la Hongrie, son passé glorieux, son présent inquiétant


article de la rubrique international > l’Europe
date de publication : samedi 21 janvier 2012
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La Constitution hongroise revue et corrigée par Viktor Orban évoque l’héritage glorieux de la monarchie hongroise, remplace l’appellation “République de Hongrie” au profit de la seule “Hongrie” et fait une référence explicite à la religion – “Dieu bénisse les Hongrois !”. Selon Paul Gradvohl, maître de conférences à l’université Nancy II et spécialiste de l’Europe centrale, « le pays ne se définit plus comme un régime politique. C’est le peuple hongrois […] qui fait son essence. La “nation hongroise” [...] réunit à la fois les citoyens de Hongrie et les membres des minorités hongroises de Roumanie, Slovaquie, Voïvodine et d’Ukraine, qui n’ont pas nécessairement la double nationalité [1]. »

Quelques brefs rappels de l’histoire du pays aideront à comprendre le contexte et les dangers de la situation qui se développe en Europe centrale. Si Viktor Orban est fasciné par le passé glorieux de son pays, en revanche le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, ne cache pas son inquiétude pour la démocratie et pour le respect des droits de l’homme que constituent les modifications de la législation hongroise.


Viktor Orban inaugure une exposition de peinture intitulée "Héros, rois et saints, l’épopée historique de la Hongrie à travers la peinture hongroise" – Attila Kisbenedek (AFP)

Quelques éléments d’histoire [2]

Selon la tradition, les Magyars ou Hongrois sont un peuple originaire du sud de l’Oural qui s’établit dans les plaines danubiennes du centre de l’Europe au Xe siècle. Le premier roi, [Saint-]Etienne, imposa le catholicisme. Les Hongrois bâtirent un royaume puissant qui s’étendait alors de l’Adriatique aux Carpates et qui connut son apogée lors du règne de Matthias Corvin (1458-1490).

A partir du XVIe siècle, les Ottomans et les Habsbourg se disputèrent le pays. C’est l’Autriche qui finit par annexer la Hongrie (1711), tout en lui accordant une certaine autonomie au sein d’un empire qui couvrait alors un vaste espace plurinational.

La défaite autrichienne devant la Prusse en 1866 à Sadowa entraîna la mise en place d’un double monarchie : la Transleithanie (Hongrie) et la Cisleithanie (Autriche) – du nom de la rivière Leitha qui sépare les 2 entités – sont sur un pied d’égalité, les Magyars se voyant associés à la direction de l’Empire rebaptisé austro-hongrois.

L’Autriche-Hongrie

A l’issue de la guerre de 1914-1918, cet empire fut démantelé. En 1920, le traité de Trianon amputa la Hongrie des deux tiers de son territoire et de 60 % de sa population au profit de la Slovaquie, de la Yougoslavie, de l’Autriche et de la Roumanie qui annexa la Transylvanie que certains considèrent encore comme le cœur de la nation hongroise. Des millions de Hongrois se retrouvèrent citoyens d’un autre pays, parce qu’ils vivaient hors des frontières du nouvel État. Actuellement, 2,5 millions de Magyars résident en dehors de Hongrie ; ils sont installés en Roumanie (plus de 1,4 million, soit 6,7 % de la population), mais également en Slovaquie (plus de 9 %).

La rancœur laissée par ce traité n’est pas éteinte : on raconte que, depuis quatre-vingt-dix ans, des nostalgiques hongrois de passage à Versailles ne manquent pas d’aller cracher sur le Trianon.

Dépècement de la Hongrie au traité de Trianon.

En 1920, un gouvernement autoritaire et ultra-conservateur conduit par l’amiral Horthy (1920-1944) se mit en place. Il rapprocha son pays des régimes fascistes. En 1941, la Hongrie entrait en guerre aux côtés de l’Allemagne nazie. En 1944, le pays fut occupé par les Allemands, puis par les Soviétiques...

