la multiplicité des indignations de Stéphane Hessel


article de la rubrique démocratie > coups de gueule
date de publication : vendredi 2 janvier 2009
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Né à Berlin le 20 octobre 1917, Stéphane Hessel est un ancien résistant. Rescapé des camps d’extermination de Buchenwald et de Dora, il a assisté à l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Cet ambassadeur de France exprime ci-dessous son indignation devant le bombardement de Gaza par Israël, après avoir évoqué le scandale que constitue pour lui l’ovation du négationniste Faurisson, organisée récemment par Dieudonné.

Le 21 décembre dernier, c’est également en défenseur des droits de l’Homme que Stéphane Hessel s’était exprimé sur la politique de Nicolas Sarkozy. Vous pourrez revoir cette émission de télévision ci-dessous.


La multiplicité de mes indignations

[Les propos de Stéphane Hessel, ont été recueillis par Béatrice Vallaeys
et publiés dans Libération le 31 décembre 2008]

A mon âge, je ne peux pas être avare de mes indignations. Il y a quelques jours, le pseudo-humoriste Dieudonné offrait au Zénith un spectacle où il avait invité Robert Faurisson, et mis en scène un homme vêtu d’un pyjama rayé. En même temps, Israël bombarde la bande de Gaza.

Pour moi, on ne doit pas laisser impuni le spectacle abject de cinq mille personnes ovationnant le négationniste Faurisson, mais en même temps on ne peut qu’être scandalisé par l’absence de toute sanction à l’égard d’un Etat – un gouvernement intérimaire – celui d’Israël, massacrant des enfants palestiniens.

On connaît Dieudonné, c’est un hurluberlu que personne ne peut respecter, et cela n’est pas pour moi le plus grave. Le pire, ce sont ses cinq mille ovationneurs. J’ai 92 ans, et il m’est insupportable de voir que l’horreur de l’extermination des juifs par les nazis puisse aujourd’hui fournir un prétexte à faire rire. Les médias ont d’ailleurs considérablement réagi contre ce qui s’est passé au Zénith. Il va maintenant y avoir une poursuite judiciaire, donc on ne peut pas dire que l’affaire ait été passée sous silence. Cela dit, cette poursuite conduira à une nouvelle sanction dont Dieudonné se fiche visiblement. Ce sont les cinq mille spectateurs qui la mériteraient, car ils ont bafoué les droits de l’homme tels que les ont violés les nazis.

Mettre en parallèle ce qui s’est passé au Zénith et ce qui se passe à Gaza, cette prison à ciel ouvert, est une double indication : celle qui nous oblige à rester vigilants sur ce qui est de l’antisémitisme, mais aussi celle qui nous impose de rester combatifs sur la violence sioniste et israélienne tout à fait inacceptable en terme de droit international.

On dit que parmi les cinq mille spectateurs du Zénith, se trouvaient beaucoup de jeunes Français d’origine arabe qui s’identifient aux jeunes de la bande de Gaza. Raison de plus pour ne pas laisser passer une démonstration comme celle-là. Mais ça ne me paraît pas vraisemblable et la présence de Jean-Marie Le Pen dans l’assistance suffit à démontrer que le public était essentiellement constitué de membres de l’extrême droite.

Mais c’est Israël surtout qui me préoccupe. Il est incroyable d’entendre l’ambassadeur d’Israël en France dire, comme il l’a fait hier sur France Inter, que 500 000 Israéliens vivent sous la terreur depuis six ans. Que nous ayons laissé sans sanction internationale le gouvernement israélien ces cinq dernières années et encore tout récemment, constitue également un crime contre les droits de l’homme. En tant que porte-parole de la Déclaration universelle, je suis personnellement scandalisé par cette impunité. Si la communauté internationale doit intervenir en Israël c’est parce qu’elle est liée par les résolutions du Conseil de sécurité, et parce qu’on a promis à Annapolis [1]. Or elle ne fait absolument pas face à ses obligations internationales.

Pourquoi est-elle quasi silencieuse ? Parce qu’elle est intimidée par Israël, elle redoute de se faire traiter d’antisémite, elle craint qu’on ne fasse pas toute sa place à ce peuple qui a été tellement martyrisé. Cela va à l’encontre même des valeurs du judaïsme qui sont des valeurs d’ouverture, de liberté et de réconciliation des religions : autant de mérites niés par le gouvernement israélien depuis la fin de la guerre des Six jours. La politique israélienne a combattu ceux qui militaient pour la paix (l’OLP, Oslo) et favorisé les partisans de la violence, plus crédibles, selon elle, à l’égard de la population. Si la communauté internationale n’intervient pas, on court à la catastrophe – déjà présente et meurtrière pour les Palestiniens – et à plus long terme pour Israël : car tant qu’Israël ne trouvera pas la voie vers deux Etats partenaires, il aura lui-même miné sa possibilité de survie dans le Proche-Orient.

