la condamnation de Xavier Mathieu confirme les dérives du fichage à l’ADN


article de la rubrique Big Brother > fichage ADN - Fnaeg
date de publication : samedi 4 février 2012
version imprimable : imprimer


Créé en 1998 pour l’identification des auteurs de crimes et délits sexuels, le fichage au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) concerne aujourd’hui presque toutes les infractions, à l’exception notable des délits économiques et financiers. Il est devenu une sanction, une double peine, pour tenter de briser des oppositions politiques. Des désobéissants comme Xavier Renou qui attend d’être jugé le 22 février à Senlis, des déboulonneurs de pub – François Vaillant –, des anti-OGM [1], des syndicalistes tel Charles Hoareau ... sont poursuivis pour refus de prélèvement ADN.

Mercredi 4 janvier après-midi, c’était au tour du syndicaliste Xavier Mathieu, des Continental, d’être jugé en appel à Amiens. La cour a rendu sa décision le 3 février : une amende de 1 200 euros.

[Mis en ligne le 2 janvier 2012, mis à jour le 4 février]



Un jugement confirme les dérives du fichage génétique

par Olivier Milot, Telerama.fr, le 3 février 2012


Xavier Mathieu, ex-leader syndical de Continental, a été condamné vendredi pour avoir refusé un prélèvement d’ADN. La cour d’appel d’Amiens a infirmé le jugement de première instance. De nombreuses voix s’élèvent pour estimer qu’une législation rassemblant dans un même fichier violeurs et syndicalistes est indigne d’une société démocratique.

Indigne. La condamnation vendredi matin 3 février de Xavier Mathieu, syndicaliste CGT de l’ex-usine Continental, à 1 200 euros d’amende pour avoir refusé de se faire prélever son ADN par la police, ne grandit pas la justice. Ce jugement de la cour d’appel d’Amiens infirme celui rendu en juin 2011 par le tribunal de Compiègne qui avait estimé que « le recueil de l’ADN du prévenu [ndr : Xavier Mathieu] en vue de son identification et de sa recherche était inadéquat, non pertinent, inutile et excessif. » On ne pouvait être plus clair. Trop manifestement. Inquiet de cette décision qui avait ouvert une brèche dans la législation sur le fichage génétique en France, le parquet avait fait appel. Il a obtenu gain de cause et il y a de quoi s’en inquiéter.

Rappel des faits pour bien comprendre qu’au-delà du cas de Xavier Mathieu, ce jugement nous concerne tous. Le leader syndical des salariés de Continental (la fermeture de l’usine s’était soldée en 2009 par 1 120 licenciements) avait été condamné à 4 000 euros d’amende pour avoir participé comme beaucoup d’autres, au « saccage » de la sous-préfecture de Compiègne. Cette condamnation lui valait obligation de se soumettre à un prélèvement ADN destiné à alimenter le Fnaeg (Fichier national automatisé des empreintes génétiques). Il a refusé. Par conviction et éthique personnelles. « Je suis père de trois enfants. Je suis délégué syndical. Je ne suis pas délinquant. Monsieur le Président, je vous regarde et je vous le dis : je ne mérite pas ça. Un syndicaliste n’a rien à foutre dans ce fichier entre Emile Louis et Marc Dutroux », avait-il déclaré à ces juges le 3 mai 2011.

La référence à des hommes condamnés pour meurtres et viols en série n’était évidemment pas neutre. A l’origine, le Fnaeg, créé en 1998 par Elisabeth Guigou, ne devait contenir que les empreintes des violeurs et délinquants sexuels. Par glissements successifs, il a d’abord été étendu aux personnes reconnues coupables de dégradations dangereuses et d’extorsions avant qu’en 2003, la loi sur la sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy n’élargisse son périmètre a quasiment tous les délits d’atteinte aux personnes et aux biens.

2,5% de la population fichée ?

