Le nouveau maire du Luc-en-Provence, commune de 9 500 habitants du Centre-Var, est Philippe de la Grange. Sa liste Rassemblement Bleu Marine l’a emporté de 51 voix sur celle du candidat divers droite Dominique Lain, au second tour des élections municipales de mars dernier.
Philippe de la Grange n’est pas un novice en politique : il a déjà occupé des fonctions d’attaché parlementaire, de directeur de cabinet et de conseiller municipal, mais il était encarté RPR puis UMP. Il a adhéré au Front national en 2010.
Un exemple de militant UMP siphonné par le FN... dans une petite ville quelque peu “oubliée”.
Le nouveau maire affiche son programme pour les six années à venir sur le site internet de la section du Luc en Provence du Front national [1]. Il y affirme sa volonté de
réduire les dépenses communales, « en luttant contre toutes formes de gaspillages ». Mais ... il commence par donner le mauvais exemple en s’octroyant un coup de pouce de 15% qui lui permettra de disposer de 2404 euros par mois, le maximum légal pour une ville de 9500 habitants. Le maire a justifié cette augmentation en déclarant dans Var Matin, le 30 avril 2014, que « le travail de terrain d’un élu prend du temps et qu’il ne doit pas représenter de baisse de pouvoir d’achat » pour ceux qui l’exercent. Une première décision dénoncée par l’opposition qui la juge « légale... mais amorale. »
La sécurité ! la sécurité, vous dis-je !!
Dans ce domaine, la ville dispose actuellement de 6 policiers municipaux, 6 ASVP, une secrétaire et un placier. 14 personnes c’est évidemment insuffisant pour répondre au sentiment d’insécurité savamment entretenu. Voici donc quelques extraits du programme 2014 - 2020 [2] :
Il est le nouvel homme fort du Luc. L’un des onze candidats du Rassemblement bleu Marine à s’être emparé d’une commune française. Son élection fera date. Pourtant, Philippe De La Grange restait encore inconnu des Lucois à la veille de la campagne.
Ce transfuge de l’UMP, « las de l’inaction, de l’establishment et du non-renouvellement du parti », a réussi à convaincre que son parachutage en terre varoise était une chance pour Le Luc. Mandaté par le Rassemblement bleu Marine pour conquérir cette ville où les scores de l’extrême-droite progressent à chaque élection, il s’y installe en 2010. Et assume pleinement…
Discret, la voix fluette et la diction monocorde, il présente bien. Pèse toujours ses mots. Jamais l’un plus haut que l’autre. Un républicain qui cite Jaurès et Einstein dans sa profession de foi.
Gaulliste depuis toujours
Son discours modéré contraste avec les traditionnelles envolées, invectives et aboiements des cadres du FN. D’ailleurs, des soutiens des caciques du parti, lui n’en a reçu aucun. Une indifférence qu’il leur rend bien. En ne s’affichant jamais aux côtés d’autres candidats frontistes. Pas de visite de la famille Le Pen, comme à Brignoles. Nul besoin. « C’est une campagne locale », dit-il. Pas de service d’ordre, avec gorilles genre men in black, lunettes noires et oreillettes, pour sécuriser ses meetings. Il tranche avec les clichés. Incarne le renouveau et l’ouverture du parti, avec ses « convictions gaullistes », courant pourtant ultra-minoritaire. Jamais il n’aurait signé au FN du père Le Pen. Mais avec la fille Marine, c’est une autre histoire. « Je me sens bien ici. C’est un parti de terrain, proche du peuple et des militants. » Costard-cravate, rasé de frais et toujours en retrait, Philippe De La Grange paraît impassible en toutes circonstances.
Si ses colistiers le décrivent comme un grand sensible, lui peine à esquisser ne serait-ce qu’un sourire, même à la proclamation des résultats qui le consacrent au soir du second tour. Son épouse exulte. Lui a la victoire modeste. « Une satisfaction mesurée… » La victoire, d’une très courte tête, servie sur un plateau par des opposants divisés pour mieux le laisser régner.
