la “République irréprochable”, pour mémoire


article de la rubrique démocratie > Sarkozy : campagne 2012 et bilan
date de publication : samedi 28 avril 2012
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Il y a 5 ans, le 13 avril 2007, Il déclarait :


« Je veux une République irréprochable »

Chacun sait, désormais, à quoi s’en tenir.


La « République irréprochable », pour mémoire

Une tribune du Syndicat de la magistrature publiée dans Le Monde du 27 avril 2012


C’était en janvier 2007 et Nicolas Sarkozy disait : « Je veux changer la pratique de la République. Je veux une République irréprochable » – mais sans doute savait-il déjà que, cette République-là, il en serait, cinq années durant, l’inépuisable fossoyeur.

Se protéger et se servir

C’était en mars 2007 et Nicolas Sarkozy disait : « Je veux que les nominations soient irréprochables ». Irréprochable, à Ses seuls yeux sans doute, cette obsession constante d’humilier ceux qui n’ont pas eu l’heur de Lui plaire. Tellement longue, la litanie des préfets limogés pour avoir offensé le Prince : en Corse, pour avoir laissé un quarteron de manifestants franchir les grilles de la villa d’un de Ses amis ; dans la Manche, pour n’avoir pas ôté de Ses oreilles le bruit de la colère populaire ; à Grenoble ou à Marseille, parce que Ses illusions sécuritaires se heurtaient au mur de la réalité.

Nul n’a été à l’abri du courroux présidentiel. A la Cour des comptes, en juillet 2011, on a invectivé ceux qui, offense des offenses, venaient de publier un rapport accablant sur la politique de sécurité. Dans la magistrature, on a déplacé de force, en juin 2009, un procureur général coupable d’avoir critiqué la réforme de la carte judiciaire, l’année suivante un juge des libertés coupable de ne pas se soumettre aux injonctions d’un syndicat de police...

Lorsque l’intérêt du Prince était en jeu, on a manié l’intimidation. Un journal révélait que Sa femme n’avait pas voté à l’élection présidentielle ? On faisait licencier le directeur de la rédaction. Un site d’information s’intéressait de trop près aux affaires Bettencourt et Karachi ? On le comparait à une publication fasciste, on menaçait physiquement les journalistes qui travaillaient pour lui. Une comptable évoquait des remises d’espèces à plusieurs hommes politiques ? On la faisait entendre une dizaine de fois, on allait la chercher avec force troupes à six cents kilomètres de Paris, on faisait fuiter dans Le Figaro un procès-verbal de déclarations tronqué. Des rumeurs d’infidélité au sommet de l’Etat ? Des journalistes trop bien informés ? On faisait sonner la charge, on mobilisait les services secrets, on ordonnait de « brèves vérifications techniques »…

Petits arrangements entre amis

Mais le Prince a su se montrer magnanime pour ceux qui l’ont servi comme on sert un seigneur. Ce quinquennat regorge de ces promotions exceptionnelles, gloires inattendues et ascensions incroyables : François Pérol, secrétaire général adjoint de l’Elysée, nommé sans consultation de la commission de déontologie à la tête d’un groupe de banques dont il avait suivi la fusion pour le chef de l’Etat ; Catherine Pégard, conseillère politique de Nicolas Sarkozy, nommée à la présidence du Château de Versailles sans avoir jamais travaillé dans le domaine culturel ; Dominique Tibéri, nommé contrôleur général économique et financier malgré l’avis unanime de la commission d’évaluation ; Christian Lambert, maintenu dans ses fonctions de préfet de la Seine-saint-denis par une loi conçue uniquement à son intention ; le très accommodant Jean-Claude Marin, nommé procureur général près la Cour de cassation où il règne désormais sur toutes les nominations du parquet ; Cécile Fontaine, collaboratrice de Nicolas Sarkozy, nommée conseiller-maître à la Cour des comptes contre l’avis – fait historique – de son premier président...

C’était en avril 2007 et Nicolas Sarkozy disait : « Nous conjurerons le pire en remettant de la morale dans la politique. Le mot morale ne me fait pas peur ». Et pourtant, la loi elle-même a été utilisée comme un cordon sanitaire entre la justice et la caste. En cinq années, le Prince a été mis à l’abri de toute poursuite tout en continuant à se constituer partie civile, des lieux entiers ont été soustraits à la curiosité des juges d’instruction par la magie du label « secret-défense », le « trafic d’influence d’agent public étranger » a été sauvé de toute incrimination pénale, les poursuites pour les crimes internationaux ont été enserrées dans des verrous tels que la société civile ne pourra jamais s’en saisir et, du « rapport Sauvé », qui voulait éliminer les conflits d’intérêts dans la vie publique, il ne reste plus rien. Le tableau de chasse est éloquent, il y manque deux belles pièces : ce pouvoir ne sera parvenu ni à supprimer le juge d’instruction, ni à revenir sur la prescription des délits financiers. Ce n’est certes pas faute d’avoir essayé.

Comme d’autres mais plus que tout autre, ce régime a su façonner à sa main un ministère public prompt à éteindre l’incendie des affaires. En octobre 2009, c’est une liste d’une trentaine d’affaires que pointait le Syndicat de la magistrature dans sa « Lettre ouverte à ceux qui feignent de croire en l’indépendance du parquet » : à chaque fois, le pouvoir était potentiellement mis en cause ; le parquet se déshonorait pour lui, à chaque fois. Depuis, la liste n’a fait que s’allonger : relaxe générale demandée dans le dossier Chirac, saucissonnage de l’affaire du Mediator...

Mais, comme fruit de leur collusion, ce pouvoir et ses collaborateurs n’ont récolté que le discrédit et l’accablement. Un certain ministère public a certes accepté de se coucher, mais il n’aura pas pu empêcher des juges d’arriver aux portes d’un régime agonisant au son de noms évocateurs : Tapie, Lagarde, Woerth, Takieddine, Gaubert, Courroye, Squarcini… A cette liste répond, en écho, celle des vestons rougeoyant des légions d’honneur du pays : Bourgi, Servier, De Maistre, Pérol...

C’était pendant la campagne de 2012 et Nicolas Sarkozy, accablé de tant de questions sur tant de promesses trahies, psalmodiait qu’il était le-seul-président-à-avoir-fait-entrer-quatre-magistrats-de-la-Cour-des-comptes-à-l’Elysée. Sans préciser, toutefois, que ces magistrats y avaient fait de belles découvertes, à savoir qu’il avait rémunéré, pour 1,5 millions d’euros d’argent public, la société de sondages de son proche conseiller Patrick Buisson, et que cela s’appelle d’ordinaire en droit pénal du favoritisme. Ni que certains membres de son cabinet ne doivent leur salut, pour l’heure, qu’à une extension de son immunité présidentielle...

C’était en mars 2012 et Nicolas Sarkozy disait : « Il n’y a pas de place pour le cynisme dans la République […], pas de place pour le clientélisme […]. Le Président de la République, il ne gouverne pas qu’avec ses amis. Il ne nomme pas que ceux qui ont toujours été d’accord avec lui ».

Chacun sait, désormais, à quoi s’en tenir.

Matthieu Bonduelle, magistrat, président
Benoist Hurel, magistrat, membre du Syndicat de la magistrature



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