la Pologne fait campagne pour obtenir le rétablissement de la peine de mort dans l’UE


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date de publication : mercredi 9 août 2006
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La Pologne, gouvernée par les frères jumeaux conservateurs Lech et Jaroslaw Kaczynski alliés aux populistes et à l’extrême droite, défie l’Union européenne en annonçant une campagne en faveur du rétablissement de la peine de mort.

La peine de mort « n’est pas compatible avec le droit européen, ni avec les valeurs européennes » a rappelé mercredi un porte-parole de la Commission. « Il y a une incompatibilité absolue » entre cette peine et l’Union européenne, a-t-il déclaré.
Tombée en déshérence dans la plupart des pays d’Europe occidentale, la peine de mort a été officiellement abolie par les Quinze, et les dix nouveaux membres de l’UE y ont eux aussi renoncé pour pouvoir adhérer en 2004.

[Première mise en ligne, le 3 août 2006,
mise à jour le 9 août 2006]


Lech Kaczynski (à gauche) félicite son frère jumeau Jaroslaw, nommé Premier ministre, le 10 juillet 2006 à Varsovie (© Wojtek Radwanski AFP)

Peine de mort : la Pologne veut changer la convention des droits de l’Homme

AFP 03.08.06

Le gouvernement polonais veut faire modifier la Convention européenne des droits de l’Homme de manière à autoriser la peine de mort, a déclaré jeudi Przemyslaw Gosiewski, proche collaborateur du Premier ministre conservateur Jaroslaw Kaczynski.

« Nous voulons lancer un débat, précisément pour obtenir un changement réel du protocole N° 6 » de la Convention qui bannit la peine capitale en Europe, « ou du moins faire relever cette question des législations nationales », a déclaré M. Gosiewski, cité par l’agence polonaise PAP.

Dans une récente interview radiodiffusée, le président conservateur polonais Lech Kaczynski, frère jumeau du Premier ministre, avait déjà souhaité un débat européen sur la peine capitale [1].

Il s’est déclaré « partisan de la peine de mort », avant d’ajouter : « il faut en discuter en Europe et je pense qu’avec le temps, l’Europe changera d’avis sur ce point ».

Ces déclarations de M. Kaczynski ont déjà suscité des critiques à Bruxelles et à Strasbourg.
Le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), René van der Linden, a fait valoir jeudi dans une lettre au chef de l’Etat polonais que le rétablissement de la peine de mort serait un acte « sérieusement rétrograde » et « totalement incompatible avec l’appartenance » au Conseil de l’Europe.

Le porte-parole du président polonais, Maciej Lopinski, a qualifié jeudi de "malentendu" la lettre du président de l’APCE.
« C’est un malentendu. Le président Kaczynski est un partisan idéologique de la peine de mort, mais il n’a jamais proposé son rétablissement. Il est parfaitement conscient des engagements qui découlent de l’appartenance à l’UE », a déclaré M. Lopinski à la télévision privée TVN24.
Il a annoncé que M. Kaczynski répondrait "laconiquement" la semaine prochaine à la lettre de M. van der Linden.

La Commission européenne a souligné pour sa part mercredi « une incompatibilité absolue entre l’UE et la peine de mort », alors que le parti polonais d’extrême droite LPR, membre de la coalition gouvernementale, venait d’annoncer le lancement d’une "campagne européenne" en faveur de l’application de cette peine pour meurtres pédophiles [2].

Membre de l’UE depuis 2004, la Pologne avait aboli la peine capitale en 1997, après avoir suspendu son exécution en 1988. La peine maximale dans ce pays est donc la prison à vie.