Ces extensions vont provoquer une inflation considérable du nombre de personnes fichées. Les chiffres sont peu connus et pourtant, ils parlent d’eux-mêmes : en 2002, le Fnaeg comptait à peine plus de 2 000 empreintes ; au 31 janvier 2010, il dépassait les 1,2 million (source CNIL) et croissait au rythme de 1 000 par jour. Aujourd’hui, il atteindrait le chiffre de 1,7 million d’empreintes. Plus de 2,5% de la population française s’y retrouve désormais fichée.

« Personne ne prône le fichage généralisée, mais, de fait, on est en train de l’effectuer  », notait, en septembre 2009, le secrétaire général du Syndicat de la magistrature, Matthieu Bonduelle. « Le fichage génétique pour un militant syndical questionne la société mais singulièrement les magistrats que nous sommes », expliquait-il, il y a un mois, à la barre du tribunal où il était cité comme témoin par la défense. Le problème est bien là : une législation qui ne fait pas de différence entre un violeur et un syndicaliste est tout simplement indigne d’une société démocratique.

Bientôt un fichage ethnique ?

Dans cette histoire, le pire est peut-être devant nous. Plusieurs généticiens estiment désormais que les progrès en génétique remettent en question l’idée qu’il existerait un ADN « totalement neutre ». Autrement dit, les marqueurs génétiques entrés dans le Fnaeg pourraient maintenant donner des informations assez précises sur l’origine géographique ou les prédispositions pathologiques des personnes inscrites. Comme le notaient récemment la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, dans un communiqué commun, « il s’agirait dès lors, ni plus ni moins, que de constituer un fichier de type quasi-ethnique. Tout le contraire, en somme, des exigences minimales de la législation et des assurances données par les gouvernements successifs. »

« A l’heure d’un certain endormissement démocratique, soulignaient les trois organisations, nous ne sous-estimerons jamais l’utilisation qui pourrait être faite, dans d’autres circonstances, d’un tel fichier. » En conclusion, elles appelaient les candidats à la Présidentielle « à se positionner clairement sur des questions qui mettent aussi crucialement en jeu les libertés publiques. »

« Je ne lâcherai pas ! »

A la sortie du tribunal, Xavier Mathieu faisait remarquer que les juges qui l’avaient condamné vendredi matin étaient les mêmes que ceux qui l’avaient déjà condamné pour le « saccage » de la sous-préfecture de Compiègne. « Comment auraient-ils pu me juger autrement ? » Le leader syndical aujourd’hui au chômage n’est pas pour autant prêt à renoncer. « Dans cette condamnation, le pire, ce n’est pas l’amende, c’est d’être traité comme un délinquant. Ils peuvent désormais venir me redemander mon ADN et je refuserai une deuxième fois de le donner. Je ne lâcherai pas. » Xavier Mathieu étudie désormais avec son avocate un possible recours devant la Cour de Cassation ou la Cour européenne des droits de l’homme.

Le fichage en débat au procès en appel de l’ex « Conti », Xavier Mathieu [2]

Mercredi 4 janvier, la cour d’appel d’Amiens jugeait le délégué CGT des ex-salariés de Continental, Xavier Mathieu, poursuivi pour avoir refusé de se soumettre au prélèvement de ses empreintes génétiques, après sa condamnation pour dégradation de biens à la sous-préfecture de Compiègne. [...] Sans surprise, le représentant du ministère public, qui était à l’origine de l’appel contre la relaxe obtenue par Xavier Mathieu devant le tribunal de Compiègne, en mai 2011, a demandé la condamnation du dirigeant syndical à une peine d’amende "de 1 000 à 1 500 euros".

