les dérives du Stic


article de la rubrique Big Brother > les fichiers de police : Stic, Judex ...
date de publication : samedi 15 mars 2008
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Parmi les fichiers de police, le Stic (Système de traitement des infractions constatées) est l’un des plus importants. Il ne possède d’existence légale que depuis 2001, mais, depuis 1994, il a rassemblé une masse considérable d’informations provenant des comptes rendus d’enquêtes rédigés après l’ouverture des procédures pénales. D’après un recensement de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des
libertés), en janvier 2004 il répertoriait les données de 23 millions d’individus dont 13 millions de victimes et 5 millions de suspects.

En 2005, la Cnil avait reçu 3 834 plaintes concernant le Stic. Après vérification, elle avait constaté que 44 % des dossiers examinés posaient problème (délais expirés, données erronées, etc.).
Des erreurs qui peuvent avoir des conséquences dramatiques dans le monde du travail.

Aujourd’hui, on apprend qu’un commissaire est mis en examen pour avoir utilisé le Stic à des fins personnelles...

La Cnil a effectué un “contrôle” du Stic en septembre-octobre 2007. Il faut que son rapport soit rendu public sans tarder !


Le commissaire monnayait des informations provenant du Stic

d’après Le Monde des 15 et 16 mars 2008

Le commissaire de police Patrick Moigne, chef de la brigade des fraudes aux moyens de paiement de la police judiciaire de Paris (BFMP), a été mis en examen le 14 mars 2008 pour "violation du secret professionnel" et "corruption active et passive d’une personne dépositaire de l’autorité publique". De janvier 2006 à juin 2007, le commissaire aurait perçu plus de 20 000 euros en monnayant à des tiers des informations puisées dans des fichiers de la police, en particulier ceux du STIC .

Alex Türk, sénateur du Nord et président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), dit ne pas avoir été "fondamentalement surpris" par cette affaire. "De nombreux fonctionnaires de police ont la possibilité de consulter le STIC, déclare M. Türk. Or, la vérification de leurs motivations, obligatoires, est aléatoire. Les risques de dérapage pourraient être considérablement réduits si une vérification systématique avait lieu, cela dissuaderait." Parmi les préoccupations de la CNIL, qui avait relevé lors de sa précédente enquête, en 2004, un taux d’erreur "d’environ 25 %", le retrait du fichier des personnes relaxées est une priorité.

La Cnil s’attelle au contrôle des fichiers de police

[AFP - 2 oct 2007] — La Commission nationale de l’informatique et des
libertés (Cnil) s’est attelée au contrôle des fichiers de police en commençant
par le système de traitement des infractions constatées (Stic), avant
d’entamer celui des empreintes génétiques puis des renseignements généraux, a
indiqué mardi son président Alex Türk.

Depuis début septembre et jusque vers la mi-octobre, les contrôleurs de la
Cnil épluchent le Stic de la police nationale, créé en 2001 [1]. Le ministère de l’Intérieur avait déjà modifié le fonctionnement de ce système, en octobre
2006, après des remarques du gendarme de l’informatique qui s’inquiétait de
possibles "dérives", notamment par manque de mises à jour.

En fin d’année, et pour un mois environ, les contrôleurs de la Cnil
s’attaqueront au fichier national automatisé des empreintes génétiques
(Fnaeg) [2]. Créé en 1998 pour les infractions sexuelles, ce fichier a été élargi en 2003 à d’autres infractions. Il compte aujourd’hui 400 000 spécimens. Pour ces deux fichiers, le contrôle de la Cnil est une première et porte aussi bien sur la teneur des informations, les modalités et la durée de leur conservation, ainsi que les raisons pour lesquelles les personnes y sont inscrites.

Début 2008, la Cnil, qui rend publics les résultats de ses inspections,
entamera un contrôle des fichiers des renseignements généraux, le dernier
remontant à huit ans, une entreprise d’envergure qui nécessitera des
déplacements en province.

« Il était temps de faire un contrôle global des fichiers de police, mis de
côté notamment pour des raisons de moyens », a souligné Alex Türk, qui s’est
félicité de la création de 15 nouveaux postes à la Cnil, prévue dans le budget
2008 du ministère de la Justice. Parallèlement, la Cnil a aussi entrepris le
contrôle des fichiers des ressources humaines de plusieurs grandes entreprises
privées.

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Des fichiers de police sans foi ni loi

par Brigitte Rossigneux et Dominique Simonnot
Le Canard enchaîné du 20 déc. 2006 [extraits]

Des dizaines de millions de victimes et de suspects joyeusement mélangés. Et des erreurs dans tous les coins
Un rapport remis à Sarko tire la sonnette.

