la biométrie entre à l’école


article de la rubrique Big Brother > biométrie
date de publication : samedi 18 février 2006
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Des étudiants sont poursuivis pour s’y être opposés.


COMMUNIQUÉ LDH

Paris, le 22 décembre 2005

Citation devant le Tribunal de grande instance d’Evry de deux étudiantes et d’un étudiant pour opposition à la biométrie.

La LDH a déjà été amenée à dénoncer avec la plus grande vigueur l’exploitation de données biométriques dans le domaine de l’identification de la personne, du suivi de ses actions et notamment la traçabilité de ses mouvements.

En effet, l’usage de données biométriques porte atteinte à la dignité de l’homme en ce qu’il réduit la personne humaine à une extraction de son patrimoine biologique.

Le caractère unique du lien rattachant la donnée biométrique à son porteur en fait une donnée personnelle d’une très grande sensibilité.

L’usage, même à titre expérimental et le développement de cette technologie dans les établissements scolaires, participent de la mise en place d’une société de surveillance et de contrôle permanent de la personne et ne sont pas compatibles avec le respect des droits de l’Homme.

L’installation d’un tel dispositif ne peut être décidée en tout état de cause que dans le strict respect des obligations et des garanties de la loi Informatique fichiers et libertés.

Des étudiantes et des étudiants sont cités devant le Tribunal pour avoir manifesté leur opposition à une société de surveillance, mise en œuvre au moyen de la biométrie, gouvernée par le soupçon et la crainte de l’autre.

Cette société là, la LDH n’en veut pas non plus et soutient les comparants et demande leur relaxe.

Ces étudiants qui dépassaient les bornes biométriques

Hostiles à ces contrôles, ils sont poursuivis pour vandalisme dans un lycée  [1]

Par Laure NOUALHAT, Libération, vendredi 16 décembre 2005

Les technologies de contrôle peuvent-elles entrer impunément dans les établissements scolaires ? C’est la question posée par trois étudiants qui comparaissent aujourd’hui devant le tribunal correctionnel d’Evry pour « dégradation en réunion », après avoir détruit un dispositif biométrique dans la cantine d’un lycée.

Main. Ils sont trois aujourd’hui, mais ils étaient une petite vingtaine, le 17 novembre, à investir le self du lycée de la Vallée de Chevreuse à Gif-sur-Yvette (Essonne) munis de masques de clowns blancs et vêtus de sacs poubelle. Ce jour-là, le groupe vise les bornes biométriques qui permettent l’accès de la cantine aux élèves après qu’ils ont fait reconnaître le contour de leur main. Le groupe improvise d’abord une saynète mettant en scène l’univers concentrationnaire lié aux technologies de contrôle, tout en distribuant des tracts dans une ambiance potache. « On a déboulé en chantant, les surveillants tapaient dans leurs mains, les élèves riaient », raconte l’un d’eux. Puis deux des clowns brisent les appareils de contrôle. Dès lors, l’ambiance bon enfant vire à la course. Trois clowns sont attrapés, Julien, Anne-Sylvie et Célia, qui risquent aujourd’hui cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende.

« Saboter les machines n’était pas l’objectif premier de la manifestation. On voulait seulement mettre en débat la biométrie », dit un clown. Cette action s’inscrit dans la lignée d’actions légitimes mais illégales qui remettent le progrès en question. Imprégnés des oeuvres de Gunther Anders, Hannah Arendt, Jacques Ellul, les étudiants reçoivent le soutien de philosophes, sociologues, profs, syndicats. « On est en train de mettre en place un débat public qui n’a pas eu lieu. Aujourd’hui, on subit un choix technologique que l’on n’a pas fait. »

D’autres, en revanche, l’ont fait. Un « livre bleu » remis au gouvernement par la Filière électronique ­ regroupement des industriels du secteur ­ précise que « plusieurs méthodes devront être employées pour faire accepter la biométrie à la population ». Parmi celles-ci, l’usage en établissements scolaires. Une quinzaine de collèges ou lycées est déjà concernée. « Chaque établissement justifie différemment sa décision : l’un dira que c’est pour assurer un meilleur suivi pédagogique, un autre pour "recouvrer les créances", ou encore pour la gestion des personnes dans le self... Mais dans tous les cas, cet outil de gestion n’est ni plus ni moins qu’un outil de pouvoir supplémentaire », analyse le philosophe et chercheur, Xavier Guchet, qui travaille à la Sorbonne sur les usages non-sécuritaires de la biométrie. Dans certains établissements, on est prêt à coupler le système avec des logiciels d’envoi de SMS qui préviennent les parents de l’absence de l’enfant à la cantine.

Accord. Au-delà de la pertinence toute relative de ces systèmes, les procédures d’implantation au sein des établissements posent problème. Parfois, ni les parents, ni les élèves, ni les enseignants ne sont consultés. A Paris, le collège Maurice-Ravel va profiter des vacances de Noël pour installer le dispositif dans son self. L’« enrôlement » des élèves, c’est-à-dire l’enregistrement dans une base de données du contour de la main, a commencé cette semaine, sans réelle concertation. « La décision a été prise en conseil d’administration, sans information préalable, alors que les machines avaient déjà été commandées », déplore Philippe Calbot, prof d’histoire-géo. L’installation n’en est pas moins soumise à l’autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). A Gif-sur-Yvette, le système fonctionnait sans le feu vert officiel de la Commission. Mais jusqu’à présent, elle a toujours donné son aval aux systèmes de reconnaissance de contour de la main. « Ce qui est préoccupant, voire scandaleux, s’inquiète Xavier Guchet, c’est de laisser ces technologies se développer sans analyse, ni cadre. » Et de former une génération d’enfants à se faire contrôler par des machines.