Avant lui, le président du Syndicat de la magistrature, Matthieu Bonduelle, cité comme témoin à la barre, avait dénoncé le "dévoiement" du fichage génétique. "On est passé d’un fichage restreint, ciblé, à un fichage fourre-tout. Le fichier national des empreintes génétiques a changé de nature. D’outil d’élucidation, il est devenu une sanction, une double peine", a-t-il observé, en rappelant que de 3 000 personnes concernées en 2002, on était passé à 1,7 million aujourd’hui. Matthieu Bonduelle a conclu en relevant la "disproportion" entre l’infraction et l’atteinte aux libertés que représente le fichage génétique. [...]

Après la plaidoirie de son avocate, Xavier Mathieu a pris la parole. "Moi, je ne vais pas parler juridique. Je vais parler honneur et dignité d’homme." La voix étranglée, il a rappelé l’annonce dans la presse de la fermeture de l’usine de Continental en 2009, l’émotion alors suscitée jusqu’au sommet de l’Etat par cette décision et la promesse qui avait été faite aux salariés de poursuivre les dirigeants de l’entreprise : "Nous, on a été jugés et condamnés pour avoir saccagé la sous-préfecture, mais l’Etat a oublié de poursuivre les dirigeants de Continental qui ont saccagé des vies."
Et puis, a-t-il ajouté, "j’ai un patrimoine génétique. Il m’a été donné par amour par mes parents, il a été transmis par amour à mes trois enfants et à mon petit-fils aujourd’hui. Jamais je ne donnerai mon ADN autrement que par amour."

Fichage ADN : appel du leader CGT des "Conti" aux "présidentiables de gauche"  [3]

Leader CGT des ex-salariés de l’usine Continental de Clairoix (Oise), Xavier Mathieu, poursuivi pour avoir refusé de se soumettre à un prélèvement d’ADN, a appelé lundi les "présidentiables de gauche" à le soutenir contre le fichage des syndicalistes.

Condamné à 4.000 euros d’amende pour avoir participé au saccage de la sous-préfecture de Compiègne en 2009, M. Mathieu avait comparu pour un refus de prélèvement d’empreinte génétique. Relaxé en première instance, il est de nouveau jugé mercredi à Amiens, le parquet ayant fait appel.

"Nous avons décidé de faire appel à tous les présidentiables de gauche pour nous soutenir et exiger la fin du harcèlement judiciaire contre nous et tous ceux qui défendent leurs droits", a lancé le syndicaliste, lors d’une conférence de presse à la Bourse du travail à Paris.

M. Mathieu a été la figure emblématique du conflit social qui a secoué durant plusieurs mois l’usine de pneumatiques en 2009, permettant aux ouvriers d’obtenir des indemnités de départ extra-légales de 50.000 euros. L’usine a fermé début 2010, entraînant 1.120 suppressions de postes.

Le porte-parole du comité de lutte des travailleurs de Continental a dénoncé "l’acharnement du gouvernement" qui n’a pas voulu "accepter cette sentence" et "continue, deux ans après le conflit, les poursuites contre ceux qui ont eu l’audace de lutter contre des licenciements".

Pour le leader des "Conti", "c’est le monde de la résistance qui est attaqué" avec un "gouvernement assimilant l’action revendicative à un délit".

Selon M. Mathieu, plusieurs candidats à la présidentielle, dont Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche), Eva Joly (EELV), Nathalie Arthaud (LO) ou Philippe Poutou (NPA), viendront le soutenir mercredi lors de son procès à Amiens, où une manifestation est prévue entre la gare et la Cour d’appel.

Créé en juin 1998 pour recenser l’ADN des condamnés définitifs pour infractions sexuelles, le fichier national automatisé des empreintes génétiques a été étendu en 2001, 2003 et 2010 à de nombreux autres crimes et délits.

AFP

P.-S.

Pour en savoir plus, voir la page de Jérôme Thorel :
Le fichier des empreintes génétiques bien mal fichu

Notes

[1Après avoir refusé de retirer leur plainte contre un dédommagement de 1500 euros par personne de la part de l’État, 34 faucheurs volontaires attendent le résultat de leur recours auprès de la Cour Européenne.

[2D’après Le Monde.fr.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP