le président de la section face à “la Marseillaise”


article de la rubrique la section LDH de Toulon
date de publication : mercredi 21 janvier 2015
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Philippe Comani, le président de la section toulonnaise de la Ligue des Droits de l’Homme, est interrogé ici par l’équipe rédactionnelle de la Marseillaise. Des questions qui portent inévitablement sur l’actualité brûlante et les réponses restant à apporter pour faire face aux nombreux défis sociaux, sociétaux et culturels qui se sont fait jour avec une violente acuité. Mais aussi sur les dérives auxquelles il va falloir savoir appeler à résister.


Philippe Comani devant la rédaction de La Marseillaise (photo Claude Gauthier, janvier 2015)

Continuer le combat pour un avenir solidaire

  • Vous souhaitiez adresser un message particulier à la presse en ce début d’année...

Je veux d’abord présenter mes meilleurs vœux à la Marseillaise et à tous ses lecteurs. En espérant que l’année 2015 sera une année de droit et de liberté pour tous. C’est, en ce moment, important de le préciser...

Par rapport à cet attentat dramatique, la République a été atteinte en son cœur. Et il y a eu en réponse, je m’en félicite, une mobilisation populaire, citoyenne et républicaine. Au regard de ces enjeux, je crois qu’il est primordial que l’avenir soit républicain et soit du côté des droits et des libertés. Je suis satisfait qu’il y ait un retour des citoyens vers la presse écrite. Ce qui serait bien c’est que la presse pluraliste puisse dans son ensemble continuer à bénéficier de ce sursaut.

  • La LDH est intervenue en 2014 sur de nombreux dossiers. Selon vous, quel est celui qui est porteur de la plus grave atteinte à la liberté et à la dignité ?

Chaque situation est dramatique quel que soit le sujet. Si je retenais un seul fait, mais c’est complètement arbitraire, ce serait l’agression raciste de Birame en gare de Toulon. C’est vraiment représentatif de la nécessité de combattre toutes les discriminations, de combattre pour l’égalité.

Racisme en gare de Toulon

Pour mémoire, la gare de TouIon a été le théâtre en novembre dernier d’une scène de quasi lynchage. Avec, au départ, semble-t-il, un contrôle au faciès qui dégénère par une foule chauffée aux préjugés sociaux et aux idées nauséabondes.

Hué, frappé et jeté hors du train, Birame S., 41 ans, raconte dans notre édition du 14 novembre, la mésaventure dont il a été victime. C’est dans un premier temps la Ligue des Droits de l’Homme qui nous alerte. Avec pour les militants associatifs plus qu’une simple conjonction de faits malencontreux qui auraient dégénéré. La couleur de peau de monsieur S. ayant vraisemblablement alimenté des fantasmes. Des faits attestés par le témoignage d’un défenseur des droits de l’Homme.

  • La page qui reprenait ce fait divers sur notre site Internet a battu des records de fréquentation. Est-ce un signe encourageant ?

C’est positif, parce qu’on peut avoir parfois le sentiment d’une relative indifférence vis-à-vis des causes que nous défendons. Or, là on voit finalement que les citoyens sont prêts à réagir et à se mobiliser face à l’arbitraire. C’est rassurant. Et le point d’orgue de cette révélation a été le rassemblement du 11 janvier. C’est important que les gens se retrouvent positivement sur leurs droits, leurs libertés, sur le vivre ensemble. Parce qu’on a parfois le sentiment que ce sont toujours les mauvais exemples qui ressortent. On a des gens râleurs qui ont peur de l’autre, qui sont dans la jalousie, le rejet et l’individualisme. C’est donc rassurant de voir que les gens peuvent se mobiliser collectivement.

  • Est-ce que vous avez l’impression que le département du Var est particulièrement marqué par les atteintes aux droits de l’Homme ?

Les droits de l’Homme ont besoin d’être protégés partout ! ! Il n’existe pas de zone d’exclusion pour les défendre. Le problème, c’est qu’il y a dans le Var, et plus largement en région Paca, un terreau favorable à ce courant. Mais ces idées sont contraires aux idées du vivre ensemble et sont incitatives à l’exclusion de l’antre, donc au mépris des droits de l’Homme.

  • Êtes-vous particulièrement, à la LDH, vigilants sur les villes du département aux mains de l’extrême droite ?

Il existe une coordination départementale regroupant associations et syndicats. Nous travaillons déjà sur un échange de diagnostics et d’expériences. Nous avons pris conscience dans ce département qu’il était essentiel de combattre les idées véhiculées par l’extrême droite, ses préjugés. Sans se substituer pour autant aux organisations politiques et à leurs propositions programmatiques. Mais avec la mise en place d’une résistance dans les communes tombées aux mains du Front national et une vigilance dans toutes les autres ... Il y a régulièrement, par exemple, au sein du conseil municipal de Toulon des prises de position contre la culture, sur des noms de rues. Ils [les élus du Front national, ndlr] sont extrêmement méthodiques. Ce ne sont pas des actes isolés ou innocents.

