le Sénat a voté le projet de loi antiterroriste


article de la rubrique justice - police > antiterrorisme
date de publication : vendredi 24 octobre 2014
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Jeudi 16 octobre, le Sénat a adopté, après l’Assemblée nationale, le projet de loi de « lutte contre le terrorisme », qui permettra d’interdire pour six mois à un Français de quitter le territoire.

Le Sénat a également adopté un amendement introduit au dernier moment, permettant d’interdire administrativement à tout ressortissant de l’UE ne résidant pas habituellement en France d’y entrer dès lors que sa présence pourrait constituer une menace ...

[Mis en ligne le 19 octobre 2014, mis à jour le 24 ]



L’amendement qui inquiète les défenseurs des Roms

par Franck Johannès, Le Monde, le 17 octobre 2014


Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a discrètement glissé, mercredi 15 octobre, un amendement assez inquiétant dans la loi antiterroriste – que le Sénat, bonhomme, a adopté le lendemain sans ciller. Il s’agit de pouvoir interdire l’entrée en France d’un ressortissant de l’Union européenne, en dépit de la sacro-sainte liberté de circulation, s’il représente « une menace » pour la sécurité publique. Pas forcément une menace terroriste – le mot n’est même pas cité.

La formulation est tellement large que les associations se demandent si le texte ne vise pas, surtout, les Roms. A peine expulsés, ils reviennent. On pourra désormais leur interdire d’entrer. Un soupçon dont s’offusque le ministère.

La loi antiterroriste est examinée en urgence, c’est-à-dire avec une seule lecture par chambre ; l’Assemblée nationale, qui a adopté la loi le 18 septembre, n’a même pas entendu parler de ce fameux amendement. Il s’insère juste derrière l’article 1er, qui vise, lui, à interdire de quitter le territoire à « tout ressortissant français » lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire qu’il se rend « sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour ».

L’amendement porté par le ministre de l’intérieur s’intéresse non plus aux présumés terroristes sur le départ, mais aux terroristes étrangers qui débarqueraient. Il s’agit d’organiser « l’impossibilité pour ceux qui sont à l’étranger et qui sont convaincus d’avoir commis des actes terroristes de revenir en France, dès lors qu’ils n’ont pas la nationalité française », a expliqué Bernard Cazeneuve, ce qui ne lui semble pas « incohérent ».

« DÉFINITION EXTRÊMEMENT LARGE »

Effectivement, mais le texte pose problème. Tout étranger, mais surtout « tout ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne (…) ou tout membre de la famille d’une telle personne, peut, dès lors qu’il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l’objet d’une interdiction administrative du territoire lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l’ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ».

C’est-à-dire que le ministère peut interdire l’entrée en France d’un Belge, d’un Italien ou d’un Britannique si sa présence constitue une menace, ou de sa famille – si ce n’est toi, c’est donc ton frère. Le ministère doit motiver sa décision pour cette sérieuse entorse au droit de circulation, l’étranger a un mois pour saisir un juge ou devra attendre un an pour « introduire une demande de levée de la mesure  ».

« C’est une définition extrêmement large, qui permet d’interdire à à peu près n’importe qui l’accès au territoire », s’inquiète Serge Slama, maître de conférences en droit public à Paris-Ouest-Nanterre. Notamment aux Roms, qui sont près de 6 millions à vivre dans l’Union européenne. Le ministère de l’intérieur s’indigne du procès d’intention : « Nous appliquons la résolution des Nations unies du 25 septembre, qui vise à empêcher la circulation des groupes terroristes, assure la Place Beauvau. Il s’agit bien d’entraver les déplacements de ceux qui préparent des actes terroristes sur le sol français, qui mettent en danger les intérêts fondamentaux de la nation, comme le précise le texte, pas ceux qui font la manche. »

« ATTEINTE À UN DROIT FONDAMENTAL »

La « mendicité agressive », par exemple, d’une famille Rom constitue-t-elle une menace qui touche aux intérêts fondamentaux de la société ? Oui, a déjà répondu le Conseil d’Etat, le 1er octobre. Le Conseil examinait un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris, qui avait refusé d’annuler l’expulsion d’une Rom roumaine. Cette femme, qui vivait dans un bidonville de Seine-Saint-Denis, avait été interpellée avec dix autres le 8 janvier 2012 et placée en garde à vue pour avoir réclamé de l’argent avec la fausse documentation d’une association caritative. Au vu de cette « escroquerie à la charité publique », le préfet a pris le lendemain un arrêt d’expulsion.

