les vœux aux armées de Nicolas Sarkozy


article de la rubrique démocratie > Sarkozy : campagne 2012 et bilan
date de publication : samedi 14 janvier 2012
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En présentant ses vœux pour 2012 aux armées, mardi 3 janvier, sur la base aéronavale de Lanvéoc-Poulmic (Finistère), Nicolas Sarkozy n’avait rien laissé au hasard pour toucher le cœur des militaires.

Saluant le sacrifice des deux derniers légionnaires morts en Afghanistan, il s’est ainsi adressé d’emblée à la frange la plus conservatrice des officiers. « Ils sont morts pour que des petites filles, qui n’étaient pas les leurs, puissent tout simplement aller à l’école et ne soient pas mariées de force à 12 ans. Ils sont morts pour que des femmes, qui n’étaient pas les leurs, ne soient pas échangées comme des marchandises. [...] Ils sont morts pour que la France ait la fierté de respecter ses engagements. » [1]

Le président a multiplié les références aux valeurs – « honneur, patrie, valeur, discipline » –, et aux « glorieux aînés ». Il a repris les mots de l’ancien résistant, putchiste de 1961, Hélie Denoix de Saint-Marc, récemment élevé grand-croix de la Légion d’honneur – un hommage contesté.


Nicolas Sarkozy lors de sa visite sur la base de Lanvéoc-Poulmic (Finistère), le 3 janvier (Olivier Coret pour Le Monde)

La nostalgie des colonies, 
un fonds de commerce électoral

par Rosa Moussaoui, L’Humanité du 5 janvier 2012


La falsification et l’instrumentalisation du passé colonial ont contribué de façon décisive, en 2007, à la réussite de l’OPA de Nicolas Sarkozy sur les voix d’extrême droite. L’hôte de l’Élysée espère rééditer l’opération cette année.

Un président de la République citant, dans ses vœux aux armées, un ancien officier putschiste… L’extrême droite en rêvait, Nicolas Sarkozy l’a fait. Mardi, à l’école navale de Lanvéoc-Poulmic (Finistère), l’hôte de l’Élysée n’a pas hésité, pour exalter « l’honneur », « la patrie », « la discipline », à puiser dans un mauvais texte d’Hélie Denoix de Saint-Marc. Cet officier parachutiste membre de l’état-major du général Massu lors de la bataille d’Alger en 1957, acteur de premier plan du putsch d’avril 1961, a été récemment élevé par l’Élysée au rang de grand-croix dans l’ordre de la Légion d’honneur. Ce nouveau clin d’œil aux nostalgiques de l’Algérie française ne doit rien au hasard. Il s’inscrit clairement dans une stratégie de reconquête de l’électorat d’extrême droite.

Le 22 avril 2007, Jean-Marie Le Pen enregistrait un score de 10 % à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle. Cinq ans plus tôt, le vieux chef de l’extrême droite provoquait un séisme politique en accédant, avec 17 % des voix, au second tour. Aux élections législatives de juin 2007, le Front national (FN) enregistrait son plus bas score depuis vingt ans, avec seulement 4,5 % des voix. Nicolas Sarkozy pouvait se réjouir. Cet effondrement du FN signait le succès complet de sa stratégie de conquête du pouvoir, orientée dès 2002 vers le racolage des électeurs frontistes. Les discours martiaux de l’hôte de la place Beauvau, pourfendeur de la « racaille », héraut de la lutte contre « l’insécurité » et champion de la chasse aux sans-papiers séduisirent alors, au-delà de ses espérances, l’électorat d’extrême droite. Mais un autre aspect du discours sarkozyen contribua de façon décisive à la réussite de cette OPA sur les voix d’extrême droite : la falsification et l’instrumentalisation du passé colonial.