Pologne : Campagne pour un référendum sur la peine capitale pour les meurtres pédophiles

par Maja Zoltowska, Libération, le 9 août 2006

Ils font du porte-à-porte en semaine ou installent, le dimanche, des tables à la sortie des églises. Les activistes de la Ligue des familles polonaises (LPR, extrême droite) recueillent les signatures pour un référendum en faveur de la peine capitale pour les meurtriers pédophiles. Il en faut 500 000, selon la Constitution, pour pouvoir tenir une telle consultation. Ils se disent sûrs de gagner car, selon les sondages, entre 70 % et 80 % des Polonais seraient favorables à la peine capitale pour les crimes les plus horribles. « Que les bureaucrates à Bruxelles s’y opposent, c’est une chose ; mais l’important, c’est de demander l’opinion des peuples », explique à Libération Robert Strak, député de cette formation ultranationaliste et xénophobe. Ce petit parti (29 députés sur 460 à la Chambre basse), qui comme les populistes de Samoobrona (55 députés) siège depuis mai au gouvernement conservateur de Jaroslaw Kaczynski, vient de lancer la bataille de la collecte des signatures. A Kepice, dans une région de lacs au nord de Varsovie, où une fillette a été violée et le viol filmé, les habitants, encore sous le choc, soutiennent l’initiative. Strak est confiant et pense que « le référendum pourrait se tenir à l’occasion des municipales du 12 novembre ». Ensuite, après une victoire qu’il estime certaine, « il sera temps de demander l’opinion des autres nations de l’Union, Français, Allemands, Anglais ou Belges, particulièrement concernés par les problèmes de meurtres pédophiles ».

« Rien n’est définitif. »

« Il est grand temps de lancer un débat européen. La Pologne a bien le droit de prendre des initiatives sans se borner à accepter bêtement tout ce que l’Union lui impose. Le monde change, il devient de plus en plus agressif. Il est temps que l’UE en tienne compte et qu’elle change aussi », argumente le député. « Rien n’est définitif ni irréversible. Pourquoi certains pays autoriseraient les mariages homosexuels et n’évolueraient pas sur d’autres points ? » s’interroge ce député qui aimerait voir la loi antiavortement, déjà restrictive, encore plus durcie. « Chaque Etat membre devrait avoir la liberté de sa législation, comme c’est le cas dans les différents Etats américains », poursuit-il.

Les partisans du rétablissement de la peine de mort en Pologne savent bien que leur pays est tenu par la Convention européenne des droits de l’homme, qui proscrit la peine capitale dans toute l’UE. « J’ai toujours été partisan de la peine de mort, je le suis et je le resterai », n’a pas hésité à rappeler le président Lech Kaczynski dans une interview à la radio publique, convaincu qu’ « avec le temps l’Europe changera d’avis sur ce point ». Le parti Droit et Justice, au pouvoir, a déjà soulevé la question. En octobre 2004, alors qu’il était un petit parti d’opposition, il avait proposé un amendement du code pénal que le Parlement a rejeté. Maintenant, il envisage de lancer un débat européen pour modifier l’article 6 de la convention. Sans cela, un référendum serait un « acte purement symbolique », a déclaré avec réalisme Przemyslaw Gosiewski, ministre sans portefeuille chargé de coordonner les travaux du gouvernement. Membre de l’UE depuis 2004, la Pologne avait aboli la peine capitale en 1997, après avoir suspendu son exécution en 1988. La peine maximale, c’est la prison à perpétuité. Le dernier condamné a été pendu en 1988. Pour trahison, les condamnés étaient fusillés. A l’époque communiste, plusieurs procès politiques se sont terminés ainsi. La peine de mort a même été appliquée pour une affaire de corruption dans la vente de viande, un produit déficitaire dans les magasins alimentaires communistes.

Tous ces propos ont suscité la critique de l’opposition et surtout la consternation des institutions européennes. La Commission européenne a souligné « une incompatibilité absolue entre l’UE et la peine de mort ». Le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), René Van der Linden, a fait valoir jeudi dans une lettre au chef de l’Etat polonais que le rétablissement de la peine de mort serait un acte « sérieusement rétrograde » et « totalement incompatible avec l’appartenance » au Conseil de l’Europe. La présidence polonaise a aussitôt expliqué qu’il ne s’agissait aucunement d’une initiative législative, mais simplement d’une opinion privée du Président.

