’ADN. C’est peu en comparaison des 500 000 gardes à vue comptabilisées en 2005.

« L’immense majorité des gens accepte le prélèvement sans broncher. Les refus sont cantonnés à une certaine élite intellectuelle », note François Sottet, magistrat au parquet de Paris. Mais ces cas de refus embarrassent le ministère public. « C’est l’éternel débat entre la défense des libertés individuelles et l’efficacité judiciaire », considère M. Sottet. « Et il y a effectivement un malaise », ajoute-t-il.

« DÉLIT CONTINU »

Le malaise est d’autant plus grand que ceux qui refusent le prélèvement, même une fois condamnés, se retrouvent de facto susceptibles d’être à nouveau convoqués. Ils sont alors en situation de « délit continu » avec des peines pouvant s’alourdir indéfiniment.

« Il y a une loi, il faut l’appliquer, persiste le commissaire Philippe Mallet, chef du service central de la police technique et scientifique. Ce n’est pas un fichier pour répertorier les antécédents mais pour l’identification », martèle-t-il. Selon lui : « Il n’y a pas de petite affaire. »

Elise Vincent

Touche pas à mon ADN

par Manon Dumand, Politis, N° 928, 30 novembre 2006

Les procès pour refus de prélèvement d’ADN se multiplient Après ceux de
Benjamin Deceuninck et de Bernard Coquelle, militants anti-OGM, un
autre devait se tenir le 4 décembre à Orléans, avant d’être repoussé aux 26 et 27 février. Le sort de 32 faucheurs volontaires est en jeu dont la moitié doivent également répondre de refus de prélèvement. Ces derniers risquent jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende, conformément à la loi du 18 mai 2003, qui fait de ce refus un délit. Médiatisés, les procès de ces militants en cachent bien d’autres. Pour ne pas avoir voulu figurer au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), 63 personnes en 2003, 212 en 2004 et 353 en 2005 ont été condamnées, selon les données du ministère de la Justice. Une hausse sans surprise. Les prélèvements ne cessent en effet d’augmenter. De 150 000 en 2005, le Fnaeg contient 367 330 profils génétiques au 31 octobre 2006, d’après Philippe Mallet, chef du service central d’identité judiciaire. Et les prélèvements concernent de plus en plus de militants, qui commencent à s’organiser.

En ces temps sécuritaires, le prélèvement des empreintes génétiques ne mobilise guère l’opinion. Le fonctionnement en est également méconnu. Un épi de maïs fauché, une poubelle brûlée, un mur graphé, et l’ADN de l’affreux criminel est répertorié pour les quarante ans à venir ! Que le condamné soit majeur ou mineur. Mais qui le sait ? Et qui sait que les prélèvements ne concernent pas seulement les personnes condamnées mais aussi celles qui sont « mises en cause » ? À l’instar de Camille, 26 ans, en procès le 13 décembre au tribunal de Mâcon. « J’ai refusé le prélèvement à la suite d’un contrôle routier, où la présence d’une pipe, dans la voiture de mon ami, a donné lieu, sans succès à la recherche de drogue ».

Des « mis en cause » ? Depuis la loi pour la sécurité intérieure, il s’agit « des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis l’une des infractions » prévues par le code de procédure pénale. Mais aussi « de
toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis un crime ou un délit
 ». Dans le premier cas, le Fnaeg conservera l’ADN vingt-cinq ans. Dans le second, les empreintes seront comparées avec celles du fichier, puis effacées. Sur la totalité des.ADN contenus dans le Fnaeg, seuls 115 178 appartiennent à des condamnés, contre 186 640 à des « mis en cause ».

L’Etat préfère, lui, insister sur certains aspects du Fnaeg considérés comme plus acceptables par l’opinion. Ainsi de sa mise en place, par la loi du 17 juin 1998, pour les délinquants sexuels. Voire de son extension, le 15 novembre 2001, aux crimes contre l’humanité, actes de barbarie, proxénétisme et autres violences volontaires aux personnes. L’extension du Fnaeg ne s’est pas arrêtée là. C’est la droite qui, en 2003, a ouvert très largement le fichier.

Peuvent alors s’y côtoyer des personnes ayant commis de graves délits, comme l’« atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », et des délits mineurs : vols, extorsions, escroqueries, destructions, dégradations, détériorations et menaces d’atteinte aux biens. Fait étrange : cette liste couvre les articles 311-1 à 322-4 du code pénal, mais oublie le détournement de fonds et s’arrête juste avant les « atteintes aux systèmes de traitement automatisé des données »... Les «  cols blancs » se protègent, les « classes dangereuses » trinquent.

