Deux organisations ont salué la journée internationale de protection des données personnelles, le 28 janvier 2015 :
l’Observatoire des libertés et du numérique, dont les organisations membres sont : Cecil, Creis-Terminal, LDH, Quadrature du Net, Saf et SM, a déclaré que « le combat pour les libertés est plus que jamais [sa] mission ! »
L’Association européenne pour la défense des droits de l’Homme qui regroupe des ligues et associations de défense des droits de l’Homme des pays de l’Union européenne [1], appelle à la vigilance, car de « nouvelles atteintes [à la protection des données personnelles] sont en préparation ».
Communiqué de l’OLN
Il y a maintenant un an, le 28 janvier 2014, était créé l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), à l’initiative d’associations et de syndicats soucieux de remettre au cœur du débat politique la protection des libertés face aux assauts combinés d’une surveillance étatique et d’un fichage privé, présentés comme inéluctables et ainsi normalisés pour de nombreux citoyens.
L’année 2014 n’a pas dérogé à cette dérive, tant elle a été placée dès l’aube – avec le vote de la loi de programmation militaire – sous le signe de la surveillance et de l’érosion des libertés, tout particulièrement sur Internet, désigné comme un fauteur de trouble, presque complice des pires atrocités. La mise au pilori de cette espace collectif de débat s’est d’ailleurs poursuivie lorsque la représentation nationale a été saisie, dans l’urgence, d’une énième loi antiterroriste. Dans un débat confisqué par la peur, où la réflexion critique a cédé face à un unanimisme répressif, l’arsenal pénal a été encore alourdi et dévoyé au service de la neutralisation préventive, tandis que l’administration voyait ses pouvoirs décuplés sur le Net comme à l’égard des citoyens, dans un élan de suspicion généralisée.
Les interventions des organisations de défense des libertés et de l’OLN ont pu faire la lumière sur les renoncements au parti des libertés. Dénoncer, encore et toujours, l’absence de saisine du Conseil constitutionnel sur la loi du 13 novembre 2014, l’inertie d’un gouvernement pourtant condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) à deux reprises pour ses fichiers de police (Fichier automatisé des empreintes digitales - Faed et Système de traitement des infractions constatées - Stic), la passivité face aux révélations d’Edward Snowden sur le développement progressif d’une surveillance généralisée internationale et l’absence d’une action résolue pour la protection des lanceurs d’alerte.
Les événements dramatiques du début de l’année 2015 n’entament pas la détermination de l’OLN : ils invalident assurément le dogme sécuritaire qui façonne depuis plus de vingt ans notre monde. Les hommes et les femmes mobilisés dès le soir de l’attaque contre Charlie Hebdo ne s’y sont pas trompés, criant leur refus d’un Patriot Act en France, demandant plus de démocratie face à la terreur.
En cette Journée de la protection des données personnelles, l’OLN veut encore croire qu’il est possible de faire un pas de côté dans un débat public de nouveau suspendu par l’effroi, où se multiplient les appels à plus de surveillance, cette fois-ci en renforçant les moyens juridiques des services de renseignement.
L’OLN conteste cette vision indéfiniment extensible du filet de la surveillance, qui a présidé à l’entrée en vigueur du blocage administratif des sites, inefficace contre ceux qui sont visés, qui le contourneront facilement, attentatoire aux libertés de tous. Mais aussi l’entrée en vigueur d’un fichier API-PNR (Advanced Passenger Information - Passenger Name Record) de contrôle des déplacements aériens de tous les citoyens, dont les garanties sont très faibles. Les annonces n’ont pas tardé, pour étendre ce fichier à l’Europe (qui le refusait en 2011, au nom des libertés civiles), et, surtout, pour donner aux services de l’ombre plus de possibilités d’écoutes administratives et des pouvoirs policiers dérogatoires. Autant de mesures qui contribueront à retarder encore la judiciarisation des affaires de terrorisme, et les garanties procédurales qui vont avec.
L’OLN poursuivra donc son combat pour que la terreur ne fasse pas muter la démocratie, pour redire aux citoyens et aux décideurs que la surveillance est l’affaire de tous, et pas uniquement de ceux qui auraient « quelque chose à cacher », que l’Internet est, et doit rester, le lieu du libre débat que seule une procédure équitable peut limiter. Et que la protection des libertés ne s’arrête pas au premier cri pour la liberté d’expression : c’est bien contre le rétrécissement continu des droits et libertés qu’il faut militer, aujourd’hui plus encore qu’hier, afin que la lutte contre le terrorisme ne sape pas les fondements de la démocratie au motif de la défendre !
Paris, le 27 janvier 2015
Communiqué de l’AEDH
Le 28 janvier 1981 était ouvert à signature le premier instrument international juridiquement contraignant en matière de données personnelles, la Convention 108 du Conseil de l’Europe « pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel ». Cette date du 28 janvier est devenue, depuis 2006, la journée internationale de la protection des données personnelles, « Privacy day ».
En cette occasion, l’AEDH ne peut qu’affirmer à nouveau son attachement aux garanties protégeant la vie privée et les données personnelles telles qu’affirmées dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’Homme et précisées dans la Directive 95/46/CE de l’Union européenne et la Convention 108 du Conseil de l’Europe.
