mai 2011 : la droite planchait sur un fichage des binationaux et une restriction de leurs droits politiques


article de la rubrique discriminations > les “binationaux”
date de publication : mardi 26 juillet 2011
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Dans un entretien publié dans La Croix le 9 mai 2011, Claude Goasguen déclarait : « Je souhaite que l’on commence par enregistrer les situations de double nationalité au moment des actes de mariage, de naissance ou de naturalisation. On disposerait ainsi à terme d’un registre des binationaux. En France aujourd’hui, on ne sait pas combien ils sont, sans doute 4 à 5 millions. Je souhaite aussi qu’on aille progressivement vers une limitation de la double nationalité. »

Quant aux conséquences concrètes pour les personnes concernées, l’élu UMP précisait : « Cela veut dire qu’on demanderait aux gens de choisir entre deux nationalités. Ou bien qu’on aille vers une limitation des droits politiques. [...] En procédant ainsi, un binational se retrouverait en quelque sorte avec “une nationalité et demie”  ».

Deux mois plus tard, nous n’en sommes pas encore là, mais le fichage des binationaux se met en place.



Deux nationalités, une colère

par Catherine Coroller et Quentin Girard, Libération, le 20 mai 2011


Alors que l’idée d’instaurer des quotas dans le foot continue de susciter un tollé, la droite planche sur un fichage des binationaux et une restriction de leurs droits politiques.

« La traditionnelle indifférence de la France au phénomène de la double nationalité », décrite par l’historien Patrick Weil [1], a-t-elle vécu ? Pourrait-elle être remise en cause alors qu’elle s’est « largement répandue durant le dernier quart de siècle en France et dans l’ensemble des grands pays démocratiques », comme le rappelle ce chercheur ? La question a fait bruyamment irruption dans le débat public le 28 avril lorsque le site Mediapart a révélé que les dirigeants de la Fédération française de football avaient envisagé, en novembre 2010, de limiter le nombre de joueurs binationaux dans les centres de formation, au motif que certains opteraient ensuite pour la sélection d’un autre pays dont ils ont la nationalité. Quelques mois avant cet épisode, les députés du collectif de la Droite populaire (frange la plus droitière de l’UMP) avaient déjà œuvré pour une remise en cause de la double nationalité.

Le 31 mars 2010, le gouvernement soumet à l’Assemblée nationale le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. Lionnel Luca (UMP, Alpes-Maritimes) dépose alors un amendement stipulant que « l’acquisition de la nationalité française est subordonnée à la répudiation de toute autre nationalité » et que « toute personne qui possède la nationalité française et une autre nationalité et qui ne renonce pas à cette autre nationalité dans les six mois précédant sa majorité et dans les douze mois la suivant, perd la nationalité française ». Lors de la discussion par les députés de cette disposition, le 29 septembre, Thierry Mariani (alors député UMP du Vaucluse), rapporteur de la loi, s’y oppose : « J’estime pour ma part qu’à chacun son parcours et que l’on peut, pour des raisons diverses, avoir une double nationalité, ce qui, la plupart du temps, ne pose aucun problème. » Et il sort une autre proposition : la création d’un registre des doubles nationaux. Pour quoi faire ? « Peut-être la France sera-t-elle un jour mêlée à un conflit interétatique », ose-t-il. L’ancien député aujourd’hui secrétaire d’Etat aux Transports [2] assure que cette clause serait « déclarative et informative ». « Si la personne concernée ne veut pas donner l’information, elle ne dit rien. »

L’amendement de Lionnel Luca n’a pas été adopté mais la réflexion n’a pas été enterrée, au contraire. Elle a été renvoyée aux travaux de la Mission d’information parlementaire sur le droit de la nationalité créée au cours de ce même examen du projet de loi sur l’immigration. Cette mission, dont le député PS Manuel Valls est le président et l’UMP Claude Goasguen le rapporteur, devrait remettre fin mai la conclusion de ses travaux. Sans attendre, Claude Goasguen a proposé, dans un entretien à la Croix du 9 mai, que les binationaux soient contraints de « choisir entre deux nationalités » ou que l’on aille « vers une limitation de leurs droits politiques ».« Il est tout de même gênant, a-t-il ajouté, qu’une personne puisse voter en France et dans un autre Etat. »