Le fruit, aussi, d’une campagne active, menée dans l’ombre depuis plus de deux ans. Avec son think tank rapproché, ce cadre financier de 49 ans, a élaboré sa stratégie de conquête d’une ville « prenable », qui n’attendait que son candidat providentiel. Il l’incarne. Personne en mesure de rivaliser. Ni le maire sortant, désavoué comme tous ses prédécesseurs. Ni les autres postulants, divisés.
Diplômé d’une grande école, élu municipal dès l’âge de 24 ans, collaborateur de personnalités RPR nationales – dont il préfère taire le nom pour ne pas être assimilé à certaines affaires ! –, directeur culturel d’une grande ville du Nord… il met en avant son CV politique comme autant d’opportunités à saisir « pour le redressement de la commune ». Son expérience du monde professionnel également, qui lui « permet d’apporter l’ouverture d’esprit et le regard qui font cruellement défaut au microcosme d’une cité repliée sur elle-même ».
Le visage du nouveau Front national
À la différence de nombre d’autres candidats frontistes, son programme n’est pas la simple déclinaison de priorités nationales. Pas de copier coller d’un texte à trous en changeant le nom de la ville et du candidat. Seul le logo du Rassemblement et le slogan de « La force du bon sens » rappellent d’ailleurs son appartenance. Pour le reste, une tour hexagonale, symbole lucois par excellence, flanquée sur une flamme tricolore, fait toute la différence. Son programme est local. Il le décline en dix thématiques, que chacun de ses adjoints, secondé par un conseiller délégué, sera chargé d’appliquer. Des colistiers soigneusement triés sur le volet pour ce qu’ils sont. Et non pas faute de mieux, comme souvent. Son épouse Nathalie, cadre en ressources humaines, pour mener à bien la priorité numéro un, le développement économique. Un chef de centre pénitentiaire retraité, Pascal Verrelle, en charge de la sécurité. Un directeur de PME du BTP, pour l’urbanisme. Et ainsi de suite…
Du sang neuf, qui ne fait pas oublier pour autant la moyenne d’âge de la liste. Et l’important nombre de retraités. L’ancienne garde du parti trône aussi. Georges d’Aubas de Ferrou, royaliste patenté pas loin de décrocher la cantonale de 2011 ; Michèle Dutoya, ancienne conseillère régionale FN et municipale du Luc ; Roger Pasquier, ancien conseiller de Lucien Morel, cinq fois candidat aux cantonales et partisan du Front de la première heure ; Michel Jambard, candidat FN à la cantonale de 2007… Pas de quoi renouveler les générations comme le candidat victorieux se l’était juré, en quittant l’UMP.
Dans le Var, la plus longue route nationale de France, la RN 7, achève sa course entre d’énormes ronds-points et des communes qui votent massivement Front national. A l’ouest, voici Saint-Maximin, qui a donné 21 % de ses voix au parti de Marine Le Pen au premier tour des élections municipales, et surtout Brignoles, qui pourrait offrir à Laurent Lopez (37 %) un deuxième succès après la cantonale. A l’est, la route traverse Vidauban (27 % de vote FN), Le Muy (28 %), avant d’atteindre la mer à Fréjus, promise au frontiste David Rachline (40 %).
Entre les deux, il y a Le Luc et ses 37 % en faveur du candidat FN, Philippe de la Grange. Un bourg de près de 10 000 habitants, coupé en deux par la chaussée surélevée de la RN7, et surplombé par les piliers de l’autoroute A8, qui fonce de Nice à Paris. Le Luc, au centre du département, comme un parfait concentré de tous les tourments qui accablent les communes de ce Var du milieu.
« Le Luc, c’est une petite ville en train d’exploser », résume son maire, encore sous le choc de ce premier tour qui l’a classé troisième, à 20 points du FN. Comme déboussolé par ce présent si brutal, André Raufast – qui a délaissé son étiquette socialiste pour mener une liste d’ouverture – en resterait volontiers à l’évocation du passé. A l’histoire lointaine de ce village si républicain, dans un département alors ancré à gauche, qu’il monta un régiment pour aller défendre la démocratie contre la prise de pouvoir de Napoléon III.