Et il est faux de prétendre que le Hamas ne veut pas discuter. Comme l’a rappelé Marek Halter dans le Figaro d’hier, le Hamas a déjà clairement laissé entendre qu’à condition de s’en tenir à l’intérieur des frontières définies en 1967, il était prêt à reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël.

Il ne faut pas avoir peur de la multiplicité de ses indignations. Ma génération qui a connu la Shoah et qui en a été affectée parmi ses proches et ses amis ne peut pas rester insensible, elle ne peut pas accepter, elle doit protester contre tout ce qui met en cause l’horreur de cette période.

Stéphane Hessel

La France, « un pays où peu à peu la sécurité l’emporte sur la liberté »

Dimanche 21 décembre 2008, Stéphane Hessel était l’invité de l’émission de débats politiques Ripostes sur France 5.

Stéphane Hessel reconnaît que la France est « un grand pays démocratique où l’on peut dire tout le mal que l’on veut du Président de la République et du Premier Ministre sans se faire mettre en prison ». Mais, à côté de cela, « il y a des domaines où la France est très loin de respecter ce que devraient être les Droits de l’Homme ». Ainsi, il pointe du doigt les mauvaises conditions de vie des prisonniers dans les prisons insalubres et surchargées, le manque de respect du gouvernement français à l’égard des sans-papiers, des immigrés, des sans-logements. Il juge « très grave » le fait d’imposer aux préfectures des chiffres d’expulsions de sans-papiers.

Il déplore également que Sarkozy nous « mette dans un pays où peu à peu la sécurité l’emporte sur la liberté ».
Stéphane Hessel se dit aussi « choqué par la façon dont nous allons à l’encontre de ce que serait une véritable liberté, une démocratie » en autorisant le Président de la République à nommer le Président de France Télévision et celui de Radio France. Pour lui, cet état de fait constitue « une atteinte aux Droits de l’Homme ».

De Brice Hortefeux, dont il qualifie la politique de « détestable », Stéphane Hessel pense qu’il a « quelque part en lui une part d’humanité » mais qu’il ne l’a « pas encore trouvée ». Pour lui, Hortefeux est « l’exécuteur de la politique de Sarkozy », qui a été « élu par une forte proportion de voix d’extrême-droite qui considèrent l’immigration comme un fléau et non pas comme une richesse ». Pourtant, la France a largement les moyens d’accueillir « un à deux millions d’immigrés de plus ». Cele ne ferait pas augmenter le chômage, bien au contraire puisque souvent les immigrés deviennent des entrepreneurs « qui recrutent, qui embauchent » et qui sont donc facteurs d’emploi. La France a tout à y gagner.

Pour revoir l’émission : http://www.france5.fr/ripostes/vide...

Notes

[1[Note de LDH-Toulon] – Voici le texte de la déclaration israélo-palestinienne d’Annapolis le 27 novembre 2007 :

« Les représentants du gouvernement de l’Etat d’Israël et de l’Organisation de libération de Palestine (OLP), respectivement le Premier ministre Ehud Olmert et le président Mahmoud Abbas, en tant que président de l’Autorité palestinienne, réunis à Annapolis (Maryland) sous les auspices du président des Etats-Unis, George W. Bush, et avec le soutien des participants à cette conférence internationale, ont conclu l’accord conjoint ci-dessous :

« Nous exprimons notre détermination à mettre fin à l’effusion de sang, au souffrances et aux décennies de conflit entre nos peuples ; à ouvrir une nouvelle ère de paix, fondée sur la liberté, la sécurité, la justice, la dignité, le respect et la reconnaissance mutuelle ; à diffuser une culture de paix et de non-violence ; à nous attaquer au terrorisme et à la provocation, venant soit des Palestiniens soit des Israéliens.

« En vue de parvenir à deux Etats, Israël et la Palestine, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, nous convenons d’entreprendre immédiatement des négociations bilatérales en toute bonne foi pour conclure un traité de paix en vue de résoudre toutes les questions laissées en suspens, y compris les questions essentielles, sans exception, comme il a été spécifié par les accords antérieurs.

« Nous convenons de commencer des négociations vigoureuses, sans interruptions, et deploierons tous les efforts possibles pour parvenir à un accord avant la fin de 2008. »


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