Un rapport plutôt saignant vient d’atterrir sur le bureau de Sarko. Un groupe de travail réuni tout exprès y décrit un certain nombre de « dysfonctionnements » des « fichiers de police et de gendarmerie », en particulier lorsqu’ils sont utilisés pour des enquêtes administratives de moralité. Au bilan : erreurs, informations qui auraient dû être effacées ou consultations sauvages par des personnes non autorisées. Et pour le citoyen le résultat est le même : calamiteux.

Ce rapport n’a pas été rédigé par quelques extrémistes exaltés. Sous la houlette du très sarkozyste (et socialisant, et ex-grand maître du Grand-Orient) Alain Bauer, patron de l’Observatoire de la délinquance, les plus grands chefs flics et pandores, des hauts magistrats, le président de la Cnil ou encore le médiateur de la République ont apporté leur contribution à ce diagnostic glaçant. [...]

Les ratés du monstre

Le plus gigantesque de ces fichiers, selon le groupe de travail, est le Stic (Système de traitement des infractions constatées). A lui seul, ce monstre recense 32 millions d’infractions, 4 750 000 personnes mises en cause et 2 250 000 victimes. Un outil indispensable pour la police, mais qui souffre de sérieuses malformations. D’abord, le Stic est bourré d’erreurs. Les membres du groupe de travail en sont tout retournés. Ils expliquent que des informations dont la durée légale de conservation avait expiré demeuraient dans le fichier. En 2004, un grand ménage a abouti à la suppression de 1 241 742 fiches de « mis en cause » et de 49 843 « victimes ». Mais, dernièrement, la Cnil estimait encore à 20 %, au bas mot, le nombre d’erreurs.

Idem pour Judex, la base de données propre aux pandores, dont une récente expertise a démontré que deux fiches sur trois contenaient des bourdes ou devaient être effacées. Riche de ses 8 300 000 affaires qui touchent 2 800 000 personnes, Judex existe depuis vingt ans. Mais, détail amusant, ses ordinateurs ne sont déclarés que depuis un mois ! Auparavant, la gendarmerie vivait dans l’illégalité. Heureusement, aucun magistrat n’a eu l’idée d’engager des poursuites... Pas gênés, les pandores conservent également en toute illégalité leurs bonnes vieilles fiches cartonnées, qui seraient, selon le rapport, au nombre, excusez du peu, de 60 millions. « Vous savez, soupire un général, on travaille depuis longtemps avec des tas de fichiers et on apprend qu’il faut en déclarer certains ! » Il est vrai que la loi Informatique et Libertés est toute récente : à peine trente ans. Il faut laisser aux gendarmes le temps de se mettre au courant.

Casier de secours

Pourtant, aux audiences correctionnelles, où l’on sait si peu de chose sur les prévenus, le Stic et le Judex (dont la fusion en un seul « Big Brother » est prévue pour la fin 2007 [3]) font souvent office de casier judiciaire parallèle [4]. D’où ce petit couplet, souvent entendu dans la bouche des juges : « Votre casier est vierge mais vous êtes mentionné X fois au Stic. » Les avocats peuvent vociférer, rares sont les magistrats qui récusent cette référence douteuse. Il y en a pourtant : « Je refuse qu’on en fasse état à mon audience  », explique Serge Portelli, vice-président à Paris.

Alain Bauer, qui a mené le fameux groupe de travail, confirme d’ailleurs « un taux d’erreurs considérable ». D’abord, au moment de l’entrée des données dans le fichier. Un clic de l’opérateur sur la mauvaise case et hop, une victime peut se transformer en « mis en cause » et vice versa. Ensuite, le suivi des dossiers que les parquets doivent assurer est souvent oublié. Un non-lieu passe à la trappe. Une relaxe n’est pas transmise. Un classement sans suite ignoré. Et les données, fausses ou vraies, sont conservées de quinze à quarante ans, suivant les cas.

D’où la suggestion du rapport de créer un organe de contrôle indépendant et des mises à jour régulières. Une proposition qui risque de rester dans le tiroir, car, selon Bauer, le groupe de travail s’est « violemment affronté au ministère de la Justice, qui ne voulait pas en entendre parler...  ».

Tête de Türk

Prises en compte par les autorités administratives, des informations fausses peuvent être la cause de véritables drames. Et, comme si cela ne suffisait pas, se pose aussi le problème des consultations illégales. Pas moins de 95 000 policiers, gendarmes, douaniers, fonctionnaires divers sont habilités à interroger les fichiers de sécurité Stic et Judex. Certains en profitent pour alimenter quelques officines privées où ont trouvé refuge des collègues retraitée ou recasés. A raison de plus de 50 000 interrogations par jour sur ces bases de données, difficile de repérer les abus. La preuve, tout juste 12 sanctions ont été prononcées en 2005 pour consultation abusive.

