le “Réseau sanctuaire”


article de la rubrique démocratie > désobéissance & désobéissance civile
date de publication : mardi 6 mai 2008
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Révoltés par les atteintes de plus en plus graves aux droits fondamentaux des “sans papiers”, une trentaine de militant(e)s associatifs des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon sont à l’origine de la création du “Réseau sanctuaire”.

Pour eux, la défense des droits de ces étrangers soumis à l’arbitraire administratif passe par la désobéissance à des textes contraires à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Conscients des sanctions qu’ils encourent — l’aide à des immigrés clandestins est passible de 5 ans d’emprisonnement et d’une amende 45.000 € d’amende — il leur paraît encore plus grave de ne rien dire et de laisser faire.

Le manifeste du réseau est reproduit ci-dessous. Vous pourrez le signer sur le site http://www.reseausanctuaire.net.


Manifeste français du Réseau Sanctuaire

Nous nous voulons responsables des valeurs fondamentales dont nous avons hérité :

Signataires de ce manifeste, nous nous déclarons gardiens de la tradition de l’hospitalité et de l’asile qui est à la source des sociétés humaines. Aujourd’hui, les politiques publiques, au travers des lois et des pratiques administratives, la restreignent au point d’en faire un leurre. C’est pourquoi nous réaffirmons publiquement que l’accueil et la solidarité à l’égard de toute personne, y compris « sans papiers », sont des engagements essentiels pour faire vivre cette tradition fondatrice.

En accord avec les valeurs humanistes dont nous avons héritées, nous nous reconnaissons d’abord comme membres de l’humanité, avant d’être citoyens d’un pays particulier. Cela signifie que les notions républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, s’adressent à tous les êtres humains, indépendamment de toute autre notion, fut-elle administrative. D’un point de vue éthique, les valeurs profondes comme la solidarité, le respect ou la justice... vont au-delà des frontières nationales.

Nous nous reconnaissons dans des démarches analogues antérieures :
- les réseaux « Sanctuaire » nés aux Etats-Unis pendant la guerre de Sécession pour cacher et protéger des noirs pourchassés, des déserteurs de l’armée, puis des demandeurs d’asile ;
- des mouvements de désobéissance civile lancés par David Thoreau et poursuivis par Gandhi, Martin Luther King et tant d’autres pour défendre les droits de populations opprimées ;
- et plus récemment du Réseau Education Sans Frontières pour empêcher la reconduite et obtenir la régularisation de familles « sans papiers ».

Nous reprenons à notre compte le mot « Sanctuaire » qui désigne un lieu d’asile et de protection absolue des personnes en danger pour leur dignité, voire leur vie.

Nous désobéissons et appelons à désobéir par respect de l’état de Droit et de la démocratie, car :

  • « Ce n’est pas le respect de la loi qui est un absolu, mais celui du Droit » (Paul Ricoeur), c’est-à-dire des droits humains fondamentaux.
     [1]

Arrêter un étranger en situation administrative irrégulière est légal
 [2], mais est-ce légitime ?

Cette dérive s’est amplifiée au début des années 1980 avec l’émergence de la « mondialisation ». Dans un contexte de concurrence économique qui s’internationalisait, les décideurs ont cherché à baisser au maximum le coût de la main d’œuvre [3], notamment en créant par la loi des travailleurs sans papiers et par là même sans droits. C’est le phénomène de l’immigration jetable qui se poursuit aujourd’hui sous le nom d’immigration « choisie ».

La chasse aux « sans papier » et le soupçon systématique qui en fait les boucs émissaires de tous les maux de notre société, servent avant tout à les maintenir dans un climat de peur permanente pour les rendre invisibles et dociles. En l’organisant, l’Etat français se rend complice de cette situation cynique. Depuis 2003, cette chasse s’est systématisée, notamment à travers :
- une politique d’objectifs chiffrés en matière de reconduite à la frontière [4] qui rend insignifiant le regard porté à la particularité des situations, et par là même à la dimension humaine ;
- l’augmentation des effectifs de police et de la capacité des centres de rétention administrative ;
- la suppression de la possibilité de régularisation « de plein droit » après 10 années de présence [5] ;
- les obstacles mis aux mariages quand l’un des futurs conjoints n’a pas de titre de séjour ;
- le renvoi des étrangers malades dont le traitement est compromis dans leur pays d’origine ;
- la multiplication des accords de réadmission [6] avec les pays dont sont originaires de nombreux « sans papier », pour faciliter et accélérer leur expulsion.