En référence à ces textes garants de droits fondamentaux, l’AEDH se doit, en cette journée, de dénoncer les dérives des fichiers commerciaux mais aussi celles des fichiers de police et de renseignement au prétexte de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, qui ont été dénoncées par des lanceurs d’alerte. Non seulement les fichiers se multiplient, mais ils sont de plus en plus détournés de leur finalité, utilisés pour des usages aux objectifs disproportionnés par rapport à leur finalité, sans pour autant qu’une stricte nécessité soit prouvée. Aussi, l’AEDH dénonce à nouveau le fait que se mette en place « un système de caractère explicitement répressif qui s’applique à la totalité des citoyens et non pas seulement à ceux contre lesquels il y a des présomptions ou des indices d’être impliqués dans des actes illicites » [2].
Les attaques terroristes récentes, en France les 7, 8 et 9 janvier 2015, sont l’occasion pour l’Union européenne et ses Etats membres de justifier un renforcement de leurs pratiques sécuritaires dans l’usage de fichiers de données personnelles, dans la réactivation de projets contestés par le Parlement européen, comme le PNR européen [3] et dans la mise en place de nouvelles mesures. Ainsi, malgré de sévères appréciations du Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) sur les projets déjà connus, seront proposés au Conseil des ministres Justice et Affaires intérieures (JAI) du 29 janvier à Riga [4] : un contrôle renforcé d’Internet ; une déclaration des codes de cryptage par les entreprises de l’Internet et de télécommunications ; des amendements au code Schengen ; une meilleure prise en comptes des données biométriques dans le Système d’Information Schengen (SIS), en particulier concernant les étrangers ; l’intégration dans un même système européen de l’ensemble des fichiers financiers nationaux ; l’utilisation plus systématique et plus proactive des fichiers de casiers judiciaires (ECRIS) partagés entre les Etats membres.
Toutes ces mesures placées sous la direction et la coordination d’Europol, qui bénéficie déjà de l’accès à de nombreux fichiers tels que les fichiers relatifs aux transactions financières internationales, aux demandeurs d’asile (Eurodac), aux visas (Visa Information System – VIS), donneront ainsi à Europol un pouvoir considérable sans la moindre référence à un contrôle par une autorité indépendante, aux possibilités ou non d’user d’un droit à l’interopérabilité des fichiers et à l’utilisation de données sensibles, au respect des critères de proportionnalité et de nécessité dans leur utilisation notamment dans la lutte contre le terrorisme ce qui devrait être exclusif. Ce « méga système » proposé vient s’ajouter et compléter les systèmes déjà existants de contrôle des frontières, dont la récente mise en oeuvre du système EUROSUR [5], ou à venir avec le projet de frontières intelligentes, directives unanimement contestées par le CEPD, le Parlement européen, l’AEDH et de nombreuses ONG. Un ensemble de mesures sans mise en place d’un système de garantie et de contrôle, alors même que le paquet « protection des données personnelles » destiné à remplacer la Directive 95, voté par le Parlement européen au printemps 2014 est actuellement bloqué par le Conseil.
Le droit, le respect des droits fondamentaux doivent toujours l’emporter sur toutes mesures liberticides, y compris quand il s’agit de lutter contre le terrorisme. Mettre en avant des objectifs sécuritaires n’est pas synonyme d’efficacité ; ils sont autant d’atteintes inacceptables à la vie privée et à la protection des données personnelles. La nécessaire lutte contre le terrorisme, doit impérativement se faire dans un cadre strictement nécessaire quant à l’utilisation des fichiers, les institutions et organismes concernés par leur usage devant être soumis au contrôle d’autorités indépendantes, voire judiciaires. La mise en place de ces mesures régressives en matière de droits constituerait de fait une nouvelle victoire des terroristes.
L’AEDH ne tombera pas dans le défaitisme qu’ont pu exprimer des membres de l’Université de Harvard le 23 janvier 2015 à l’occasion du Forum économique de Davos déclarant : « la sphère privée telle que nous la connaissons ne peut plus exister, la façon dont nous envisagions avant la sphère privée, c’est fini ». Affirmant d’autre part que nous serions maintenant à l’heure « d’un Maccartisme génétique » [6], par la captation des données biométriques, en particulier l’ADN, et par leur usage par les services policiers et privés. Parler ainsi, c’est être déconnecté des droits, lesquels ne sont pas fondés sur une référence et une reconnaissance de ce que permettraient les technologies, y compris quand il s’agit de régressions dans les pratiques des gouvernements ou d’institutions comme l’Union européenne. Il n’y a pas de fatalité, mais un combat pour le respect des droits comme référence à tout Etat démocratique.
En cette journée du 28 janvier 2015, l’AEDH appelle tous les citoyens, leurs organisations représentatives à s’élever contre les mesures qui mettent en cause leur vie privée et la protection des données, les parlementaires à être des remparts à ces atteintes aux droits. Elle appelle les instances de décisions de l’Union européenne, les gouvernements qui en sont membres, à se ressaisir et à ce qu’ils prennent conscience que loin d’être efficaces de telles mesures sont non seulement une atteinte aux droits mais à terme une atteinte à la démocratie et à l’Etat de droit qu’ils sont censés défendre.
Bruxelles, le 27 janvier 2015
[1] AEDH, 33, rue de la Caserne. B-1000 Bruxelles
Tél : +32(0)25112100 Fax : +32(0)25113200
Email : info@aedh.eu. Site web : www.aedh.eu.
[2] Communiqué AEDH du 16 novembre 2007.
[3] PNR européen non seulement aux frontières de l’espace Schengen mais aussi pour les vols intra-européens.
[4] Document de réunion du coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme du 17 janvier 2015 (DS 1035/15).
[5] Voir communiqué de l’AEDH du 20 juin 2012.
[6] Communiqué AFP du 23 janvier 2015, notamment propos de Margo Seilzer et Sophia Rooth.