la croisade d’un gracié


article de la rubrique peine de mort
date de publication : dimanche 3 octobre 2004
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Après avoir échappé à la guillotine, Philippe Maurice se bat maintenant contre la peine de mort.

par Karim Benessaieh [La Presse, Québec, le 2 octobre 2004]


Le regard doux, les cheveux frisés grisonnants, Philippe Maurice ne ressemble en rien à l’image classique du taulard qui a passé 23 ans en prison. Il est le dernier meurtrier condamné à mort en France, en 1980. Quatre ans après sa libération, il est de passage à Montréal pour témoigner de sa personne : le taulard devenu historien reconnu est la preuve vivante que la peine de mort est une aberration.

Il sera au coeur de plusieurs activités prévues la semaine prochaine au Théâtre Maisonneuve, qui accueille du 6 au 10 octobre le deuxième Congrès mondial contre la peine de mort.

« Je pense qu’un jour, la peine de mort sera abolie universellement, comme l’ont été la torture et l’esclavage, dit Philippe Maurice. Il y a des choses dont l’humanité n’a pas à se réjouir ou à être fière. D’abord parce qu’elle est inutile, elle n’est pas exemplaire : les pays dans lesquels la peine de mort a été abolie n’ont pas vu le crime se développer. »

En revanche, note-t-il, les États-Unis, qui pratiquent la peine de mort « à tour de bras », sont un des pays dont le taux de criminalité se développe de façon foudroyante.

En 1979, à l’âge de 20 ans, M. Maurice est arrêté alors qu’il avait enfreint les conditions de sa libération conditionnelle et tue un policier. Un an plus tard, il est condamné à mort mais sera gracié en 1981, à l’arrivée de la gauche et de François Mitterrand au pouvoir. « Il y avait à ce moment-là une dizaine de condamnés à mort dans les prisons françaises. François Mitterrand m’a gracié et il voulait ainsi signifier que la peine de mort était révolue. »

Comment vit-on toute une année dans l’attente de la guillotine ? L’ex-détenu avoue que sa condamnation ne l’a pas réellement pris au dépourvu. « En fait, quand vous êtes condamné à mort, ça ne tombe pas comme ça. Quand vous êtes en fuite et recherché, puis arrêté, la peine de mort n’est pas une surprise totale. J’étais évidemment totalement opposé à cette condamnation, j’ai essayé de m’évader mais j’ai échoué. La condamnation a été plus terrible pour ma mère que pour moi. »

Tourner en rond

Échapper à la guillotine pour se voir condamné à perpétuité n’est pas tout à fait un motif de réjouissance, évidemment. Le jeune homme qu’il était alors a passé près d’une dizaine d’années à se révolter ouvertement contre les autorités pénitentiaires avant de trouver une porte de sortie : les études.

« En prison, on devient fou. On tourne en rond, au sens physique et psychologique. J’ai compris qu’il fallait que j’étudie, que je me cultive. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, je suis là. En étudiant, j’ai réalisé que les études que j’avais faites uniquement par hygiène mentale pouvaient devenir un moyen de m’insérer dans la société. »

Au tournant des années 90, le détenu devenu docteur en histoire, spécialisé dans le Moyen Âge, est même reconnu à l’extérieur de la prison. « C’est gênant à dire pour ma modestie, mais je suis devenu un scientifique, mes travaux étaient reconnus dans la communauté scientifique. C’était déstabilisant : d’un côté, j’étais reconnu comme universitaire, de l’autre, je n’avais pas le droit de vivre. J’étais quelqu’un de totalement inséré dans la société, sauf que j’étais en prison et totalement exclu. »

En 1998, il fait une première demande de libération conditionnelle. Refusée. Il en faudra trois (« avec le même dossier ») pour obtenir l’ouverture des portes du pénitencier, en mars 2000. Il commencera à militer contre la peine de mort à peine un an plus tard. « Au départ, je ne voulais être qu’un historien, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas possible. Trop de gens connaissaient mon passé. En 2001, les gens de l’organisme Ensemble contre la peine de mort (ECPM) m’ont demandé de militer à leurs côtés. Je les ai rejoints. Je ne suis pas qu’un exemple, un cas, j’ai aussi les moyens de parler. J’approuve leur combat. »

Même si le débat semble avoir été réglé dans bien des sociétés occidentales, la question de la peine de mort est toujours là, en filigrane, estime-t-il. « Malheureusement, dans les sondages, les gens sont beaucoup plus facilement pour la peine de mort. Et je me sens souvent en porte-à-faux, puisque j’ai moi-même tué un homme. Au début, je me demandais si j’avais le droit de parler. Je pense que oui. Ma vie a été telle que quelque part, je sais de quoi je parle. »

“Droit à la vengeance”

Au-delà de la peine de mort, ce débat renvoie à la valeur même de la vie humaine, ajoute M. Maurice. Tuer un meurtrier revient à légitimer le meurtre. « L’abolition universelle de la peine de mort est nécessaire car c’est un très bon message. C’est un geste, une attitude qui permet de dire que la vie humaine est plus importante que tout et qu’on n’a jamais le droit de tuer un homme. Moi, j’en suis convaincu et ça peut surprendre, vu mon passé. Mais c’est peut-être à cause de ce passé que je suis convaincu que rien, rien ne peut justifier que l’on tue un homme. »

Mais les proches des victimes n’ont-ils pas un droit légitime à la vengeance, comme le rappellent les partisans de la peine de mort ? « Voilà. La seule « efficacité » de la peine de mort serait la satisfaction de la vengeance. La vengeance est un sentiment humain, mais comme la haine, comme l’expression de la violence, l’humanité n’a pas à être fière de ce genre de sentiments. La société pour moi doit justement réguler les sentiments néfastes et négatifs de l’homme. »

Plutôt que la mort, la société devrait chercher à donner aux criminels un deuxième départ, croit-il. « Il faut qu’un homme quel qu’il soit puisse changer, évoluer, puisse nous rejoindre. » Il croit aux vertus de la semi-liberté, qu’il a vue à l’oeuvre à maintes reprises et qui permet à un détenu de continuer à étudier ou travailler tout en revenant tous les soirs à la prison. « Ça ferait moins de récidivistes. Au lieu de mettre le jeune en prison, avec la semi-liberté, le jeune continue à aller à l’école, il rentre en prison le soir, il est bien contrôlé. De même, un adulte en semi-liberté reste en prison le week-end, reste en prison en vacances, mais le reste du temps, il est utile. »

À Montréal, le congrès mondial prendra fin sur une note résolument populaire, alors que quelques milliers de personnes sont attendues devant la Place des Arts pour une marche, le 9 octobre.


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