Le Conseil d’Etat a relevé que la personne ne contestait pas les faits, qu’elle était en France depuis moins de trois mois, « qu’elle ne disposait d’aucun autre moyen de subsistance que la mendicité  », et que, bien que mère de quatre enfants, « l’un d’entre eux seulement était à sa charge ». Donc, « la présence de Mme A. en France constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la sécurité publique, qui constitue un intérêt fondamental de la société français » : mot pour mot les termes de l’amendement. Le Conseil d’Etat n’a même pas jugé bon de poser une « question préjudicielle » (une demande d’avis) à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), chargée du respect des droits fondamentaux de l’Union.

« La décision du Conseil d’Etat est extrêmement inquiétante, explique Claudia Charles, du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Cette femme n’a été ni condamnée ni même poursuivie pénalement, et le Conseil estime cependant qu’elle menace les intérêts fondamentaux de la société. La CJUE répète depuis des années que la liberté de circulation est une liberté fondamentale, l’un des piliers de l’Europe, que l’on ne peut restreindre que dans des conditions très contraignantes. On atteint aujourd’hui le point culminant de l’atteinte à ce droit fondamental. »

Il est certain que la CJUE s’alarme de la dérive, générale en Europe, de ces restrictions à la liberté d’aller et venir. Or, à la différence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui peut être saisie par n’importe quel citoyen européen, la CJUE ne peut se prononcer qu’à la demande d’un juge ou de la Commission européenne – qui s’en garde bien. C’est pour cette même raison que la cour administrative d’appel comme le Conseil d’Etat se sont prudemment refusés à lui poser une question préjudicielle.

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« L’apologie » et la « provocation du terrorisme » sur le Web inscrits dans le code pénal

Adoption de la loi au Sénat.
Le Sénat a adopté, jeudi 16 octobre, le projet de loi de « lutte contre le terrorisme » par 317 voix contre 28. Seuls les communistes et les écologistes ont voté contre. L’Assemblée nationale l’avait adopté le 18 septembre. Une commission mixte paritaire (7 députés, 7 sénateurs) doit désormais se mettre d’accord sur une version commune.

Interdiction de quitter le territoire.
Il sera désormais possible d’interdire pour six mois à un Français de quitter le territoire, s’il est soupçonné de vouloir participer à un groupement terroriste. La loi crée aussi un nouveau délit « d’entreprise terroriste individuelle ».

Blocage d’Internet. Seules « l’apologie » et la « provocation au terrorisme » sur Internet figureront dans le code pénal, a décidé le Sénat, contrairement à ce que souhaitait le gouvernement. La loi de 1881 sur la liberté de la presse continuera à s’appliquer à ces infractions sur les supports de presse traditionnels.

Franck Johannès, Journaliste au Monde


P.-S.

Mise à jour le 24 octobre

Création d’un dispositif d’interdiction administrative du territoire

Interrogée par 24H Sénat, Esther Benbassa a évoqué les inquiétudes chez les défenseurs des Roms provoquées par l’accord entre députés et sénateurs sur un amendement du gouvernement dans la loi anti-terroriste. L’amendement incriminé permet d’interdire administrativement de territoire « tout ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne (…) ou tout membre de la famille d’une telle personne, peut, dès lors qu’il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l’objet d’une interdiction administrative du territoire lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l’ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société »

« L’article 1er bis créant un dispositif d’interdiction administrative du territoire a été adopté par la commission mixte paritaire dans la rédaction du Sénat, sous réserve de quatre modifications rédactionnelles [1] »

Le texte devrait être adopté définitivement par l’Assemblée le 29 octobre, puis par le Sénat le 4 novembre.


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