Dès 2005, les députés UMP mettaient en scène leur nostalgie du temps des colonies. Jusqu’à donner corps à une loi, votée le 23 février 2005, mettant chercheurs et enseignants en demeure de vanter les « aspects positifs » de la colonisation. La controverse publique qui suivit offrit à la droite l’occasion de fustiger sur tous les tons « la mode de la repentance », « l’auto-flagellation » et même « le terrorisme des nostalgiques du tiers-mondisme » (sic). Le 29 novembre 2005, dans l’hémicycle, la députée UMP des Alpes-Maritimes, Michèle Tabarot, se jetait ainsi dans une violente diatribe contre  les enseignants qui font tous les jours, devant leurs élèves, le procès de la colonisation  ». Avant de louer les bienfaits de cette France coloniale qui « a transformé des marécages en terres fertiles ».

L’antienne sera reprise mot pour mot, tout au long de la campagne présidentielle, par le candidat Sarkozy. Le 7 février 2007, à Toulon, le chef de l’UMP se lançait dans une stupéfiante apologie des conquêtes coloniales, exaltant « le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Égypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve qui ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation ». Un mois plus tard, le 9 mars, à Caen, Nicolas Sarkozy franchissait un pas de plus dans le mensonge et la réécriture de l’histoire. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de puissances coloniales dans le monde qui aient tant œuvré pour la civilisation et le développement et si peu pour l’exploitation », assenait-il. Le 30 mars, à Nice, le même convoquait le registre de l’anti-France, cher à l’extrême droite, pour légitimer son entreprise de falsification : « Je veux dire aux Français qu’ils auront à choisir entre ceux qui aiment la France et ceux qui affichent leur détestation de la France (…), qui veulent ressusciter les haines du passé. »

Cette période fut aussi marquée par un mouvement de réhabilitation des criminels de l’OAS. C’est ainsi que fut inaugurée en 2005 à Marignane, dans le silence complice des membres du gouvernement et des représentants de l’État, une stèle glorifiant Degueldre, Dovecar, Piegts, et même Bastien-Thiry, celui-là même qui tenta, le 22 août 1962, d’abattre le général de Gaulle au Petit-Clamart.

D’une campagne présidentielle à l’autre, les calculs électoraux restent les mêmes. Quitte à malmener, encore et toujours, la vérité historique, celle d’un système colonial fondé sur la violence, l’arbitraire, la spoliation, celle d’une sale guerre durant laquelle la torture fut institutionnalisée.

Gageons que le cinquantenaire de l’indépendance algérienne offrira aux caciques de l’UMP l’occasion d’entonner une nouvelle fois les vieilles rengaines colonialistes empruntées à l’extrême droite. L’opération est d’ailleurs déjà lancée. Le 1er novembre dernier, Jean-François Collin, ancien activiste de l’OAS condamné à douze ans de réclusion, recevait, devant la stèle de Marignane, les insignes de chevalier de la Légion d’honneur des mains de Jean Biraud, chef des commandos de l’OAS à Oran et condamné à mort par contumace. Le 17 novembre dernier, le ministre de la Défense, Gérard Longuet, dont personne n’ignore le lourd passé d’extrême droite, rendait public le projet de transférer aux Invalides les cendres du général Bigeard, symbole du recours à la torture, icône des nostalgiques de l’Algérie française. Le 28 novembre dernier, c’est Nicolas Sarkozy lui-même qui décorait Hélie Denoix de Saint-Marc, un homme dont le passé de résistant et de déporté ne saurait légitimer ses choix ultérieurs en Algérie, un «  soldat perdu  » toujours animé d’une haine tenace envers de Gaulle. L’idée de cette décoration avait été soufflée à l’hôte de l’Élysée par son conseiller Patrick Buisson, ancien directeur du journal d’extrême droite Minute, aujourd’hui patron d’un cabinet de sondages et directeur général de la chaîne de télévision Histoire depuis 2007. Un ancien plumitif de l’extrême droite en stratège de la chasse aux voix frontistes… Qui dit mieux ?

Rosa Moussaoui


Notes

[1Extrait de « Pour les militaires, Nicolas Sarkozy a fini par endosser les habits de chef des armées », par Nathalie Guibert, Le Monde du 5 janvier 2012.


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