Elle se caractérise par un déplorable contournement des règles républicaines d’égalité et de fraternité :
- en faisant reposer une régularisation éventuelle sur la décision arbitraire du Préfet ;
- en obligeant certaines professions [7] à ce qui s’apparente à de la délation.

Cette politique se traduit par la multiplication de drames humains en violation des principes fondamentaux du Droit international :
- La Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juil. 1951 et son protocole additionnel de 1967, notamment l’interdiction de tout renvoi vers un pays où la vie et la liberté sont menacées (art. 33-1).
- La Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant du 20 nov. 1989, notamment : l’interdiction de toute discrimination à son égard compte tenu de la situation administrative de ses parents (art. 2-2) ; la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3-1), et sur cette base, le droit à ne pas être séparé de ses parents (art. 9-1) ; la reconnaissance du principe de responsabilité des deux parents concernant l’éducation de l’enfant (art. 18-1) ; la protection de l’enfant contre toute forme de violence physique ou mentale (art. 19-1) ; le droit à l’éducation sur la base de l’égalité des chances (art. 28-1) ; la protection contre la privation arbitraire de liberté (arrestation, détention ou emprisonnement) (art. 37-b) ;
- La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du 4 nov. 1950, notamment : l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants (art. 3) ; l’interdiction du travail forcé (art. 4-2) ; le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8) ; l’interdiction de la discrimination (art. 14) ; son protocole additionnel du 20 mars 1952, notamment le droit à l’enseignement (art. 2) ; ainsi que son protocole n°4 du 16 sept. 1963, notamment l’interdiction des expulsions collectives des étrangers (art. 4) ;
- Le préambule de la Constitution du 27 oct. 1946, notamment le droit à l’asile en cas de persécution (art.4) ; le droit à ne pas être lésé dans son emploi du fait de ses origines (art. 5) ; le droit à la protection de la santé (art. 11) ; l’égal accès à l’instruction (art. 13) ;

  • Le citoyen n’est pas celui qui est prêt à obéir à n’importe quelle loi, mais à respecter et défendre les droits fondamentaux de la personne humaine, sans aucune discrimination, jusqu’à désobéir à une loi ou un ordre contraire.

La référence internationale en la matière, est la Conférence de Londres
 [8]
qui est à l’origine de l’affirmation du devoir de désobéissance qu’a tout citoyen, même fonctionnaire en exercice, face à des ordres ou lois contraires au respect des Droits fondamentaux de la personne humaine. Aux yeux de la Justice, chacun(e) doit assumer les conséquences de ses actes.

C’est pourquoi, nous appelons :

- tous les citoyens : fonctionnaires (membres des corps de Sécurité, personnel de Préfecture, de mairie, enseignants...), salariés et bénévoles des structures privées ou associatives (notamment celles qui sont chargées de l’accompagnement et l’hébergement des étrangers), responsables et membres des organisations politiques, syndicales, laïques ou religieuses, l’ensemble des élus à :

  • s’informer et réfléchir sur cette réalité de la migration à l’heure de la mondialisation,
  • être avant tout attentifs à la dimension humaine des situations qu’ils ont à prendre en compte,
  • chercher d’abord à appliquer les droits fondamentaux formulés dans les déclarations et conventions internationales [9],
  • combattre toute les formes de délation,
  • utiliser toutes leurs marges de manœuvre pour résister avec intelligence aux ordres contraires à ces droits.

- les institutions en tant que telles : municipalités, partis, syndicats, entreprises, associations, Eglises, associations cultuelles... à se déclarer publiquement « zone sanctuaire », en accord avec le chapitre suivant.

  • Ce ne sont pas ceux qui désobéissent à une loi qui mettent en péril la démocratie, mais ceux qui sont prêts à obéir aveuglément à n’importe quelle loi ou ordre.

