A Montréal, les parents peuvent suivre des leçons de fessée... En France, la plupart des parents recourent à des formes diverses de violence éducative physique.
Olivier Maurel, membre de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire qui milite pour obtenir l’interdiction de la violence éducative montre que la situation est en train d’évoluer :
cent vingt-sept associations ont ratifié l’appel à son interdiction et dix-sept pays européens l’ont interdite.
Une formation élaborée avec un psychologue scolaire apprend aux parents à éduquer leurs enfants sans laisser de traces.
La scène à de quoi surprendre. Sous les instructions d’un psychologue et devant un public très attentif, un couple s’adonne à une séance de petites tapes sur les cuisses. Des sadomasochistes en action ? Pas exactement. Il s’agit de parents québécois désireux d’apprendre à donner une fessée à leur enfant turbulent sans que les coups ne laissent de marques.
A Granby, petite ville située au sud-est de Montréal, la commission scolaire du Val-des-Cerfs a décidé de donner un coup de main aux parents d’enfants difficiles : elle leur propose gratuitement une formation d’une trentaine d’heures (dix fois trois heures) intitulée « Cours pour enfants opposants ». Objectif : leur donner des clés pour faire régner l’ordre dans leur foyer. A coups de coups ?
En dernier recours. Selon le psychologue scolaire Richard Gagné, qui a activement participé à l’élaboration de cette formation, la taloche tant décriée peut devenir un outil de correction lorsque toutes les autres pistes pour calmer un rejeton en crise se sont révélées inefficaces. « Quand on parle d’enfants opposants, on parle d’enfants capables de donner des coups à leurs parents ou de hurler sur leurs enseignants, précise-t-il d’emblée. Nous sommes face à des parents au bord de la crise de nerfs, qui ont perdu le contrôle. Nous essayons de leur donner les instruments pour gérer les débordements de leurs enfants, pour qu’ils n’aient plus à user du châtiment corporel. »
Bref, la fessée ne serait qu’une option, proposée en dernier recours, rassure le psychologue. Pourtant, selon lui, plus de 90 % des parents administrent une correction à leurs enfants au moins une fois par an. Et de remarquer que les paroles qui accompagnent les gestes peuvent laisser des marques internes plus nocives qu’une bonne raclée.
« Dialogue ». A Granby, la leçon sur les châtiments corporels n’intervient que lors de la sixième rencontre, au moment où sont abordées les différentes techniques de punition (retrait, isolement, fessée). Les parents sont alors censés avoir en main tous les dispositifs nécessaires pour ne plus en arriver aux gestes physiques. « D’ailleurs, nous avons remarqué que la plupart des parents ayant suivi notre formation n’atteignent plus cet état de désarroi qui ne leur laisse pas d’autre choix que de frapper leurs enfants : ils réussissent à établir un dialogue plus efficace que les coups. »
Fondés sur les travaux du psychologue américain Russell Barkley, de l’université Upstate Medical de Syracuse, sommité dans le domaine des troubles de l’attention et de l’hyperactivité, ces cours existent dans une dizaine d’autres villes de la province canadienne. « Au Québec, nous avons développé l’idée que les relations parents-enfants devaient être démocratiques alors qu’elles devraient être d’autorité, analyse Richard Gagné. Les parents doivent interdire des choses ; et s’ils le font bien, alors la relation pourra fonctionner sans heurts. »
En 2004, la Cour suprême du Canada a reconnu le droit pour les parents et les éducateurs de recourir à une force « raisonnable » pour discipliner les enfants. Certes, les juges ont précisé que les enfants visés devaient être âgés de 2 à 12 ans et que les adultes devaient éviter de les frapper à la tête ou d’utiliser un objet. Mais la plus haute juridiction du pays a rejeté l’argument voulant que l’utilisation des châtiments corporels constitue une violation des droits des enfants.
D’après une récente enquête de la Sofres pour l’association Ni claques ni fessées, 84 % des parents français recourent à des formes diverses de violence éducative physique. Depuis le 21 février 2007, l’appel lancé par l’Observatoire de la violence éducative ordinaire pour obtenir l’interdiction de la violence éducative a été ratifié par cent vingt-sept associations. Olivier Maurel, professeur et auteur de la Fessée, cent questions-réponses sur les châtiments corporels [1], dresse un état des lieux de ce châtiment d’un autre âge.
Paradoxalement, et bien que je sois totalement opposé à la pratique de toute forme de violence éducative, fessée, gifle ou tape, et que j’en demande l’interdiction, cette initiative, une fois replacée dans son contexte, ne me paraît pas si aberrante qu’on le dit. Au Canada, les parents ont officiellement le droit de recourir à « une force raisonnable pour discipliner les enfants » , c’est-à-dire de donner des fessées à leurs enfants, puisque les coups sur la tête ou avec un objet sont interdits. Ne restent, apparemment, que la fessée à main nue ou des claques sur les cuisses. D’autre part, comme le dit le psychologue Richard Gagné, 90 % des parents canadiens recourent à des corrections physiques au moins une fois par an, et certainement plus souvent. Il n’est donc pas illogique d’essayer d’apprendre aux parents qui ont le plus de difficultés avec leurs enfants à rester au niveau d’une « force raisonnable ». Ayant eu l’occasion de dialoguer à la radio avec Richard Gagné, j’ai eu l’impression qu’il était de bonne foi dans sa volonté de réduire la violence des parents. Et je crois volontiers que les premières séances de la formation qu’il donne peuvent amener les parents à beaucoup moins recourir aux fessées.
D’abord, ce n’est qu’une des formes de violence : les gifles, les tirages de cheveux ou d’oreilles, les coups de martinet ou de chaussure, les pincements, les secouages, voire le poivre ou le piment dans les yeux sont aussi très utilisés. Déjà dix-neuf pays, dont dix-sept européens, ont interdit toute forme de violence éducative, y compris la tape. Les mouvements les plus forts que je connaisse agissent dans les pays qui n’ont pas encore prononcé cette interdiction, notamment en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et au Cameroun, où une association nommée Emida fait un formidable travail et cherche à étendre son action à l’ensemble de l’Afrique. En France, c’est la première fois qu’un aussi grand nombre d’associations demande aux pouvoirs publics d’interdire toute forme de violence éducative. Nous espérons que notre appel aidera la défenseure des enfants, Dominique Versini, à faire pression sur le futur gouvernement pour qu’il se mette en conformité, sur ce point, avec la convention relative aux droits de l’enfant.
La majorité des pays du monde en sont encore, comme nous l’étions jusqu’au XIXe siècle, à trouver normale et éducative la bastonnade pratiquée avec la chicote africaine, la canne d’osier, la lourde palette utilisée dans les écoles de vingt-deux Etats des Etats-Unis, le câble électrique ou le tuyau de plastique. D’autres pays, comme je l’ai dit, ont totalement renoncé à ces méthodes de dressage.
L’impact peut être physique. Une forte fessée peut léser le coccyx, voire les organes génitaux. Plusieurs lecteurs de mon livre, hommes et femmes, m’ont dit être devenus masochistes à la suite de fessées reçues de leurs parents. Il faut ajouter qu’habituer les enfants à la fessée, c’est les habituer à subir une intrusion dans l’intimité de leur corps, et ainsi risquer de réduire leur réactivité face à un éventuel abuseur sexuel. Enfin, il est très vraisemblable que les femmes qui ont le plus de difficultés à réagir dès la première menace de coups sont celles qui ont été habituées à recevoir des fessées tout au long de leur enfance. Or, dans les cas de violences conjugales, c’est souvent la première réaction qui est décisive.
[1] Ed. la Plage.