  • Au-delà des rangs du FN, n’assiste-t-on pas à une banalisation de ces idées d’extrême droite ?

On assiste en effet à une dérive populiste de la part de certains politiques qui estiment pouvoir être gagnants électoralement. Avec une tentation de la droite républicaine de se rapprocher de l’extrême droite, surtout dans ce département. Dans le Var, on a donc à faire face à la fois à une droite extrême et une extrême droite. Des prises de position d’autant plus graves qu’elles se font jour dans un moment où la population fait preuve par endroits d’un certain renoncement. La persistance de la crise, du chômage, amène en effet certains à être tentés par le repli. Et à chercher les causes de leurs ennuis chez l’autre. En considérant les personnes qui ont une certaine différence comme une menace.

  • Est-ce que les Roms subissent plus particulièrement ce type de rejet ?

En effet. Mais ce n’est pas possible de continuer d’aborder les Roms et les gens du voyage de façon négative. Ces personnes sont des êtres humains qui méritent que soit respectée leur dignité. Chacun apporte une contribution dans notre société. A partir du moment où les personnes choisissent de vivre parmi nous, elles n’ont pas à être mises de côté, à la marge de notre société.

Les Roms sont des êtres humains

« En dépit de la circulaire du 26 août 2012 qui stipule que toute évacuation d’un camp ou d’un bidonville doit donner lieu à un relogement et à un accompagnement social, des milliers de Roms continuent, eux aussi, de vivre dans la rue ou dans des conditions indignes, installés sur des terrains insalubres, en butte à d’infinies difficultés pour accéder aux soins et pour scolariser leurs enfants », rappelle la Ligue des Droits de l’Homme.

Pour mémoire, en décembre 2013, le maire de Roquebrune-sur-Argens (Var), Luc Jousse, avait regretté, au cours d’une réunion publique, que les pompiers aient été prévenus trop tôt » lors de l’incendie d’un camp rom. Ce qui donne un petit aperçu de la façon dont on traite ces populations.

A Toulon, de nombreux squats ont été évacués sans pour cela que des mesures d’urgence soient prises en faveur des personnes, adultes et enfants, qui continuent leur errance dans la ville. Mieux, des grilles sont érigées de part et d’autre de la place du Souvenir français, pour un coût de 47 000 euros, pour éviter que les familles roms perturbent nuitamment les lieux. Le repos éternel des uns ne devant visiblement pas être gêné par la présence des autres.

  • Le dispositif « voisins vigilants » ne cesse de prendre de l’ampleur dans le département. N’est-ce pas une forme de dérive sécuritaire ?

Il faut savoir que ce dispositif « voisins vigilants », qui malheureusement, c’est vrai, se propage dans notre département, se fonde essentiellement sur des fantasmes. Il repose, en effet, sur un sentiment d’insécurité qui ne correspond pas du tout à la réalité. Il ne faut pas nous faire croire que les campagnes du Haut-Var sont le théâtre d’une plus grande insécurité qu’ailleurs sur le territoire.

Les services de police, la Justice travaillent et obtiennent des résultats. Il n’y a pas de laxisme. Et les chiffres de délinquance dans le département ne sont pas exceptionnels.

On a un individualisme, un repli sur soi qui ne sont absolument pas justifiés. La seule police légitime, je le répète, c’est la police de l’État, c’est la police municipale. Des agents administratifs qui sont seuls habilités à assumer ce rôle. Avec ce dispositif, on a une atteinte majeure à la vie privée. Il est inadmissible que des personnes s’octroient un pouvoir de surveillance.

Le dispositif « voisins vigilants » c’est un mode surveillance basé sur l’arbitraire. Ça nous renvoie à une période obscure de notre histoire où la pratique de la délation était encouragée.

  • L’actualité récente vous pousse-t-elle à revoir votre façon d’agir, de réagir ?

Je ne peux, pour commencer, qu’inciter les citoyens à s’engager plus avant et à rejoindre la Ligue des Droits de l’Homme. D’autant que la procédure a été simplifiée : il suffit de se connecter sur le site national.

Je les invite aussi à continuer à s’indigner chaque fois que nécessaire face aux atteintes aux droits et libertés. Nous organisons un cercle de silence et de solidarité le samedi 24 janvier de 11h30 à 12h30, c’est une bonne occasion pour venir nous rejoindre et marquer sa solidarité avec nos migrants.

Tous Charlie... mobilisés jusqu’aux urnes

« Il est important que les gens qui se mobilisent aujourd’hui pour Charlie Hebdo ne soient pas les abstentionnistes de demain. Étant bien entendu que ce n’est pas la liberté d’expression qui sortirait gagnante d’une abstention massive », rappelle Philippe Comani.

