les bonnes questions du Cnis


article de la rubrique Big Brother > le ministère de l’EN et les fichiers
date de publication : vendredi 26 mars 2010
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La lecture de documents du Conseil national de l’information statistique [1] peut être très instructive. On découvre, par exemple, dans le compte-rendu daté du 4 mars 2010 de la réunion du 12 octobre 2009 de sa Commission services publics [2], que ses participants soulèvent les mêmes questions que les opposants à Base élèves 1er degré.

Le problème essentiel est lié à l’absence de précision concernant la finalité de l’identifiant national élève (INE) et celle de l’enregistrement d’informations personnelles dans les bases de données du ministère de l’Education nationale [3]. S’agit-il pour le ministère de

  • dénombrer – par exemple, les élèves inscrits au CNED – ?
  • ou d’établir des statistiques – pour estimer, par exemple, la proportion des élèves qui à l’issue de l’enseignement primaire ne maîtrisent pas les notions élémentaires d’arithmétique – ?

Dans ce dernier cas, on peut légitimement demander pourquoi il n’est pas fait appel aux techniques bien connues d’échantillonnage qui permettent d’obtenir des réponses sous forme de pourcentages – ce qui évite l’enregistrement de données nominatives pour la totalité des élèves [4] ?

Et pourquoi n’a-t-on pas mis en place un cryptage des informations qui aurait empêché l’exploitation ultérieure de données personnelles susceptibles de stigmatiser les individus ?

Autant de questions sous-jacentes au débat du Cnis pour lesquelles les opposants à Base élèves attendent toujours des réponses
claires.

Ils redoutent en effet que la mise en place de Base élèves ne soit l’amorce d’un fichage généralisé de la population. A cet égard, les soupçons d’utilisation de ces bases de données pour le repérage d’enfants délinquants [5] ou d’enfants issus de familles immigrées non-régularisées [6] n’ont pas été levés, ce qui ne manque pas d’alimenter l’inquiétude des familles.

[Mise en ligne le 15 mars 2010 – dernière mise à jour le 26]



Lors de sa réunion du 12 octobre 2009, la Commission Services publics et Services aux publics du Cnis a adopté la proposition d’avis qui devait être entérinée lors de l’assemblée plénière du Cnis, jeudi 28 janvier 2010, au Ministère de l’économie [7]. Rappelons-en le point 5 :

Le Conseil exprime de nouveau l’importance qu’il accorde à la constitution d’un système d’information permettant de suivre les parcours scolaires des élèves et étudiants. Il réaffirme le besoin d’analyser ces parcours et leur diversité. A cet égard, il appuie la DEPP dans ses efforts d’expliciter les finalités de l’identifiant unique élève et celles des informations sociales contenues dans les bases de données qu’elle utilise.

La réunion du 12 octobre 2009 était présidée par Pierre-Yves GEOFFARD (CNRS et École d’Économie de Paris). Cédric AFSA de la DEPP (Direction de l’Évaluation, de la prospective et de la performance au ministère de l’éducation nationale) a commencé par faire le point sur le programme de travail 2010 [8] :

Cedric AFSA

La troisième orientation porte sur la remontée de données individuelles. Un certain nombre d’informations récupérées par le biais des établissements conservent aujourd’hui un caractère agrégé, notamment pour ce qui est des données concernant les apprentis et les bénéficiaires d’actions de formation continue. Il s’agira de pouvoir étudier plus finement la variabilité des situations et les inégalités dans ces domaines.

Plus généralement, l’enjeu sera de poursuivre la consolidation et le développement des systèmes d’information individuels. Nous éprouvons aujourd’hui des difficultés à progresser dans l’immatriculation des élèves. Le sujet est en effet sensible, comme en témoigne les débats survenus autour de la base élèves premier degré. Les plaintes exprimées par divers représentants du corps social ont abouti à vider la base d’un certain nombre d’informations. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a, par la suite, rendu sur le sujet un avis mitigé. Nous tentons aujourd’hui de relancer des discussions, au niveau interministériel et au-delà, dans le but de pouvoir répondre aux objectifs du moyen terme concernant le suivi des parcours au sein du système éducatif. L’Éducation nationale a par ailleurs besoin de ce type d’outils, ne serait-ce que
pour évaluer l’impact de réformes telles que celle de la voie professionnelle.

Et voici un large extrait du compte-rendu qui nous semble tout à fait intéressant [8] :

Philippe TOURNIER, Syndicat national des Personnels de Direction de l’Education Nationale (SNPDEN)

L’identifiant national unique constitue un véritable « serpent de mer ». De fait, des difficultés ont été rencontrées vis-à-vis de la base élèves premier degré. Cela étant, une base existe dans le secondaire, qui repose sur un identifiant national élève. 15 à 20 % des élèves du secondaire y sont ré-identifiés chaque
année. Pourquoi n’arrive-t-on pas à apporter des solutions à ce problème, ne serait-ce que pour le secondaire ? Les réinitialisations faisant suite aux changements d’établissements ne permettent pas le suivi complet des parcours. La question de l’identifiant lors du passage des élèves dans l’enseignement supérieur se pose également. Les parcours ne sauraient être appréhendés d’un point de vue statistique si les élèves « disparaissent » à la sortie du secondaire pour « renaitre » ensuite dans l’enseignement supérieur.

Philippe CUNEO, Cnis

Les réticences que peuvent avoir certaines associations de parents d’élèves vis-à-vis de la base élèves sont liées à l’exploitation de données confidentielles susceptibles de stigmatiser les individus. Dans ce domaine, ne pourrions-nous pas prendre exemple sur les procédés mis en oeuvre par l’assurance maladie ? Un certain nombre d’informations pourraient ainsi être cryptées. Il pourrait être également envisagé de recourir à des échantillons, de nature à décourager les tentatives d’identification.

Pierre-Yves GEOFFARD

Il s’agit d’un sujet sensible sur lequel le Cnis devrait pouvoir se positionner. Dans des domaines tels que les retraites, la santé et l’enseignement, il existe un réel besoin de suivi des trajectoires dans le temps, d’autant que celles-ci s’avèrent de plus en plus hétérogènes. Pour ce faire, il devient nécessaire de disposer d’un identifiant permanent pour les individus. Cela étant, une grande confusion semble subsister, au sein de l’opinion publique, entre la statistique et le « fichage ». La différence entre les deux approches demeure mal comprise. La solution pourrait être de constituer des échantillons, en vue de lever les craintes quant à la mise en oeuvre d’un hypothétique fichage individuel. Il s’agirait de préciser que les trajectoires individuelles nécessitent d’être suivies uniquement à des fins statistiques.

Cédric AFSA

Il existe bien un identifiant national élève (INE) pour le second degré. Celui-ci est cependant géré au niveau de chaque académie. Tout changement d’académie risque ainsi de se traduire par une ré-immatriculation de l’élève. L’enjeu serait de construire juridiquement une base nationale des identifiants élèves. Des négociations sont en cours, y compris en lien avec des enjeux d’acceptabilité.

Faisant une certaine confusion entre statistique et fichage, le projet d’avis du Comité des droits de l’enfant de l’ONU sollicite une clarification des objectifs de la base élèves premier degré. En l’absence d’une telle clarification, le Comité pointe le risque que cette base soit utilisée pour le repérage d’enfants délinquants ou d’enfants issus de familles immigrées non-régularisées.

En fait, les débats autour de cette base se sont inscrits dans la continuité de ceux portant sur le fichier EDVIGE. Aujourd’hui, toute tentative de consolidation d’un système d’informations individuelles se heurte à ce type de résistances. L’idée serait donc de reprendre le dialogue et de faire comprendre les objectifs de connaissance des trajectoires. Parmi les solutions envisagées figurent le cryptage. Des travaux sont menés, en parallèle, dans ce sens. Il s’agirait ainsi d’interdire le retour à l’identifiant lui-même – ce dernier étant
considéré comme indirectement nominatif par la Cnil. Un dispositif est aujourd’hui presque prêt.

La constitution d’échantillons, quant à elle, n’a pas encore été discutée. Une réflexion doit être menée sur la taille des échantillons. De tels outils devront pouvoir être utilisés localement par les académies, y compris pour appréhender les trajectoires de populations très fines telles que celle des apprentis.

P.-S.

[ Ajouté le 26 mars 2010 ]

Lu au BOEN du 25 mars [9] :

Programme des opérations statistiques et de contrôle de gestion des directions d’administration centrale - 2010

A - Opérations statistiques DEPP
Thème 1 : Effectifs d’élèves et d’apprentis
Remontées de fichiers et collectes informatisées
7 - Base nationale des identifiants élèves (application BNIE)
Référence LOLF : programme 139, enseignement privé des premier et second degrés, responsable de programme directeur des affaires financières ; programme 140, enseignement scolaire public du premier degré, responsable de programme directeur général de l’enseignement scolaire.

Finalité : la base est utilisée comme fichier de référence pour les applications informatiques de gestion de la scolarité du ministère et pour les opérations statistiques de la DEPP auprès des établissements. L’utilisation d’un identifiant national unique permettra à terme de suivre les parcours de formation et géographiques des élèves, apprentis et étudiants.

Champ : France métropolitaine, DOM, COM, Nouvelle-Calédonie. Premier degré. Établissements publics et privés d’enseignement.

Collecte de l’information : dès l’admission définitive d’un élève dans une école du premier degré - opération dans Base élèves premier degré (BE1 D) - une demande d’immatriculation est adressée à la BNIE ; la BNIE restitue l’identifiant national élève (INE) de l’élève à BE1 D dès le lendemain, sauf dans le cas de deux élèves ressemblants pour lequel la demande est mise en instance. Les demandes en instance sont traitées par les inspections académiques.

Calendrier : instruction permanente.

Notes

[1Pour obtenir des précisions sur cet organisme officiel, on consultera cette page.

[2Référence : document N° 51/D130 http://www.cnis.fr/agenda/CR/CR_0536.pdf.

[3Voir la présentation de Base élèves sur le site du ministère : http://www.education.gouv.fr/cid244....

[4A ce sujet, voir : lettre ouverte aux enfants sur la BNIE.

[5Voir cette page : les décrocheurs vont morfler.

[8Référence : pages 20-22 du compte-rendu cité dans la note [2].

[9Référence : Bulletin officiel spécial n°3 du 25 mars 2010
http://www.education.gouv.fr/cid508....


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