« Il faut beaucoup d’indisciplinés pour faire un peuple libre » (Bernanos). Ce sont en effet des personnes qui ont désobéi aux lois de leur temps qui sont à l’origine de la démocratie, de la République et plus largement des Droits. Nous nous inscrivons dans cette tradition.

C’est pourquoi, nous nous engageons, dans toute la mesure du possible, à travailler pour faire des lieux dans lesquels nous vivons, travaillons et nous engageons, des « zones sanctuaires ».

Cela signifie que nous sommes prêts à mettre en oeuvre tout ce qui sera nécessaire pour y assurer la protection des personnes en situation administrative irrégulière, et pour résoudre durablement leur situation, tant au niveau administratif que de l’emploi, de la santé et de la scolarité.

Nous savons qu’en agissant ainsi, nous allons à l’encontre la loi actuelle [10], mais nous revendiquons en cela le bénéfice de « l’état d’exception » reconnu par le code pénal [11]
et qui autorise un citoyen à désobéir à la loi pour « accomplir un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien... pour faire face à un danger actuel ou imminent ». Les « sans papiers » se trouvent en effet en permanence en situation de danger physique, moral et psychologique de par les conditions de vie, de travail, et de traitement administratif qui leur sont imposées.

Nous le faisons aussi dans le but de modifier la législation pour qu’elle prenne en compte et respecte strictement les droits fondamentaux de la personne tels qu’ils sont exprimés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Nous connaissons la lourdeur des sanctions légales possibles, mais nous ne nous reconnaissons pas comme des délinquants « criminels », car nous ne transgressons pas la loi actuelle pour des motivations personnelles, mais pour sauvegarder les droits fondamentaux de ceux qui ne peuvent en bénéficier dans le pays qui revendique pourtant la paternité des Droits de l’Homme. Nous sommes prêts à assumer et défendre cette position devant la Justice.

Nous fondons notre démarche sur trois principes majeurs :

- La responsabilité avant l’obéissance : le « bon » citoyen est responsable plus qu’obéissant. Il choisit de « répondre » [12], de réagir et d’assumer personnellement comme collectivement, face aux situations qu’il rencontre.

- Le Droit avant les lois : notre idéal démocratique est l’Etat de Droit qui ne doit pas être confondu avec « l’état des lois ». Certes, des personnes peuvent être « hors-la-loi », mais le plus grave est lorsque des lois deviennent « hors-le-Droit ». Le citoyen doit alors désobéir à ces lois pour sauvegarder le Droit.

- L’humanité avant la nationalité : notre allégeance première va à l’humanité, ce qui veut dire à chaque être humain, et non à un Etat national.

Vous pouvez signer ce manifeste sur le site http://www.reseausanctuaire.net

contact cavaliero@wanadoo.fr

Notes

[1Inscrits dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, reprise dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Elle est invocable juridiquement à travers les deux pactes des Nations Unies de 1966, et la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales de 1950, telle qu’amendée par le Protocole n° 11 du 21 novembre 1998.

[2Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, art L122.

[3Les deux autres moyens ont été l’automation de la production grâce à la robotique et l’informatique..., et la délocalisation de la globalité ou d’une partie de la production vers des pays où la main d’oeuvre est nettement moins chère.

[425.000 en 2007 ; 28.000 en 2008.

[5Sauf pour les Algériens et les Tunisiens en raison d’accords bilatéraux.

[6Intégrés dans des accords de coopération économiques, ils obligent les Etats signataires à « réadmettre » sur leur territoire leurs ressortissants que la France renvoie, ainsi que tous les étrangers qui ont transité par leur pays. Or, pour venir d’Afrique noire en Europe, on est obligé de passer par ces pays (Maroc, Algérie, Libye, etc...).

[7Notamment les responsables de structures d’accueil, les travailleurs sociaux, les enseignants, le personnel de mairie.

[8Qui a mis en place, en 1945, le tribunal de Nuremberg, afin de juger les crimes nazis. Elle a énoncé les notions de « crimes de guerre », « crime contre la paix » et « crime contre l’humanité ».

[9« Déclaration Universelle des Droits de l’Homme », « Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales »...

[10Code sur l’Entrée et le Séjour des Etrangers, et des Demandeurs d’Asile, article L622.

[11Code pénal, article 122-7.

[12Responsable vient du latin « respondere » qui signifie répondre.


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