La première de ces deux propositions est malhonnête : certains Etats comme le Maroc pratiquent l’allégeance perpétuelle : un ressortissant de ce pays ne peut renoncer à sa nationalité. Quant à la seconde, Thierry Mariani lui-même l’a qualifiée, le 9 mai, de « choquante […] d’autant que la plupart [des binationaux] ne votent que dans un seul pays ». Mais il en a profité pour répéter qu’il est « favorable à une meilleure connaissance de la situation des binationaux en France ». Quant à Manuel Valls, il a réagi aussitôt aux propos de Claude Goasguen en prévenant que « toute limitation de la binationalité constituerait pour les députés du groupe SRC [socialistes et apparentés] une remise en cause inacceptable de notre droit de la nationalité ».

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Témoignages

Ces velléités de restreindre les droits des binationaux et de les distinguer des autres citoyens suscitent un tollé des internautes. Nous publions quelques-unes des centaines de contributions postées sur le blog Hexagone, sur le forum « Vous êtes binational ? Témoignez ! » ouvert par Liberation.fr, ou encore sous la tribune « Nous ne reconnaissons plus notre pays », publiée le 11 mai.

  • « Ce n’est pas l’égalité qu’on m’a enseignée »

« Le 4 avril 2002, le gouvernement conservateur australien a levé l’interdiction législative sur la double nationalité. Jusqu’alors, tout citoyen australien souhaitant devenir binational était obligé de renoncer à ses papiers d’Australien. Australien "pure souche", j’avais suivi toute ma scolarité au lycée public franco-australien. Je vis à Paris depuis 2004, je suis diplômé de Sciences-Po, salarié d’une société du CAC 40, je suis fier de mon intégration dans ce pays, et j’ai entamé les procédures pour devenir français. Je suis profondément triste à l’idée qu’un jour je puisse me faire naturaliser à l’unique condition d’être fiché [comme binational, ndlr]. Ce n’est pas l’égalité devant la loi qu’on m’a enseignée, ce n’est pas le refus des statistiques nationales qu’on m’a expliqué, ce n’est pas l’expérience de la France ni des Français que je continue à tant revendiquer, ce n’est pas la leçon que l’Australie, elle, avait enfin apprise en 2002. » (Damien Bright)

  • « Des propositions d’un autre temps »

« Citoyen français par mon père, citoyen canadien par filiation maternelle, j’ai immédiatement réagi aux propositions de M. Goasguen qui sont d’un autre temps. Au cours des années passées, j’ai été membre de divers partis politiques du centre et j’ai été candidat à deux élections locales (cantonales et assemblée des Français de l’étranger). Je souhaite à l’avenir pouvoir exercer mes droits politiques et me présenter en candidat à toutes les campagnes électorales qui m’intéressent. Je puis assurer M. Goasguen que les citoyens français, expatriés au Canada et aux Etats-Unis, souvent binationaux ou ayant des enfants binationaux et qui voteront pour la première fois aux élections législatives des Français de l’étranger se souviendront que cette proposition émane des bancs de l’UMP. » (Marc Cormier)

  • « Je me suis construit avec l’amour de deux pays »

« Par ma naissance, je suis chilien, par ma vie, je suis français. Je ne renie ni l’un ni l’autre, je suis simplement un homme qui s’est construit avec l’amour des deux pays. J’aime chaque chemin, chaque route de mon pays. La France coule en moi, ma femme est française, mes enfants sont français, mais ils ont hérité de cette moitié chilienne. Au nom de quelles pensées ces hommes politiques me refusent le droit de vivre ma vie de Français comme je l’entends ? Au nom de quoi, si ce n’est à me rappeler chaque jour que, quoi que je fasse, quoi que je dise, je reste (ainsi que mes enfants), aux yeux de ces bien- pensants, un métèque qui a quelque chose à cacher et qui en veut à notre beau pays. Je suis fier d’être français, M. Mariani. » (Christian)

  • « Un discours anti-immigrés »

