le rapport de la Fidh sur le procès d’Yvan Colonna


article communiqué de la FIDH  de la rubrique justice - police > la Corse
date de publication : samedi 17 mai 2008
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Cinq mois après le verdict condamnant le nationaliste à la détention à perpétuité pour l’assassinat, en février 1998, du préfet de Corse Claude Erignac, la Fédération internationale des ligues de droits de l’Homme (Fidh) publie son rapport sur le procès [1]. Vous pourrez prendre connaissance de ses conclusions ci-dessous.

La Fidh avait envoyé des observateurs au procès, qui s’est déroulé à Paris du 12 novembre au 14 décembre 2007. Elle dénonce « un ensemble de manquements dans les règles présidant au respect de la présomption d’innocence, des fautes ou des imprécisions dans l’instruction et la fragilité des éléments retenus à charge ». Elle exprime également des réserves sur le système de la cour d’assises spéciale, composée uniquement de magistrats, pour les affaires de terrorisme.

Le premier président de la cour d’appel de Paris, Jean-Claude Magendie, rappelle dans un communiqué « le caractère non définitif de l’arrêt critiqué » — Yvan Colonna, qui clame son innocence, doit être rejugé en appel à Paris devant une nouvelle cour d’assises spéciale —
et considère que ces critiques « peuvent s’apparenter à une pression sur les juges d’appel ».
Il estime que l’organisation judiciaire française « manifeste le strict respect des standards européens, notamment en ce qui concerne l’exercice des droits de la défense ».


Les conclusions du rapport de la mission d’observation du procès d’Yvan Colonna tenu à Paris du 12 novembre 2007 au 14 décembre 2007

A. Sur le procès d’Yvan Colonna

Pour la FIDH, l’observation de ce procès aura mis en
lumière un ensemble de manquements dans les règles
présidant au respect de la présomption d’innocence, des
fautes ou des imprécisions dans l’instruction et la fragilité
des éléments retenus à charge.

C’est ainsi qu’en violation extrêmement grave du principe
de la présomption d’innocence, deux ministres de
l’intérieur successifs ont déclaré publiquement, bien avant
le procès, qu’Yvan Colonna était l’assassin du préfet
Erignac.

Ces propos ont été largement repris par les médias, de
sorte que tant sur le plan national que sur le plan
international Yvan Colonna a majoritairement été présenté,
durant toutes les années ayant précédé son jugement,
comme l’assassin du Préfet Erignac.

Durant le procès, il a été révélé que la mise en cause
d’Yvan Colonna, au stade de l’enquête policière, est
intervenue alors que, contrairement à ce qui avait toujours
été officiellement affirmé, les policiers responsables de la
DNAT le soupçonnaient déjà en raison de ses liens
d’amitié avec Ferrandi et Alessandri.

De plus, il est apparu que les gardes à vue des co-accusés
d’Yvan Colonna et de leurs épouses ne s’étaient pas
déroulées avec l’étanchéité pourtant toujours avancée
comme garante de la crédibilité de la mise en cause
d’Yvan Colonna.

Dans une affaire dépourvue de toute preuve matérielle,
l’acquittement ou la condamnation de l’accusé ne repose
que sur l’appréciation des témoignages.

Or si les témoignages fondant l’accusation ont été
fluctuants, flous, voire ambigus pour certains d’entre eux,
tel n’était pas le cas de celui des témoins oculaires qui,
avec fermeté, même s’agissant d’un ami du Préfet
Erignac, ont affirmé qu’ils ne reconnaissaient pas Yvan
Colonna comme étant le tireur.

L’audience publique a mis au grand jour les errements des
enquêteurs, les circonstances réelles de la mise en cause
d’Yvan Colonna, les manquements des juges d’instruction
qui ont refusé tout acte à décharge et les contradictions
contenues dans le dossier.

Le verdict rendu, à savoir la condamnation à perpétuité
d’Yvan Colonna sans peine de sûreté exceptionnelle, a
suscité un sentiment de malaise dont la presse s’est fait
l’écho, tant il est vrai qu’il donne à penser que les juges
eux-mêmes n’ont pas été convaincus qu’Yvan Colonna ait
été le tireur. Or, c’est bien en cette qualité qu’il avait été
mis en cause par les membres du commando…

Ce procès, qui s’est voulu équitable dans la forme, a
consacré une situation dans laquelle l’accusé devait faire
la preuve de son innocence, alors qu’il n’a pas été exigé de
l’accusation qu’elle établisse sa culpabilité.