Fuite des commerces
« Quand je suis arrivé ici, à la fin des années 1970, la municipalité voulait créer un nouveau village dans la plaine et abandonner le centre-ville, dont les vieilles demeures étaient trop associées à l’Ancien Régime », raconte-t-il. A l’époque, Le Luc était peuplé de « 95 % de Provençaux et de 5 % d’étrangers, dont moi », décrit ce médecin originaire de l’Hérault. Les choses ont changé. Les enfants des maraîchers et des viticulteurs locaux sont partis à Toulon ou Marseille, et ont été remplacés. « Aujourd’hui, 80 % de la population est composée de nouveaux Lucois, explique le maire. Nous gagnons 300 nouveaux habitants par an. »
Comme les autres communes qui bordent la RN7, Le Luc est touché par un phénomène massif. Chassées du littoral par les prix des logements, les classes moyennes viennent acheter leur résidence dans ce Var en retrait de la bulle immobilière, mais aussi de l’animation et de l’activité de la côte. Elles s’installent dans les lotissements de la périphérie, les parents vont travailler à Toulon ou Draguignan, les enfants passent des heures en car pour rejoindre un lycée. Et tout le monde pose un œil inquiet sur le centre du village qui n’a cessé de péricliter, cumulant délabrement des logements, fuite des commerces et concentration de foyers en difficulté, de populations issues de l’immigration frappées par le chômage ou de personnes âgée ne disposant que du minimum pour vivre.
C’est le cas de Marie Maccario, 86 ans, croisée dans une ruelle aux volets clos. Elle subsiste avec une retraite inférieure à 800 euros, mais se plaint surtout de devoir acheter les mêmes aliments à la dernière épicerie du centre-ville, faute de commerces plus variés. « Toutes les grandes surfaces sont en périphérie : quand on n’a pas de véhicule, on ne peut pas s’y rendre », dit l’amie avec laquelle elle papote.
Le FN « ne pourra pas faire pire que les autres »
Un peu plus loin, un couple, qui tient l’un des derniers commerces du centre – qui souhaite demeurer anonyme par souci de « tranquillité, à deux ans de la retraite » –, commente la situation en termes beaucoup moins amènes. Tous deux ont voté FN pour la première fois de leur vie parce que son candidat, un transfuge de l’UMP, « ne pourra pas faire pire » que les autres. « Le Luc est tombé si bas », soupirent-ils. Eux déplorent « la mauvaise clientèle » qui a peu à peu occupé le centre-ville, des « cas sociaux qui n’ont pas assez de revenus pour payer les impôts et faire marcher le commerce ». Pour eux, le plus gros du vote FN vient des lotissements récents, où « les gens ont peur de perdre leur situation, comme ceux qu’ils voient au centre-ville, et aussi d’être cambriolés ».
Dernier de la liste du FN, Pierre Naudin fait partie de ces résidents récents de la périphérie du Luc. Infirmier de profession, il a suivi sa femme qui travaille sur la base d’hélicoptères militaires à proximité. Habitué aux changements de résidences, il a été stupéfait de ne pas trouver cette fois la moindre possibilité d’exercer son métier au Luc. Tombé gravement malade, il a aussi été choqué par la faiblesse des services de santé. Ces insuffisances l’ont convaincu, pour la première fois de sa vie, de s’engager sur une liste FN.
L’accession à la mairie pourrait, selon lui, dissiper le sentiment d’insécurité ressenti par nombre de résidents : « Il y a peu d’agressions, mais les gens y subissent des incivilités, des remarques désagréables. Les femmes n’osent plus s’y aventurer seules en soirée. »
Pour Pierre Naudin, ces faits ne reculeront que lorsque le centre-ville aura été réhabilité, comme le prône la liste FN. Le maire venait, lui aussi, de lancer ces grands travaux de rénovation, retardés, selon lui, par l’instabilité chronique des majorités municipales, depuis plusieurs mandats. La montée du FN l’empêchera de mener à bien ces chantiers qui doivent sortir Le Luc du marasme des cités riveraines de la RN 7.
[1] Le Projet 2014-2020 pour Le Luc est accessible par un onglet de cette page
[2] Source : https://dl.dropboxusercontent.com/u....
[3] Voir : vidéo-surveillance ou vidéo-protection ?.