Henri Leclerc, Michel Tubiana, Victor Hugo, Arthur Koestler.
Quarante sept députés ont cosigné une proposition de loi, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 avril 2004, visant à rétablir la peine de mort pour les auteurs d’actes de terrorisme.
Nous avons posé la question à Maître Henri Leclerc, président d’honneur de la LDH : cette proposition de loi est-elle une gesticulation ou bien est-il possible aujourd’hui - constitutionnellement parlant - de rétablir la peine de mort en France ?
Voici sa réponse :
Il s’agit évidemment d’une manoeuvre politicienne dont les auteurs savent parfaitement qu’elle n’a aucune chance d’aboutir.
Ce n’est pas seulement des raisons juridiques qui empêchent de rétablir la peine de mort, c’est aussi, me semble-t-il - et c’est pour les abolitionnistes de toujours une heureuse surprise - l’état actuel de l’opinion sur ce sujet. Mais il est vrai que chaque crime odieux provoque une flambée de colère débouchant inéluctablement sur une revendication de retour en arrière. Il faut donc combattre de telles propositions politiquement et montrer que le retour à la barbarie n’est pas une arme que les démocraties peuvent utiliser, même contre la barbarie elle-même et que le combat qu’il convient de mener est celui de l’abolition universelle, en particulier, bien sûr, aux Etats-Unis. On peut toujours rappeler à ce sujet d’ailleurs que les 3500 occupants des couloirs de la mort et la centaine d’exécutions annuelle n’ont pas fait reculer les crimes de sang ni empêché le 11 septembre. Puisque cette proposition est une gesticulation politique ne feignons pas de l’ignorer et n’hésitons pas à engager le débat qui provoque inéluctablement une réflexion sur le sens de la peine, sur la prison et plus généralement sur le problème de la confrontation en démocratie entre la répression du crime et le respect des droits de l’homme.
Juridiquement, c’est en effet le protocole n° 6 annexé à la Convention européenne des droits de l’homme qui prévoit l’abolition de la peine de mort. La France l’a ratifié comme les 45 pays du Conseil de l’Europe ( y compris la Turquie, mais à l’exception notable de la Russie qui dit ne plus l’appliquer mais la conserve dans son arsenal).
Pour les Etats qui l’ont ratifié le protocole n° 6 est indissociable de la Convention. Certes il est possible de se retirer de la Convention. Mais c’est politiquement inconcevable
Rappelons aussi que l’article 2 de la Charte de l’Union européenne impose, sans restrictions aucunes, l’abolition.
Ne baissons pas la garde !
Henri Leclerc
le 30 avril 2004
Le 4 mai 2004, Michel Tubiana, président de la LDH, a écrit au Premier Ministre pour lui demander que la France ratifie le protocole additionnel n°13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme :
Monsieur le Premier Ministre,
La France a signé, le 3 mai 2002, le protocole additionnel N° 13 à la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’Homme. Ce protocole abolit la peine de mort en toutes circonstances.
Les gouvernements qui se sont succédés depuis 1981 ont tous réaffirmé leur attachement à l’abolition de la peine de mort.
Monsieur François Mitterrand puis Monsieur Jacques Chirac, ce dernier tant en qualité de député que dans l’exercice de ses fonctions actuelles, ont manifesté leur refus de la peine de mort.
Alors que des voix s’élèvent pour tenter de revenir sur cette abolition, il nous paraît de la plus haute importance que la France garantisse le caractère irréversible de l’abandon de la peine de mort dans notre droit.
C’est pourquoi, nous vous demandons de soumettre au Parlement la ratification du Protocole additionnel N° 13.
Je vous prie de croire, Monsieur le Premier Ministre, en l’assurance de ma haute considération.
Michel Tubiana - Président de la LDH
Le même jour, il s’adressait aux 47 députés signataires de la proposition de loi :
Mesdames, Messieurs,
Vous avez déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort pour les auteurs d’actes de terrorisme.
Vous expliquez cela par la nécessité de défendre les états et les peuples, "en temps de guerre".
Je ne m’attarderai pas sur les raccourcis auxquels vous avez recours et qui vous conduisent à classer l’Indonésie et le Maroc dans les pays "occidentaux" ou à mêler les attentats survenus depuis 2001 avec ceux commis en France entre 1986 et 1996.
Je ne m’attarderai pas plus sur l’incongruité juridique de cette proposition de loi qui aboutirait à dénoncer dans son ensemble la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’Homme.
Au fond des choses, et ainsi que vous le relevez vous-mêmes, en ce domaine encore plus que dans les autres, la peine de mort n’a aucun effet dissuasif. Dès lors, ce que vous demandez, c’est l’application de la loi du talion et remplacer la justice par la vengeance.
La proposition de loi que vous avez déposée ne résoudra rien. Lutter contre le terrorisme, ce qui est le devoir de tout État démocratique, c’est non seulement mettre en œuvre les moyens policiers et judiciaires nécessaires et respectueux de l’état de droit, mais c’est aussi s’attaquer aux situations qui permettent à certains d’exploiter les injustices de ce monde.
En appliquant la peine de mort aux auteurs ou aux instigateurs d’actes de terrorisme, vous ne ferez que créer de nouveaux martyrs ce qui entraînera d’autres actes de violence.
Plus grave encore, vous raménerez les démocraties au même mépris de la vie humaine que ceux que vous prétendez combattre.
Tout cela, vous ne l’ignorez pas et votre démarche n’a d’autres buts que d’attiser les peurs. Le comble de la démagogie est atteint lorsque vous croyez devoir vous prévaloir des propos de Robert Badinter dont vous savez pourtant l’opposition, en toutes circonstances, à l’application de la peine de mort.
Non seulement, nous nous opposerons à votre proposition de loi, mais nous demandons, dès aujourd’hui, au Premier ministre, de soumettre au Parlement la ratification du protocole N° 13 prohibant la peine de mort en toutes circonstances.
Je vous prie de croire, Mesdames et Messieurs les députés, en l’assurance de ma considération.
Michel Tubiana - Président de la LDH
Vous aussi, vous pouvez agir :
Si votre député figure parmi les signataires, écrivez-lui - à l’Assemblée Nationale, 126 rue de l’Université, 75007 Paris - pour essayer de le convaincre de son erreur. [2]
Vous trouverez de bons arguments dans l’oeuvre de Victor Hugo, ce grand avocat de la cause de l’abolition.
[1] Arthur Koestler, Réflexions sur la peine capitale - 1957.
[2] L’adresse, le numéro de téléphone, le fax et l’email de chaque député est consultable sur le site de l’Assemblée nationale.