Et autant ne pas compter sur la Cnil, réduite à faire de la figuration. En 2006, de l’aveu même de son président, l’UMP grand teint Alex Türk, elle aura effectué 120 contrôles quand l’équivalent espagnol en a réalisé 600 ! Avec un budget squelettique de 9 millions d’euros, qui en fait la lanterne rouge des autorités administratives et a obligé son malheureux président à quémander 300 000 euros pour « finir l’année », la Cnil ne peut employer que 90 personnes. Son homologue allemande en aligne 400...

Consultée, comme le veut la loi, lors de la création du fichier Eloi des étrangers à expulser, la Cnil, « débordée », n’a pas eu le temps de répondre, ce qui équivaut à un « accord »... Alex Türk confie que « ce n’est qu’un exemple. Parmi d’autres ». Pour recenser tous les ratés, il faut créer un fichier ?

En flagrant des listes…

Non, après examen du dossier, ni Louisa ni Leila ne sont dignes de devenir françaises, puisqu’elles figurent au Stic, le fameux système de traitement des infractions constatées. « Vous vous êtes rendues auteurs de violences volontaires les 18 et 29 décembre 1996  », leur a écrit la Direction de la population et des migrations. Très déçues, les deux soeurs sont aussi très surprises. Car si des violences ont bien été commises ces deux jours de décembre 1996, ce sont elles les victimes ! Frappées à deux reprises. Louisa a même eu le nez fracassé.

L’affaire s’est arrangée après un recours déposé par l’avocat des deux soeurs, certificat d’hospitalisation et copie de leur plainte à l’appui. Me Alain Mikowski y a joint ce commentaire ironique et étonné : « Vous comprendrez que je m’interroge, compte tenu des erreurs commises et du préjudice qui en résulte pour mes clientes, sur les conditions d’accès par vos services à un tel fichier, dont la légalité n’est pas certaine. »

C’est par hasard que Jacques, professeur de philo à la retraite, a découvert qu’il était fiché au Stic. Il avait appris la mésaventure survenue à deux employés d’une société de sécurité, licenciés ce « stiqués » en tant que délinquants, alors qu’il s’agissait de victimes

Par curiosité, Jacques entame la procédure, fait sa demande à la Cnil. Bingo ! Il y figure deux fois, à cause de deux plaintes qu’il a déposées, l’une pour le vol de sa voiture, l’autre pour celui de ses papiers. L’ancien prof demande alors au procureur de Bourg-en-Bresse de l’en faire effacer. « Le fichage, écrit-il, est une atteinte aux libertés, on sait que cela peut devenir un jour très dantereux. » Réponse du procureur : « Les informations concernant les victimes sont conservée un maximum de quinze année et ne peuvent être effacées que lorsque l’auteur du crime ou du délit a été définitivement condamné. » Jacques rirait presque de cette « histoire de fous », et ajoute : « Hélas, ni la police ni moi n’avons jamais retrouvé les voleurs ! » Une précision : lorsqu’il a porté plainte, nul n’a prévenu notre philosophe qu’il serait désormais répertorié au Stic et pour quinze ans.

Une autre histoire, celle de Maria, qui a bel et bien été condamnée pour un recel commis en 1994, lorsqu’elle avait 20 ans. Bilan, une peine avec sursis et mise à l’épreuve (qui porte bien son nom). Après cinq ans, Maria a été réhabilitée de plein droit et nul ne peut plus évoquer sa condamnation.

En 2004, embauchée comme agent commercial par une société de sécurité, elle atteste donc sur l’honneur « ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation non amnistiée » ni « d’aucune poursuite ou information pénale en cours ». Un an plus tard, la préfecture refuse son agrément pour défaut de «  moralité  ». La loi Sarkozy de 2003 a en effet étendu les interdictions professionnelles «  aux éléments de comportement ou de moralité de la personne, en dehors de toute commission d’infraction  ». Maria est aussitôt licenciée, son employeur lui reprochant en outre d’avoir menti.

Après un recours gracieux et un référé devant le tribunal administratif, Maria a fini par gagner : le refus d’agrément par la préfecture était illégal. Elle demande maintenant aux prud’hommes de constater son licenciement abusif. Et, en attendant, elle pointe au chômage.

Brigitte Rossigneux et Dominique Simonnot

Notes

[1En réalité, le Stic existe depuis 1994, mais il ne possède une existence légale que depuis l’été 2001.

[2Pour le Fnaeg, voir le Fnaeg pour les nuls.

[3Cette fusion donnera naissance à un nouveau fichier joliment dénommé Ariane.


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