Pour la LDH, il n’appartient pas à la justice de la République de cautionner une atteinte au principe d’égalité entre hommes et femmes.
Cependant, il est possible de voir le problème d’une toute autre façon, comme nous le montre une fidèle lectrice de ce site.
COMMUNIQUÉ LDH
La virginité n’est pas un objet de justice
En annulant un mariage à la demande d’un mari car sa femme n’est pas vierge, la justice a rendu une décision discriminatoire.
Quelle que soit la volonté des époux, ni la loi, ni la jurisprudence ne peuvent consacrer ce symbole de la domination masculine.
Au-delà des interprétations juridiques, au-delà des adhésions personnelles à une foi ou à une philosophie, il n’appartient pas à la justice de la République de cautionner une atteinte au principe d’égalité entre hommes et femmes.
Paris, le 30 mai 2008
Le tribunal de grande instance de Lille a annulé un mariage le mois dernier "pour erreur sur les qualités essentielles" de la conjointe car celle-ci avait menti sur sa virginité. Alors que sa fiancée lui avait affirmé qu’elle était chaste, une valeur essentielle pour l’époux, l’homme avait découvert le soir de leurs noces, le 8 juillet 2006, qu’elle ne l’était pas, et l’avait immédiatement annoncé à ses proches. Le père de l’époux avait alors ramené la jeune femme chez ses parents, estimant sa famille "déshonorée", selon le récit publié dans la revue juridique Recueil Dalloz, le 22 mai. Le mari, un ingénieur d’une trentaine d’années, avait décidé dès le lendemain de se séparer de son épouse et l’avait assignée en justice le 26 juillet 2006.
"On aurait pu faire un divorce par consentement mutuel [...]. J’ai opté pour la procédure de ’nullité relative’ car c’est celle qui correspond le mieux" à la situation, a déclaré l’avocat du mari, Me Xavier Labbée. "Le divorce sanctionne un manquement aux obligations issues du mariage comme l’infidélité. Ici, il y a un vice dès le départ", a-t-il expliqué. "Il ne faut pas faire de cette affaire une résurrection d’un retour à la religion et à l’obscurantisme. C’est tout simplement une application des règles de la nullité du mariage", a-t-il déclaré sur RTL.
"LA QUESTION N’EST PAS LA VIRGINITÉ MAIS LE MENSONGE"
La décision du TGI de Lille s’appuie sur l’article 180 du code civil, qui stipule que "s’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage" dans un délai de cinq ans. Le procureur de la République de Lille, Philippe Lemaire, a affirmé que le jugement était "conforme à la jurisprudence classique". Le problème de la virginité "focalise un peu le débat, mais la question, ce n’est pas la virginité, c’est la liaison qu’elle a eue avant et qui a été cachée. C’est le mensonge qui motive la décision du juge", a-t-il souligné.
La chancellerie a affirmé n’avoir "pas le souvenir" d’une annulation pour mensonge sur la virginité, même si les annulations pour mensonges sur "des éléments de personnalité" d’un des conjoints sont loin d’être rares. Parmi ces "erreurs" figurent essentiellement la découverte après le mariage que le conjoint est divorcé, qu’il a menti sur sa nationalité, qu’il fait l’objet d’une mesure de curatelle ou qu’il n’est pas apte à avoir des relations sexuelles normales.
UN JUGEMENT "ATTERRANT", SELON LE PS
Plusieurs associations et des personnalités françaises ont vivement protesté contre cette décision. Interrogée sur France Inter, la philosophe Elisabeth Badinter s’est déclarée "ulcérée" par cette décision. L’épouse de l’ancien garde des sceaux Robert Badinter a déclaré avoir "honte" pour la justice française.
Le PS a dénoncé un jugement "atterrant" qui "bafoue le droit des femmes à disposer de leur corps et à vivre, librement, comme les hommes, leur sexualité", et le PCF l’a qualifiée de "scandaleuse". L’association Ni putes ni soumises a évoqué de son côté une "régression", exprimant son amertume "de savoir qu’en France la virginité peut être considérée comme une ’qualité essentielle’" et a réclamé un changement législatif.
On nous écrit...
Quoi que l’on pense de l’imbécillité d’exiger que son conjoint soit vierge, le juge devait se demander si le mensonge de l’un des conjoints avait déterminé le consentement de l’autre [1].
Le juge était donc fondé à annuler le mariage, au motif de mensonge — et non de défaut de virginité.Mais, sur le fondement de l’article 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, cette nullité est discriminatoire en fonction du sexe, puisque cette annulation ne peut être opposée qu’à la femme — la non-virginité du mari étant impossible à vérifier.
La norme européenne de la CEDH s’imposant au juge français et étant une norme supérieure au code civil français, le juge aurait donc pu, sur cette base, rejeter la requête et refuser d’annuler le mariage [2].Cependant, ne valait-il pas mieux qu’ils en aient fini avec cette histoire lamentable, et que chacun des ex-conjoints soit satisfait, plutôt que de perdre encore beaucoup de temps et d’argent à divorcer ?
Pour une fois que les deux parties étaient satisfaites de la justice — ce qui n’est pas si fréquent — voilà que tout le monde s’offusque ! [3]
Ne nous servons pas de cette histoire glauque d’annulation pour nourrir l’islamophobie ambiante, qui se porte fort bien sans ça.
[1] Ce serait la même chose s’il était essentiel pour un conjoint que l’autre soit français, ou ne soit pas divorcé...
[2] Et renvoyer les époux à divorcer s’ils ne voulaient plus cohabiter.
[3] Pour conforter ce point de vue, vous pouvez consulter les réflexions du juge Jean-Pierre Rosenczveig
et/ou celles de Maître Eolas.