le Fnaeg, ne vous en fichez pas !


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date de publication : lundi 21 novembre 2011
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Initialement réservé aux personnes condamnées pour des crimes à caractère sexuel, le fichage des empreintes génétiques a pris ces dernières années une extension démesurée qui en a changé la nature. Le fichage au Fichier national automatique des empreintes génétiques (Fnaeg) devient un moyen de surveillance et de contrôle de la population, utilisé pour tenter de briser des oppositions politiques : fichage de syndicalistes, de désobéisseurs, d’anti-OGM ...

De plus, comme nous l’avions rapporté il y a un an, des scientifiques, au premier rang desquels Catherine Bourgain, généticienne à l’Inserm, sont parvenus à la conclusion que le fichage des empreintes génétiques ne respecte pas les conditions imposées par la loi.

La Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature s’émeuvent de cette situation et demandent dans un communiqué commun une limitation du recours à ce type de fichage.


Communiqué commun LDH/SAF/SM

Paris, le 21 novembre 2011

Le Fnaeg, ne vous en fichez pas !

L’histoire du Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), créé en 1998, est, comme celle de nombreux autres fichiers, celle d’une expansion permanente qui finit par rompre gravement l’équilibre nécessaire en démocratie entre deux objectifs légitimes : la recherche des auteurs d’infractions d’une part et la protection des libertés individuelles d’autre part.

Expansion de son objet, d’abord, puisque, créé pour l’identification des auteurs de crimes et délits sexuels commis sur les mineurs de quinze ans, le Fnaeg concerne aujourd’hui presque toutes les infractions, y compris les moins graves qui, pourtant, donnent très rarement lieu à des expertises génétiques dans le cadre des enquêtes…

Expansion, surtout, du nombre de personnes inscrites dans le fichier. En moins de dix ans, six lois sont venues étendre le champ des prélèvements génétiques, si bien qu’aujourd’hui, plus de 1 700 000 profils sont recensés dans le fichier, pour des délits aussi divers que les vols, les extorsions, les dégradations ou les usages de stupéfiants… Pire, il n’est pas nécessaire d’être condamné pour être inscrit, il suffit simplement que des soupçons aient été portés sur la personne, et encore, pas par un magistrat mais le plus souvent à l’initiative de la police. A l’heure où plus d’un citoyen sur cinquante figure au Fnaeg, il est inquiétant de constater que plus d’un million n’y sont inscrits que comme simples suspects…

Cette augmentation démesurée du nombre de personnes fichées a fini par changer la nature du Fnaeg, initialement réservé aux personnes condamnées pour des crimes à caractère sexuel. L’inscription au fichier devient une peine en soi et crée une présomption de culpabilité appuyée sur un fichier de suspects permanents.

Et ce n’est pas la durée de conservation des données qui pourra apaiser les inquiétudes – 40 ans pour les condamnés, 25 pour les simples suspects – : un tel délai est manifestement disproportionné, à tel point que le Conseil constitutionnel, dans une décision du 16 septembre 2010, a dû rappeler que ces durées devaient être plus strictement limitées, notamment pour les mineurs. Sans grand effet pour l’instant…

La fébrilité du gouvernement, sur ces questions, est pourtant patente : refusant de se soumettre à un prélèvement de leur ADN, trente-quatre faucheurs d’OGM, condamnés par la justice française, se sont tournés vers la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation de leur vie privée. Plutôt que d’attendre sereinement l’arrêt, le ministère des Affaires étrangères a entrepris de leur proposer une somme d’argent afin qu’ils se désistent de leur action. Ils ont naturellement refusé, car ils sont de ceux qui pensent que les libertés publiques n’ont pas de prix. La manœuvre, toutefois, est éloquente !

Mais le pire est peut-être à venir. Les progrès en génétique semblent bien démontrer que les marqueurs génétiques entrés dans le fichier pourraient donner des informations assez précises sur l’origine géographique ou les prédispositions pathologiques des personnes inscrites. Il s’agirait dès lors, ni plus ni moins, que de constituer un fichier de type quasi-ethnique. Tout le contraire, en somme, des exigences minimales de la législation et des assurances données par les gouvernements successifs. Le 7 novembre dernier, Xavier Renou, membre des « désobéisseurs » poursuivi pour un refus de son prélèvement ADN, a vu son procès reporté dans l’attente de réponses aux questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par sa défense, notamment sur le caractère codant des marqueurs génétiques [1]. Le Conseil constitutionnel aura donc, très vraisemblablement, à se prononcer sur cette question de première importance.

A l’heure d’un certain endormissement démocratique, nous ne sous-estimerons jamais l’utilisation qui pourrait être faite, dans d’autres circonstances, d’un tel fichier.