A cet arbitraire (qui doit être fiché selon la loi ?), ne devant certes pas éclipser la question de fond (faut-il ficher ?), s’ajoute une autre question : l’application de la loi est-elle la même pour tous ? Interrogé sur les profils prioritaires des «  candidats  » au Fnaeg, Philippe Mallet répond qu’«  il n’y a pas de profils mais un strict respect de la loi ». Or, les chiffres permettent d’en douter : la totalité des personnes placées en garde à vue ou mises en cause excède largement la moyenne d’enregistrement au Fnaeg, qui tourne autour de 20 000 par mois, conformément au souhait de Nicolas Sarkozy. Quels sont donc les critères retenus ? On pourrait se féliciter de la différence entre les deux chiffres, si la police n’avait quelque penchant pour les délits de faciès.

Cette question d’« équité » concerne également les procédures lancées pour refus d’ADN. Daté du 27 juillet 2004, un texte du ministère de la Justice invite le parquet à être vigilant sur les refus et à poursuivre
systématiquement. Mais les chiffres manquent Et, si l’on connaît le nombre de condamnations, on ne connaît pas celui des procès.

A défaut de données précises, deux remarques s’imposent. Tout d’abord, le nombre supposé peu élevé de refus ne saurait étonner au vu des pressions subies. Samuel, interpellé lors de l’action contre Minatec, témoigne : « Je refuse. » « Tu n’aspas le choix », s’énerve un policier « Si, on a toujours le choix. Je refuse. » Menaces : « Comme tu veux, ce soir tu seras en prison et tu payeras tes 30 000 euros d’amende ! » Ou Boualam Azahourn, de l’association Divercité : « Bien sûr que les gamins arrêtés en novembre 2005 donnent leur ADN, quand on les menace d’un an de prison, en plus de ce qu’ils risquent ! » D’autre part, il est troublant de constater qu’en 2004, la procédure lancée à l’encontre de Charles Hoareau, responsable du comité chômeurs des Bouches-du-Rhône, a eu lieu la veille de la délibération du procès contre Assedic et Unedic.

Sans chiffres, faudrait-il croire que tout procès pour refus de prélèvement signifie condamnations ? Non. Fait méconnu, il existe une « jurisprudence corse ». Par deux fois, les 4 février 2005 et 21 mars 2006, le tribunal de Bastia a relaxé des « mis en cause ». Tandis que la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Bastia a émis, les 30 juin et 20 octobre 2004, des arrêts favorables à des « mis en cause », déboutant l’appel du ministère public. « Le tribunal était dans l’impossibilité de vérifier si les conditions légales pour un prélèvement, à savoir les indices graves et concordants, ou les raisons plausibles de soupçon étaient réunies », explique l’avocat Jean-Guy Talamoni, qui a obtenu la relaxe, le 11 novembre, d’un autre mis en cause.

Cette jurisprudence servira-t-elle aux « mis en cause » de la métropole ? Peut-être. Quoique, en 2004, sur 30 personnes « mises en cause », 19 aient été condamnées à de la prison ferme pour refus de prélèvement, selon le Syndicat de la magistrature. Surtout, elle n’est d’aucun recours pour les personnes déjà condamnées à d’autres crimes ou délits, qui ont vu leurs procès pour refus de prélèvement se solder par un verdict défavorable. Avec, là encore, d’importantes variations. Selon les chiffres de 2004, sur 122 personnes condamnées, 73 ont pris du ferme.

Ces peines lourdes révèlent la sévérité de la justice, notamment face aux prisonniers qui refusent de se soumettre au prélèvement. Ces derniers subissent une forte pression. Pression d’abord légale : les peines se cumulent, les réductions de peine sont interdites. Puis flirtant avec l’illégalité : selon le rapport 2006 de l’Observatoire international des prisons, « la direction de la maison d’arrêt d’Osny [...] a diffusé une note informant les personnes détenues [...] que "tout refus de prélèvement entraînera une sanction disciplinaire [...]" Une infraction pourtant absente de la liste des motifs disciplinaires. » Et parfois plus : « Vexation, chantage menace, avec tout ce que la prison permet de pressions illégales, épouvantables », explique Jacques Lesage de La Haye,
animateur de l’émission « Ras les murs , » sur Radio libertaire.

Que faire alors ? Compter sur une certaine « indulgence » des magistrats ? Surtout, porter le sujet sur la place publique. Attention, toutefois : de 400 000 à 600 000 kits de prélèvement sont aux mains des forces de l’ordre.

Marion Dumand

Notes

[2Nous sommes loin des 3 millions d’empreintes génétiques que la police anglaise déclarait avoir enregistrées il y a un an.

Une compilation des données statistiques qui figurent dans ce fichier a permis d’établir que près de 37 % des Noirs britanniques étaient enregistrés contre 9 % des Blancs ... [D’après Armelle Thoraval, Libération du mardi 17 janvier 2006.]


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