le ministère de la Justice voit des terroristes partout


article de la rubrique justice - police > antiterrorisme
date de publication : dimanche 29 juin 2008
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Le Syndicat de la magistrature révèle une note dans laquelle le ministère de la Justice demande aux parquets de porter une attention particulière aux violences qui seraient commises par « la mouvance anarcho-autonome », notamment « à l’occasion de manifestations de soutien à des prisonniers ou d’étrangers en situation irrégulière ».

La circulaire du ministère est téléchargeable
(pdf 98 Ko).


Communiqué du Syndicat de la Magistrature

La Direction des Affaires Criminelles voit des terroristes partout

Le 13 juin dernier la Direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la Justice a publié une note à destination des parquets afin de faire face à « la multiplication d’actions violentes commises sur différents points du territoire national susceptibles d’être attribuées - ça n’est donc même pas sûr - à la mouvance anarcho-autonome », notion dont il convient d’observer l’absence de contours précis.

On y apprend que, « outre des inscriptions sur des bâtiments publics (en clair, des tags), cette mouvance s’est manifestée par la commission d’actions violentes en différents points du territoire national au préjudice de l’Etat et de ses institutions » et que « c’est aussi à l’occasion de manifestations de soutien à des prisonniers ou d’étrangers en situation irrégulière (nous y voilà) que ses membres s’expriment, parfois avec violence ».

Le zèle développé à cette occasion par la Chancellerie prêterait presque à sourire s’il n’était ensuite demandé aux magistrats « d’informer dans les plus brefs délais la section anti-terroriste du parquet de Paris pour apprécier de manière concertée l’opportunité d’un dessaisissement à son profit » et, par voie de conséquence, de permettre une extension quasi illimitée d’une législation d’exception.

Cette manière de procéder devrait ainsi permettre – au prétexte bien commode et très consensuel de lutte contre le terrorisme – de renforcer la répression à l’encontre des différents acteurs du mouvement social.

A n’en pas douter, la philosophie générale de cette note singulière est à rapprocher des propos récemment tenus par le porte-parole de l’UMP à l’encontre du Réseau Education Sans Frontières et autres collectifs « faiseurs de provocations » et « semeurs de désordre » qui - bientôt suspects d’appartenir à cette fameuse « mouvance anarcho-autonome » - pourront bénéficier d’un traitement judiciaire de faveur.

Le Syndicat de la magistrature dénonce avec force ce procédé et invite les magistrats à faire preuve du plus grand discernement dans la mise en œuvre de cette scandaleuse dépêche.

Paris, le 26 juin 2008

La chancellerie donne des instructions sur "la mouvance anarcho-autonome"

par Isabelle Mandraud, Le Monde, du 28 juin 2008

Dans une note adressée le 13 juin à l’ensemble des parquets, le ministère de la justice met l’accent sur une "multiplication d’actions violentes (...) attribuées à la mouvance anarcho-autonome", en demandant aux tribunaux, pour chaque affaire de ce genre, de se dessaisir au profit de la section antiterroriste de Paris. Ces consignes, inspirées des notes des renseignements généraux qui insistent depuis plusieurs mois sur le sujet, ont provoqué, jeudi 26 juin, la colère du Syndicat de la magistrature (SM). L’application de ce courrier, accuse-t-il, permettrait "une extension quasi illimitée d’une législation d’exception".

Dans un communiqué intitulé "La direction des affaires criminelles voit des terroristes partout", le syndicat dénonce le zèle du ministère de Rachida Dati : "Cette manière de procéder devrait ainsi permettre - au prétexte bien commode et très consensuel de lutter contre le terrorisme - de renforcer la répression à l’encontre des différents acteurs du mouvement social."

Dans sa note, le ministère justifie sa démarche en expliquant que cette mouvance "se caractérise notamment par des liens entretenus avec des ressortissants de pays tels que l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, la Grèce et la Grande-Bretagne et peut afficher un soutien à d’autres mouvances terroristes". Il poursuit : "Outre des inscriptions réalisées sur des bâtiments publics, cette mouvance s’est caractérisée par la commission d’actions violentes en différents points du territoire national au préjudice de l’Etat et de ses institutions (préfecture, douane, administration pénitentiaire)." Le ministère cite "des destructions de véhicule", "des jets d’engins incendiaires contre des bâtiments publics" ou des "manifestations de soutien à des prisonniers ou d’étrangers en situation irrégulière (...), parfois avec violence". "Nous y voilà !", réagit le SM.

Faisant état de "réunions régulières d’évaluation de la menace", Guillaume Didier, porte-parole de la chancellerie, estime que "le SM commet une grave confusion". "Les manifestations, même lorsqu’elles donnent lieu à des violences, relèvent du droit commun et le resteront", affirme-t-il.

Poignée d’individus

Jusqu’à présent, dans la catégorie très imprécise de "mouvance anarcho-autonome", la police a interpellé une poignée d’individus, notamment trois jeunes à Toulouse qui transportaient un explosif en novembre 2007. Quelques mois plus tôt, un livre, L’insurrection qui vient, rédigé par un "Comité invisible" anonyme (éditions La Fabrique), avait suscité l’émoi. Sur la foi des notes des RG, la ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, a donc agité à plusieurs reprises la menace de groupuscules d’extrême gauche favorisée par l’effondrement du PCF.

Par rapport aux années 1970, marquées par une idéologie très anticapitaliste, cette résurgence se manifesterait, selon un spécialiste, par une "myriade de contestations institutionnelles" qui craint que leur intensité ne finisse par atteindre "ce qui se passe en Italie et en Grèce". Ces derniers mois, rien n’est venu le confirmer. "Il n’y a rien de nouveau", indique un haut responsable policier. Les alertes à la bombe sur des TGV de Savoie, début juin, assorties d’une lettre de revendication en italien qui faisait référence aux Brigades rouges et à l’ex-activiste italien Cesare Battisti, provenaient d’un individu isolé, pas d’un activiste.

Isabelle Mandraud


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