Dans ces conditions, nous nous opposons à un développement illégitime du Fnaeg et demandons :

  • que ne figurent, dans ce fichier, que des personnes effectivement condamnées ;
  • que le nombre d’infractions motivant l’inscription soit drastiquement réduit ;
  • que les délais de conservation des profils soient mieux adaptés à la personnalité des auteurs ;
  • que, pour le moins, toute forme de réhabilitation judiciaire emporte retrait du fichier.

La campagne présidentielle commence et il nous paraît indispensable que les candidats se positionnent clairement sur des questions qui mettent aussi crucialement en jeu les libertés publiques.

Fichage ADN : tout ce que la police peut savoir sur vous

par Agnès Rousseaux, Basta !, le 15 novembre 2011


1,3 million de personnes sont fichées génétiquement en France, qu’elles aient été reconnues coupables ou pas. Un fichage généralisé à presque tous les délits – sauf financiers... – mais rendu illégal par de nouvelles découvertes scientifiques. Désormais, grâce à quelques segments d’ADN, on peut connaître certains détails privés sur une personne : son origine géographique par exemple. Une possibilité censée être interdite. Entretien avec Catherine Bourgain, chercheuse de l’Inserm.

  • Quelles informations les autorités judiciaires et la police peuvent-elles obtenir par un prélèvement ADN ?

Catherine Bourgain [2] : Pour le fichier des empreintes génétiques, on ne garde pas l’intégralité du prélèvement d’ADN, mais seulement des segments. En France, sept segments étaient sélectionnés initialement, situés un peu partout dans notre ADN. Depuis 2006, on prend 16 à 18 segments, car plus on fait de prélèvements sur une population, plus il faut un nombre important de segments pour réduire au minimum les marges d’erreur [3]. Ces segments ADN ont deux caractéristiques : ils sont différents d’une personne à l’autre, et ils sont censés être « non codants », c’est-à-dire qu’ils doivent permettre d’identifier les personnes mais n’apporter aucune autre information.

  • C’est ce que vous remettez en cause aujourd’hui ?

On revient actuellement sur cette description de l’ADN. Les scientifiques pensaient que certains segments ne servaient à rien, c’est-à-dire étaient « non codants », mais on se rend compte aujourd’hui qu’on ignorait simplement à quoi ils servaient, et qu’ils peuvent avoir un rôle particulier. Une équipe de chercheurs italiens qui travaillaient sur une maladie génétique rare a fait une découverte par hasard : le segment ADN lié à cette maladie est un de ceux choisis pour le Fichier français des empreintes génétiques (Fnaeg). Donc, en analysant ce segment, on peut définir si la personne est atteinte – ou peut être atteinte – par cette maladie.

  • Quelles autres informations les segments ADN du fichier français peuvent-ils contenir ?

Des chercheurs européens ont mis au point un logiciel qui permet de déterminer, à partir des segments ADN prélevés pour le Fnaeg, l’origine géographique de la personne. Car les segments n’ont pas exactement la même forme que l’on soit d’origine européenne, africaine ou asiatique. Avec 7 segments, on n’avait pas assez d’informations pour obtenir ce résultat. Mais avec 17 segments, c’est possible. Quand les parlementaires ont voté la création du fichier en 1998, il ne devait servir qu’à identifier les gens. Mais il est aujourd’hui illusoire de penser qu’on ne peut faire que ça avec ces prélèvements. Et on peut très bien découvrir prochainement que les segments fichés dans le Fnaeg donnent accès à de nouvelles informations.

  • Qui peut aujourd’hui être amené à subir un prélèvement d’ADN ?

En France, environ 1,3 million de personnes sont inscrites dans le Fnaeg. Il a été créé en 1998, par le gouvernement Jospin, à la suite de l’arrestation du tueur en série parisien Guy Georges. Il était au départ destiné aux infractions sexuelles et a ensuite été étendu, notamment en 2003. Tous les délits peuvent aujourd’hui justifier un prélèvement d’ADN, sauf les délits routiers, ceux liés aux droits des étrangers et les délits financiers. Depuis 2003, les personnes simplement « mises en cause » dans une affaire, mais encore non condamnées, peuvent être inscrites au fichier. Les données sont conservées pendant quarante ans pour les personnes condamnées, et vingt-cinq ans pour les autres.

  • D’où l’augmentation exponentielle du nombre de personnes fichées ?