Hongrie : les modifications de la législation menacent la démocratie et les droits de l’homme  [3]

[Strasbourg, le 12 janvier 2012] – « La Hongrie a apporté des modifications majeures à sa législation après une consultation publique minimale et sans prendre suffisamment en compte les principes essentiels des droits de l’homme. Des décisions récentes portant atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire, à la liberté d’expression et à la liberté de religion suscitent de vives inquiétudes », a déclaré le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, en publiant aujourd’hui une lettre adressée au ministre hongrois des Affaires étrangères au sujet de la nouvelle loi sur le droit à la liberté de conscience et de religion, qui prive de nombreuses confessions religieuses de leur statut d’Eglise.

Les communautés religieuses non reconnues sont privées des droits et des privilèges dont elles jouissaient auparavant en Hongrie et se heurtent à d’importants obstacles juridiques et procéduraux lorsqu’elles tentent d’obtenir à nouveau le statut d’Eglise. Bien que le gouvernement ait répondu à la lettre, le Commissaire demeure préoccupé. « Le Parlement décidera désormais si une confession mérite d’être reconnue ou non. Cette procédure, qui habilite un organe politique à se prononcer sur la légitimité de convictions religieuses, n’est pas compatible avec le devoir de neutralité et d’impartialité de l’Etat », estime le Commissaire.

Cette lettre fait suite à des préoccupations déjà exprimées par le Commissaire au sujet des conséquences, pour la liberté des médias et le pluralisme, d’un ensemble de dispositions législatives qui avaient été adoptées par les autorités hongroises entre juin et décembre 2010. Dans un avis publié en février 2011, le Commissaire a attiré l’attention sur un grand nombre de dispositions problématiques figurant dans la législation hongroise sur les médias, notamment : des obligations concernant les contenus ; l’imposition de sanctions aux médias ; la création d’un mécanisme de régulation déséquilibré d’un point de vue politique et doté de pouvoirs disproportionnés, qui n’est pas soumis à un contrôle judiciaire suffisant ; des menaces pesant sur l’indépendance des médias audiovisuels de service public ; enfin, l’érosion de la protection des sources utilisées par les journalistes. Le Commissaire note avec regret que ces problèmes persistent, malgré les amendements adoptés en mars 2011.

Le Commissaire est également très préoccupé par les décisions visant à limiter les pouvoirs de la Cour constitutionnelle et à réduire l’indépendance des institutions d’Ombudsmans. « Toute démocratie a besoin d’un système de freins et contrepoids et d’institutions qui exercent un contrôle effectif sur le pouvoir exécutif. »

Par ailleurs, le Commissaire constate que la Hongrie a pris des mesures qui risquent de porter atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire. A la suite de l’abaissement de l’âge du départ à la retraite pour les juges, plus de 200 nouveaux juges vont devoir être nommés. Cette mesure s’accompagne d’une modification de la procédure de nomination, qui repose désormais sur la décision d’une seule personne, désignée par le pouvoir politique. De plus, le Commissaire regrette que le Président de la Cour suprême ait dû quitter son poste prématurément, en application de la nouvelle loi sur le système judiciaire. « Une procédure selon laquelle les juges sont nommés par le Président de l’Office nationale de la justice, désigné par le Gouvernement pour neuf ans, suscite de sérieuses réserves. Le pouvoir judiciaire doit être protégé contre toute ingérence indue du pouvoir politique. »

En conséquence, le Commissaire appelle les autorités hongroises à s’employer avec détermination à protéger l’indépendance du pouvoir judiciaire et à respecter pleinement la liberté d’expression et la liberté de religion, qui comptent parmi les piliers d’une société démocratique. Comme l’a indiqué le Secrétaire Général Thorbjørn Jagland dans une lettre publiée aujourd’hui, le Conseil de l’Europe est prêt à continuer à offrir son expertise dans ces domaines.

Lire la lettre adressée au ministre hongrois des Affaires étrangères
Lire la réponse du gouvernement

Thomas Hammarberg


Notes

[1Le Monde, 03/01/2012

[2Les cartes proviennent du site Atlas historique.