« Dommage que la Pologne devienne aujourd’hui un réservoir de pulsions rétrogrades, après avoir été le moteur de grandes idées progressistes avec le syndicat Solidarité qui renversa sans violence le communisme », s’indigne le sénateur indépendant Krzysztof Piesiewicz. « Le débat sur la peine de mort en Pologne, nous l’avions eu il y a vingt-cinq ans », renchérit cet avocat de renom et grand ami du cinéaste Krzysztof Kieslowski, dont il a écrit la plupart des scénarios. L’initiative du référendum représente à ses yeux « de la démagogie populiste pure et simple de la part d’un parti qui a 2 % ou 3 % de soutien dans les sondages et qui veut ainsi gagner quelques points ».

Retour en arrière

L’important soutien populaire à la peine de mort est d’autant plus étonnant que le défunt pape Jean Paul II, cher au coeur des Polonais, avait multiplié les dénonciations contre les exécutions capitales. Manoeuvre électorale pour la plupart des analystes, cette campagne peut enclencher un processus dangereux. « Aucun pays dans le monde n’est libre de relancer un débat sur la peine de mort, reconnaît le sénateur Piesiewicz. Si un jour l’idée devait à nouveau émerger en Europe, ça nous ramènerait cinquante ans en arrière. »

Maja Zoltowska

Il y a deux ans ...

La Diète polonaise a rejeté vendredi par trois voix seulement un amendement de la droite proposant le rétablissement de la peine de mort, abolie en Pologne depuis 1997.

Varsovie [AFP - 22 octobre 2004] Proposé par le parti Droit et Justice (PiS), le projet a été rejeté par 198 députés de la Diète (chambre basse du Parlement) contre 195. 14 députés se sont abstenus. Le PiS proposait le rétablissement de la peine capitale pour les crimes de génocide et les meurtres particulièrement cruels, notamment avec viol.

Aussi bien l’Église catholique de Pologne que le président Aleksander Kwasniewski se sont prononcés contre ce projet. Mgr Tadeusz Pieronek, un membre influent de l’épiscopat, l’a qualifié de « retour aux méthodes barbares », alors que le président l’a jugé « non conforme aux standards européens » et « contraire à l’enseignement du pape Jean Paul II ».

Tous les pays de l’Union européenne ont banni la peine capitale de leur code pénal. La Pologne l’a formellement abolie en 1997, mais elle n’y était plus appliquée depuis 1988 en vertu d’un moratoire. Actuellement, la peine maximale est la prison à vie.

La montée de la criminalité après la chute du communisme a fait que de plus en plus de Polonais se prononcent pour la peine de mort. Selon un sondage réalisé au printemps par l’institut CBOS, 77% des Polonais sont pour son rétablissement et 19% s’y opposent.

Notes

[1Vendredi, Lech Kaczynski avait annoncé qu’il lançait une campagne pour le rétablissement de la peine de mort dans l’Union européenne. « Les pays qui renoncent à cette peine accordent un avantage inimaginable au criminel par rapport à sa victime, l’avantage de la vie sur la mort », a-t-il déclaré.

[2Le gouvernement de Jaroslaw Kaczynski comporte deux représentants de la LPR, dont le président, Roman Giertych, ultracatholique fortement homophobe nommé ministre de l’éducation, qui a salué récemment la mémoire du général Franco. [Le Monde du 4 août 2006]

En juin dernier, le Parlement européen
(le parti nationaliste et ultra-catholique LPR y est représenté par trois députés) a voté une résolution dans laquelle il s’est dit « profondément préoccupé par la montée générale de l’intolérance raciste, xénophobe, antisémite et homophobe en Pologne ».


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