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Des témoins comparaissent pour la défense de trois jeunes, accusés d’avoir cassé des bornes électroniques.

par Gilles WALLON, Libé le 23 janvier 2006.

Pourquoi diable venir témoigner ? « Parce qu’on veut faire accepter la traçabilité à des enfants de 3 ans. Parce qu’on veut leur dire qu’il est normal que leur corps soit un instrument de contrôle, comme si c’étaient des bêtes. » Ainsi parle Louis Joinet, ancien directeur de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

Vendredi soir, au tribunal d’Evry (Essonne), le magistrat comparaissait pour la défense de trois jeunes militants, accusés d’avoir détruit les appareils biométriques de la cantine d’un lycée à Gif-sur-Yvette (Libération du 16 décembre). Dans cet établissement, comme dans une dizaine d’autres en France, on pose sa main sur une borne électronique avant d’entrer dans le réfectoire. Le système remplace les cartes de cantine. Et c’est « une transformation du corps en codes-barres », considèrent Julien, Célia et Anne-Sylvie, vingt-cinq ans de moyenne d’âge, trois étudiants timides serrés sur le banc des accusés. Un jour de novembre, avec une quinzaine de personnes, ils se sont retrouvés devant un lycée de l’Essonne, à l’heure du déjeuner. Grimés en clowns blancs, ils ont pénétré dans l’établissement, distribué des tracts, mimé une scène théâtrale qui caricature « le côté concentrationnaire de cette technique de surveillance », comme l’explique Célia à la barre, en bafouillant un peu.

Poursuite. La juge raconte la suite : deux machines biométriques sont brisées à coups de marteau, alors les surveillants ­ et quelques élèves ­ poursuivent les militants. Ils en attrapent trois, qui contestent. Oui, ils étaient là, mais n’ont pas touché aux machines. Ils ne savaient même pas qu’elles allaient être cassées.

Pour les soutenir, ils sont une centaine de militants, de scientifiques, d’alters, qui patientent pendant sept heures avant le début du procès. Il y a tellement de monde que la juge décide de changer de salle. Pendant les heures d’attente, entre deux cigarettes roulées, ces membres d’un collectif antibiométrie dressent un parallèle avec l’action des anti-OGM. Ils avancent l’état de nécessité : pour eux, la destruction d’appareils biométriques est illégale mais reste légitime. Surtout, ils évoquent un texte, disponible sur Internet, et jugé « scandaleux ». Signé par le Gixel, le groupement des industries électroniques, celui-ci conseille de « faire accepter la biométrie à la population » à travers des « fonctionnalités attrayantes » et « l’éducation dès l’école maternelle, pour entrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine ».

Difficile alors de ne pas faire de ce procès en dégradation le procès de la biométrie en milieu scolaire. Surtout que le proviseur du lycée de Gif-sur-Yvette n’avait pas les autorisations nécessaires pour installer de telles machines dans son établissement : ni la Cnil ni les collectivités territoriales n’avaient donné leur accord. Deuxième bémol : à la barre, le seul témoin de la partie civile opère une volte-face complète. C’est le surveillant du lycée qui a alpagué Julien : « Je ne peux pas du tout vous affirmer que c’est lui qui a cassé la machine. Ils étaient tous habillés pareil. On aurait pu éviter cette erreur si on avait fait une confrontation plus tôt. »

« Pas l’endroit ». De son côté, la juge fait ce qu’elle peut pour recentrer les débats. Aux trois accusés, qui évoquent toutes les cinq minutes les raisons de leur action, elle répète : « Nous ne sommes pas là pour débattre de la présence de la biométrie dans les établissements scolaires. Ce n’est pas l’endroit pour un débat philosophique. »

N’empêche, les cinq témoins de la défense, professeurs et intellectuels, sont venus chacun avec un texte qui dénonce le contrôle des machines dans les lieux d’enseignement. La juge leur répond : « Arrêtez les discours sur la biométrie, on les a déjà entendus. Qu’avez-vous à nous dire sur les accusés ? » L’un d’entre eux dit seulement qu’il est professeur à Maurice-Ravel, un lycée parisien où des contrôles biométriques ont été installés sans en avertir les parents. Un autre, psychiatre, tente de résumer : « Les rencontres, il n’y a rien de plus important pour les enfants en bas âge. L’humain se transmet par ces rencontres. Avec la biométrie, on est en train de les diminuer, il faut faire attention. » Jugement mis en délibéré au 17 février.

Amende et prison avec sursis pour bris de bornes biométriques

Le procureur de la République avait requis 105 heures de travaux d’intérêt général, c’est finalement à trois mois de prison avec sursis que les trois étudiants, accusés d’avoir cassé deux bornes biométriques dans un lycée de Gif-sur-Yvette, ont été condamnés.

Le tribunal correctionnel d’Evry a rendu son jugement vendredi 17 février. Il a également prononcé des amendes de 500 euros pour chaque prévenu et 9 000 euros de dommages et intérêts. Cette dernière sanction n’étant, selon l’avocate des prévenus maître Irène Terrel, pas recevable : en droit, pour demander des dommages et intérêts, la partie civile doit être présente lors de la comparution. Or, elle - en l’occurrence le proviseur - n’y était pas.

La condamnation va sans doute faire l’objet d’un appel dans les prochains jours.

Notes

[1Le procès prévu pour le 16 décembre a été reporté au vendredi 20 janvier 2006.


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