B. Sur les garanties du droit à un procès équitable

L’observation de ce procès aura confirmé le manque de
garanties du droit à un procès équitable par le système
juridique et judiciaire français de lutte contre le terrorisme.
Ces craintes avaient déjà été mises en lumières par la
FIDH dans un rapport publié en 1999, « La porte ouverte à
l’arbitraire », à la suite d’une enquête sur le système
répressif anti-terroriste français et notamment la loi n°86-
1020 (modifiée ensuite par la loi 86-1322 et la loi 96-647).
Ce rapport mettait déjà en lumière un certain nombre
d’éléments, qui ont été confirmés à l’occasion du procès
d’Yvan Colonna par la Cour d’Assises Spéciale.

Une Cour « professionnelle » proche décidant à la
majorité simple

La mise en place de la Cour d’Assises Spéciale, pour juger
les crimes de terrorisme consacre la professionnalisation
du jury (composé de sept magistrats : un juge et six
assesseurs), au lieu du jury traditionnellement composé de
citoyens. Ce choix est destiné à éviter la déstabilisation du
système de la justice pénale qui aurait pu résulter de
l’intimidation éventuelle des jurés. Or cette
professionnalisation, qui va de pair avec l’inquiétante
étroitesse des relations entre le Parquet, les juges
d’instruction et les juridictions de jugement, remet en
cause le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et
impartial, surtout depuis la « concentration des pouvoirs »
de 1986, qui a confié à une section particulière du Parquet
de Paris la responsabilité, sur l’ensemble du territoire
français, de toutes les instructions relatives à des
allégations de terrorisme.

Enfin, cette Cour spéciale adopte ses décisions à la
majorité simple, une règle délicate dans un contexte ou les
preuves sont parfois difficilement avérées.

Une instruction à charge

L’observation du procès Colonna aura également confirmé
les avis quasi-unanimes des personnes interviewées en
1999, sur le fait que l’instruction en matière anti-terroriste
se déroule uniquement à charge. Les interrogatoires
semblent avoir être faits essentiellement sur le mode
inquisitorial. Cela conduit les juges d’instruction à éprouver
une certaine forme de répugnance à prendre en compte
les éléments contradictoires, voire à tirer les pires
conclusions de preuves fragiles et indirectes.

Faiblesse des « preuves »

Le procès d’Yvan Colonna révèle enfin la faiblesse des
éléments de preuve nécessaires à justifier la culpabilité
d’un prévenu. Faute de preuves matérielles, d’autres
preuves, même les plus insignifiantes, peuvent se voir
accorder une certaine importance, et entraîner une
décision de culpabilité. Par ailleurs, l’intention du prévenu,
élément constitutif d’une infraction, n’attire pas
suffisamment l’attention des juges d’instruction et des
magistrats.

La faiblesse de l’importance des éléments constitutifs de la
culpabilité est renforcée par le fait que les décisions de
culpabilité ne sont pas motivées.

L’article 6 de la Convention européenne de protection des
droits de l’Homme qui garantit le droit à un procès
équitable, garantit aussi le droit pour toute personne
accusée d’être informée en détail, dans une langue qu’elle
comprend, de la nature et des raisons de l’accusation dont
elle fait l’objet. Pour la FIDH, ce droit comprend le droit
d’être informé en détail sur le raisonnement sur lequel est
fondé tout verdict de culpabilité. Cette nécessité de
motiver les décisions apparaît d’autant plus fondamentale
pour les jurys professionnels de la Cour d’Assise spéciale,
que l’absence de motivation des verdicts d’assise est
traditionnellement présentée comme le corollaire du fait
qu’ils émanent directement de la souveraineté populaire.

La FIDH réitère donc à l’occasion de ce rapport, la
recommandation formulée en 1999, de renforcer les
obligations légales de toutes les juridictions de fournir les
motivations et les preuves fondant toute décision,
ordonnance ou jugement, qui affecte la liberté et les droits
du suspect ou du prévenu.

Notes

[1Pour téléchargé le rapport : http://www.fidh.org/IMG/pdf/fr491f.pdf.


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