Le gouvernement fixe des objectifs chiffrés, notamment dans les Indicateurs de performance des politiques publiques, annexés à la Loi de finances. Il est indiqué qu’en 2011 plus de 50 % des personnes simplement mises en cause (avant condamnation éventuelle) dans des affaires judiciaires doivent faire l’objet d’un prélèvement d’ADN. Ces objectifs sont en augmentation constante chaque année. Il y a une volonté claire de remplir le fichier.

  • Ce fichier d’empreintes génétiques permet-il de résoudre beaucoup d’enquêtes policières ?

Il y a deux utilisations différentes de l’ADN : lors d’enquêtes policières comme, par exemple, après un homicide, on peut comparer les traces d’ADN sur la victime et les prélèvements d’ADN des suspects. L’ADN sert alors ponctuellement à innocenter ou à prouver la culpabilité de quelqu’un. Ce n’est pas la même chose que de construire un fichier. L’utilisation ponctuelle a servi à légitimer l’enrichissement du fichier. Aujourd’hui, quand on a des suspects et une victime, la police entre les échantillons dans le fichier. Cela permet de justifier que c’est grâce au fichier que l’affaire a été résolue. Alors que si on avait comparé l’ADN prélevé sur la victime à celui des suspects, sans passer par le fichier, on aurait également établi la correspondance. On biaise ainsi les statistiques sur le nombre de cas résolus grâce au fichier Fnaeg.

  • La situation est-elle la même hors de France ?

En Grande-Bretagne, le fichier génétique comprend 5 millions de personnes. Des associations britanniques ont montré qu’il n’est pas possible d’avoir des statistiques valables sur l’utilité de ces fichiers : on ne peut pas identifier les cas qui ont été résolus grâce à eux. Une cinquantaine de pays dans le monde opèrent ce type de prélèvements. Il existe une interconnexion des fichiers via Interpol. L’argument des policiers qui font le prélèvement est : « Si tu n’as rien à cacher, tu n’as rien à craindre. » Mais ce n’est pas anodin de ficher de façon massive l’ADN d’une population. Nous sommes quand même passés par Vichy : on ne doit pas faire n’importe quoi avec des fichiers !

  • Les pratiques actuelles sont donc contraires à la loi, puisque le fichier ne devait servir qu’à identifier les personnes, et il est démontré qu’on peut déjà collecter plus d’informations. Comment réagit la justice face à cette illégalité ?

J’ai témoigné pour le procès du syndicaliste Xavier Mathieu, qui a été relaxé pour son refus de prélèvement ADN. Le jugement n’a pas fait explicitement mention de ces éléments scientifiques, mais les termes utilisés par le juge montrent que notre argumentaire a eu un impact. Cette preuve que l’on peut avoir accès à des informations sur les personnes via le prélèvement d’ADN le rend illégal, puisque contraire à ce qui a été voté par la loi. Mais il est nécessaire de développer un argumentaire scientifique et juridique pour que les juges puissent s’appuyer dessus lors des procès, car ils ne sont pas en mesure de le construire eux-mêmes.

Propos recueillis par Agnès Rousseaux


P.-S.

[Note ajoutée le 5 décembre 2011]

Fichage ADN : quand l’État tente d’acheter le silence [4]

Les libertés publiques n’ont pas de prix. C’est ce que viennent de rappeler 34 faucheurs volontaires à l’État. Ils sont en lutte contre le prélèvement de leur ADN et leur inscription au sein du Fnaeg. Ils ont déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) afin de faire condamner la France pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme. En octobre dernier, ils ont reçu une proposition confidentielle de règlement amiable en provenance du ministère des Affaires étrangères : ce dernier proposait 1 500 euros à chacun en contrepartie de l’arrêt de leur plainte devant la CEDH.

Les 34 faucheurs ont refusé cette proposition et décidé de poursuivre leur action. Ils estiment que le problème dépasse leur propre cas individuel et renvoie au respect de la vie privée et, plus généralement, des droits de l’homme.


Notes

[1[Note de LDH-Toulon] – D’après Catherine Bourgain, le report du procès de Xavier Renou a été décidé par le président du tribunal suite à une demande du procureur. Ce dernier a fait valoir qu’il avait reçu les arguments de la défense trop tard pour les étudier correctement, qu’ils étaient en plus assez lourds (4 QPC) et qu’ils faisaient référence à deux publications en anglais, non traduites.

[2Catherine Bourgain est chercheuse en génétique à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et secrétaire de la Fondation Sciences citoyennes.

[3Ces segments d’ADN ont une longueur variable selon les individus. C’est cette longueur qui permet de déterminer les différences entre individus. La probabilité d’avoir deux personnes avec les mêmes séquences est de 1 sur 3 milliards de milliards avec 16 à 18 segments pris en compte.

[4Source : Bastamag et Infogm.


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