« Il y a actuellement un mouvement fort de sympathie en faveur des organisations qui se sont mobilisées. Il est important que la réflexion puisse se poursuivre. De rester le plus longtemps Tous Charlie. De continuer à défendre les droits et liberté qui, nous l’avons vu, sont très fragiles.

Concernant les prochaines échéances électorales, nous n’allons pas tarder à questionner les candidats aux élections cantonales et régionales, comme nous l’avions déjà fait pour ceux des européennes et municipales.
Et le 13 mars nous allons organiser une conférence-débat avec l’historien Jean-Marie Guillon, à la fac’ de Droit, pour parler de la Grande Guerre, envisagée comme sujet pour combattre l’extrême droite.

Ce qui permettra d’évoquer la nécessité de la mémoire comme remède aux idées d’extrême droite. »

Cela étant dit, nous observons forcément aussi avec inquiétude, à la Ligue des Droits de l’Homme, le tournant sécuritaire qui semble être pris. Parce qu’alors qu’il y a quinze lois contre le terrorisme qui ont déjà été adoptées depuis 1986 – la dernière sortie tout récemment en novembre 2014, dont tous les décrets d’application n’ont pas encore été votés – , le gouvernement annonce le renforcement de nouvelles mesures. Il serait pourtant regrettable que nos pouvoirs publics se précipitent dans le tout sécuritaire sans se préoccuper de l’existant, et cela nécessite déjà la mobilisation de moyens financiers et humains. Il faut aussi faire en sorte qu’un diagnostic soit établi concernant les erreurs qui auraient pu être commises par rapport aux terroristes et à leur surveillance.

Mais avant tout, il est urgent de s’interroger sur les causes du terrorisme en France. Je ne parle pas seulement du fanatisme ou de l’intégrisme.

  • Pourquoi des gens se tournent vers la haine ? Qu’est-ce qui n’a pas marché au niveau éducatif, au niveau du vivre ensemble pour que des jeunes se réfugient dans la haine ?

Il va peut-être falloir enfin se doter de moyens pour y faire face. J’ai notamment observé les réactions dans les écoles face aux minutes de silence. Avec des enseignants qui n’avaient pas toujours les moyens éducatifs pour répondre aux élèves.

Et puis, il y a aussi cette société des quartiers qui est dans un mal-vivre, tentée par un repli sur soi, sur la communauté, dans la haine de l’autre. Il va falloir s’occuper de ça. Je pense que c’est plus important que de renforcer les dispositifs de sécurité dont on dispose déjà de tout un arsenal. Et de se précipiter dans un Patriot act à la française qui finalement serait un risque d’arbitraire qui s’assoirait sur les droits aux procès équitables, sur les droits de la défense. Avec des procédures d’exception, une surveillance d’exception, qui sont contraire à un État de droit. Il faut accorder, au contraire, plus de moyens à l’éducation, à l’éducation populaire, pour permettre de développer le vivre ensemble et les valeurs républicaines. Vous savez que l’association Vivre à la Serinette a fermé faute de soutiens, faute de moyens. Qu’est-ce qui reste pour assurer la cohésion dans les quartiers ? Il faut une véritable politique de la ville.

  • Y a-t-il selon vous une réelle volonté de prendre le mal à la racine de la part de nos gouvernants ?

Le problème c’est qu’on est toujours dans le temps médiatique qui est l’immédiateté. Et la seule immédiateté visible serait la mise en place de mesures sécuritaires, une réponse pénale. On le voit avec toutes ces comparutions immédiates sur l’apologie du terrorisme, avec des peines de prison ferme. Alors qu’il y avait un traitement judiciaire qui était plus lent, plus long.

Le fanatisme, l’intégrisme ne peuvent être combattus que sur du long terme. D’autres drames pourraient survenir plus tard. Il va falloir que les pouvoirs publics s’y mettent.

  • La politique du gouvernement Valls va-t-elle selon vous dans le sens des valeurs que vous défendez à la LDH ?

Ce que nous souhaitons à la Ligue des Droits de l’Homme c’est construire un avenir solidaire fondé sur la prédominance des valeurs républicaines. Et nous estimons que ce doit être le prisme de l’action publique. La LDH est donc extrêmement critique face à la politique actuelle d’accueil et de séjour des étrangers. Même si on salue par ailleurs les avancées, par exemple que le mariage pour tous soit devenu une réalité. Nous ce qu’on souhaite à la LDH c’est qu’il y ait des véritables mesures fortes contre les discriminations, contre le racisme, contre l’antisémitisme. Des mesures qui fassent vraiment évoluer les mentalités.

Thierry Turpin
avec R.A., G.ST.V, LA. ET A.M.



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