Le parquet général d’Aix-en-Provence a fait appel de la décision prise le 15 décembre 2011 par la Cour d’assises des Alpes-Maritimes d’acquitter trois policiers accusés de viol aggravé sur une jeune femme prostituée en 2010. La Cour n’avait pas suivi les réquisitions du ministère public qui avait réclamé une peine d’au moins 10 ans d’emprisonnement contre le chef de patrouille et des peines d’au moins 8 ans contre deux de ses collègues. Pour la Cour d’assises une prostituée ne semble pas être une “femme comme les autres” – et un policier n’est pas non plus un “homme comme les autres”.
Nous reprenons ci-dessous deux articles publiés sur le site de la revue trimestrielle du mouvement du Nid-France, qui remarque que la notion de « consentement » de la victime n’avait en l’occurrence aucun sens et qui dénonce le message implicite porté par la décision de la cour d’assises : “violer une prostituée n’est pas violer”.
Cour d’Assises de Nice :
Trois policiers accusés de viol aggravé… acquittés !par Claudine Legardinier, décembre 2011, source
Trois policiers accusés de viol aggravé sur une jeune femme prostituée, en 2010, à Nice, ont été acquittés le 15 décembre 2011 devant la Cour d’Assises des Alpes Maritimes. Une nouvelle fois, le message est passé : violer une prostituée n’est pas violer. Une prostituée est une prostituée ; pas une femme.
Alors que le ministère public avait requis un minimum de dix ans de prison pour le chef de patrouille et de huit ans pour deux de ses collègues, la Cour d’assises a préféré s’en laver les mains. Un quatrième policier, mis en cause pour ne pas avoir empêché les faits, a également été acquitté. Ainsi, quatre policiers qui ont floué tous les principes attachés à leur fonction, se voient blanchis alors que leur victime quitte la salle d’audience en larmes. Une femme prostituée n’est décidément pas une femme pour les représentants de la loi niçois.
Les faits s’étaient déroulés en février 2010 près de la Promenade des Anglais, lieu de prostitution bien connu. Un équipage de police avait embarqué la jeune femme, alors âgée de 26 ans, et avait « obtenu » d’elle des actes sexuels en chaîne. Pour expliquer les faits, les policiers ont avancé l’argument que la jeune femme les avait « chauffés » et qu’ils n’avaient fait que s’abandonner à une « faiblesse humaine ».
Les débats ont bien entendu tourné autour de l’existence ou non de la contrainte. De fait, la jeune femme s’est exécutée. Seule dans un fourgon avec quatre hommes détenteurs de la loi, on se demande comment elle aurait pu faire autrement. Une fois encore, la présence ou non d’un pseudo consentement n’a ici aucun sens, puisque céder face à la menace ou au chantage n’est pas consentir.
Une fois encore, la question est prise par le mauvais bout, celui du « consentement » de la victime. Alors qu’elle ne devrait porter que sur la responsabilité du représentant de la loi : tout policier n’a-t-il pas, avant tout, et en toute circonstance, à obéir à une déontologie élémentaire ? Dans l’exercice de sa fonction, un acte sexuel avec une personne interpellée ne peut relever que du viol. Et que cette personne soit ou non une prostituée ne change rien à l’affaire. Il serait temps, pour le moins, de clarifier pareille évidence et que la loi soit appliquée comme elle le devrait.
Les quatre hommes sont accusés de viol aggravé pour trois d’entre eux, et de non assistance à personne en danger pour le dernier. Après avoir d’abord nié les faits, ils se retranchent à présent derrière l’argument du « consentement » de la victime.
Dans la nuit du 23 au 24 février 2010, les quatre hommes, à bord d’un véhicule de la police nationale, repèrent la jeune femme, « qui semblait racoler sur la voie publique » et « au prétexte de la protéger d’un rôdeur [1] », la persuadent de les rejoindre dans leur véhicule. Ils l’auraient alors violée à tour de rôle – à l’exception de l’un d’entre eux, qui n’est toutefois pas intervenu - puis relâchée dans la rue, où elle a appelé au secours le 17.
Les quatre hommes ont été mis en examen dimanche 28 février, pour non-assistance à personne en danger pour celui qui a laissé faire, et viol aggravé pour les trois autres, du fait de l’autorité liée à leur fonction. C’est cette « autorité » qui leur a permis, selon les déclarations de la victime, de l’interpeller pour racolage, de l’effrayer en invoquant la présence d’un dangereux rôdeur dans les environs, et enfin de la forcer à « se montrer “gentille” pour ne pas finir au poste », ainsi que l’a rapporté le procureur de la République Éric de Montgolfier. Pourtant, ils plaident à présent le « consentement » de la jeune femme.
En septembre 2007, lors du procès de sept CRS jugés pour viols à l’encontre de personnes prostituées, la défense avait déjà invoqué à cor et à cri le consentement des victimes. Ce « consentement » est l’argument traditionnel des agresseurs. C’est l’argument des violeurs, qui ont ainsi toujours tenté d’échapper à la justice en faisant porter la responsabilité et la culpabilité sur les victimes, celles-ci devant faire la preuve qu’elles n’avaient pas « consenti » ou même seulement donné l’impression de le faire : on s’interrogeait alors sur la longueur de leurs jupes, leurs attitudes... tout en oubliant commodément les contraintes, les menaces, dont avait usé leur agresseur.
C’est tout à l’honneur des féministes et de leurs allié-e-s d’avoir combattu l’usage fallacieux de la notion de consentement, servant à dissimuler les contraintes sociales, culturelles, économiques et psychologiques, qui influencent considérablement les choix individuels.
À l’époque du procès de 2007, les accusés expliquaient « qu’en l’absence de violences, ils n’avaient pas conscience de commettre des viols. “C’était comme avoir des sandwiches à tarif réduit” ». Pour eux, et pour la société toute entière, une personne prostituée est d’abord « considérée comme un simple objet sexuel à disposition, avec tout le mépris que cela suppose », ainsi que nous l’écrivions alors.
Tous et toutes, soucieux de l’égalité entre les hommes et les femmes, nous devons être attentifs au procès qui s’annonce, où pourraient se jouer des enjeux importants pour les droits des femmes : la falsification de l’argument du consentement ne doit pas revenir faire obstacle à la justice rendue aux femmes victimes de violence. Ce n’est pas parce qu’une personne est prostituée que l’on a sur elle un droit de viol.
Complément : une interview de Me Ariane Fatovich, avocate de la plaignante « Le défaut de consentement doit exister pour toutes ».
[1] Selon Pierre Thébaud, correspondant de RTL à Nice, 02/03/2010.