« Je suis franco-togolais mais j’ai toujours été un étranger. Peu après ma naissance au Togo, nous sommes partis pour la Côte-d’Ivoire. Plus tard, je suis arrivé en France. Depuis, j’ai vécu en Allemagne et aux Etats-Unis. Chose étrange, la Côte-d’Ivoire et la France sont proches dans les discours anti-immigrés. Mais, au jour le jour, à Paris, tu ne le sens pas du tout. Il y a un énorme écart entre les discours des politiques et le quotidien. Les Français s’en foutent, je crois. C’est pour ça que j’aime vivre ici. » (Abdel Ayeva)

  • « Un débat malsain »

« Je possède la double nationalité (franco-britannique). […] Ma nationalité française n’est que virtuelle (mon père est d’origine britannique et ma mère d’origine italienne), mais moi je suis français parce que je suis né ici, j’ai été scolarisé ici, je paye mes impôts ici et même mieux je suis fonctionnaire de l’Etat français. C’est cela qui me rend français. […] J’avais (jusqu’à récemment) deux jeux de papiers d’identité : une carte d’identité pour la France et un passeport pour la Grande-Bretagne. Mais, depuis l’apparition récurrente d’un débat malsain sur l’origine des individus dans notre pays, je n’ai pas fait refaire ma carte d’identité car je n’aime pas devoir prouver à qui que ce soit que je suis français. » (Haze)

  • « Une terre que nous nous sommes appropriée »

« Je suis née en Argentine, de parents eux-mêmes argentins qui, après maintes péripéties, ont choisi de rester à Paris. Ils sont passés par la case "étudiants étrangers", puis "sans-papiers" et "sans Sécu". Grâce à des amis français, et aussi parce qu’ils voulaient faire partie de cette société, mes parents ont pu s’intégrer, trouver un boulot […], être naturalisés. Un jour, dans le métro, un homme râlait contre "ces touristes" […]. Il a dû dire une phrase de trop car ma mère lui a rétorqué : "Mais monsieur, nous sommes presque "plus français" que vous, parce que nous, au moins, nous l’avons choisi." C’est comme ça que je définirais mon rapport à la France : c’est une "terre d’adoption", une terre que mes parents ont choisi pour nous, et que nous nous sommes "appropriée", non sans sacrifices. » (Natoub)

  • « Je suis français à 100% »

« Je suis né à l’étranger (dans "l’Europe des 15") d’une mère qui est devenue française à sa majorité et d’un père qui l’était à la base. Pendant longtemps (jusqu’à la fin de l’adolescence), j’ai "joué" à dire que je n’étais pas totalement francais (sans trop dénigrer la France) avant de me rendre compte que je lui devais tout : éducation, soins, niveau de vie que je n’aurais pas eu ailleurs. Si, aujourd’hui, on me demande ce que je suis, je suis français à 100%. J’ai aussi certainement développé une moindre tolérance envers ceux qui dénigrent, les assistés qui sont nés, ont été élevés, éduqués en France […] et qui se réclament d’une autre nationalité parce qu’ils ont un second passeport et ne lui doivent que quelques mois de vacances. » (Brent)

  • « Je finance les retraites dans les deux pays »

« Je n’ai jamais eu autant envie de réagir qu’aujourd’hui. Je suis français et britannique, j’ai été éduqué dans un système scolaire bilingue et biculturel, avec un parent français et un parent britannique. J’étudie en Angleterre, et reviens en France pendant mes vacances. Je vote en France et au Royaume-Uni, puisque j’ai un lien fort avec les deux pays, et je trouve que j’ai le droit de m’exprimer pour former le futur des deux pays qui sont les miens. […] J’ai un travail à temps partiel pour financer mes études dans chacun de mes pays, et je contribue donc à payer des retraites dans mes deux pays. Pourquoi devrais-je choisir une nationalité, un héritage ? » (Hugo10)

P.-S.

Lire :
« Ficher les binationaux … pour préparer la guerre ! », Algérie-focus.


Notes

[1La France et ses étrangers, Folio histoire, 2005 et Etre français. Les quatre piliers de la nationalité, l’Aube, 2011.

[2[Note de LDH-Toulon] – Thierry Mariani a été promu Ministre des transports, le 29 juin 2011.


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