la Cnil tire sur le projet de loi antiterroriste de Sarkozy


article de la rubrique justice - police > le tout-sécuritaire
date de publication : mercredi 26 octobre 2005
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La Commission informatique et libertés redoute un fichage généralisé,
par Patricia TOURANCHEAU, Libération, mardi 25 octobre 2005.

Sarkozy veut durcir l’arsenal antiterroriste
par Jacky DURAND, Libération, mercredi 26 octobre 2005


« Risques graves d’atteintes aux libertés individuelles. » Dans son avis du 10 octobre, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) juge très sévèrement le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme que Nicolas Sarkozy présente demain en Conseil des ministres. La Cnil doute que les moyens proposés soient « pertinents et proportionnés » aux objectifs suivis. Et s’interroge « même sur l’utilité de certains d’entre eux ». Revue de détail.

Vidéosurveillance. Police et gendarmerie sont déjà habilitées à accéder de façon ponctuelle et motivée aux bandes de vidéosurveillance des lieux publics, mais la possibilité de les rendre « destinataires des (...)enregistrements dans le cadre de mission de police administrative, hors de tout contrôle de l’autorité judiciaire » inquiète la Cnil qui exige des « garanties » pour préserver le respect de la vie privée.

Déplacements à l’étranger. Les dispositions prévues pour « cibler des individus ayant un profil à risque et se rendant de manière répétée ou prolongée vers des pays connus pour abriter des terroristes » (article 3) hors de l’UE consistent à puiser les données sur les cartes d’embarquement et de débarquement des compagnies aériennes, déjà utilisées aujourd’hui pour alimenter le fichier national transfrontières (FNT), puis de les interconnecter avec le fichier des personnes recherchées (FPR). Les services antiterroristes accéderaient aussi aux listes de réservation des agences de voyages, au nom des passagers ainsi qu’au contenu de la bande de lecture des passeports. Ces mesures peuvent « concerner toute personne », craint la Cnil qui estime en outre que « la mise en oeuvre de tels traitements ne saurait revêtir un caractère pérenne ».

Flicage des voitures en France. Sarkozy (article 4) prévoit d’étendre au domaine du terrorisme « des dispositifs fixes et mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules » d’ordinaire réservés au pistage de voitures volées. Il permet aux policiers et gendarmes de traiter aussi « la photographie des occupants des véhicules ». Ce qui revient, dit la Cnil, « à pouvoir soumettre à une surveillance automatique l’ensemble des déplacements des personnes utilisant le réseau routier ».

Connexions Internet. La Cnil critique l’obligation faite notamment (articles 6 et 7) aux cybercafés de conserver les traces des connexions du public et de les remettre aux services qui voudraient pister des
jihadistes sur la Toile. La Cnil souligne que « par recoupement avec d’autres données, les traces de connexions peuvent dévoiler l’identité des utilisateurs d’Internet (...) et (...), l’usage privé que l’on fait du réseau ».

Fichiers en tous genres. Sarkozy souhaite donner à l’antiterrorisme l’accès aux fichiers qui recensent immatriculations, permis de conduire, cartes d’identité, passeports etc. Les services comptent ainsi améliorer « la détection précoce d’activités terroristes », connaître « l’identité des personnes susceptibles d’y participer », leur lieu de résidence etc. Pour la Cnil, l’accès permanent à ces fichiers qui « recensent une grande partie de la population française et des personnes étrangères (...) doit s’entourer de garanties ».

Au final, la Cnil observe que cet avant-projet s’appuie sur « l’exploitation systématique de fichiers et d’enregistrements d’images susceptibles de concerner la totalité de la population et appelés à conserver des traces visuelles ou informatiques des actes de la vie quotidienne, des habitudes de la vie et de comportements. A ce titre, seraient ainsi créés de nouveaux fichiers d’une dimension considérable et l’accès à des gisements de données existants, publics ou privés, serait largement ouvert ».

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Face à la « menace très élevée » d’attentats, Sarkozy présente ce matin un projet de loi renforçant les contrôles.

Par Jacky DURAND, Libération, mercredi 26 octobre 2005

Quinze articles et huit chapitres pour renforcer les pouvoirs de la police en facilitant notamment l’accès à différents fichiers et pour accroître les peines de prison. Avec le projet de loi qu’il doit présenter ce matin en Conseil des ministres, Nicolas Sarkozy est en pointe dans le durcissement général en Europe de la lutte contre le terrorisme (lire page 10). Son texte fait l’objet d’un avis négatif de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), qui critique particulièrement les dispositions visant à « contrôler les déplacements sur le territoire », estimant qu’elles peuvent « porter atteinte au principe fondamental de la liberté d’aller et venir ». La Cnil doute que les moyens proposés soient « pertinents et proportionnés » aux objectifs suivis. Et s’interroge « même sur l’utilité de certains d’entre eux ». Le projet de loi sera débattu en urgence à l’Assemblée nationale « à partir du 22 novembre » afin d’être adopté définitivement « pour la fin de l’année », a indiqué hier soir le ministre des Relations avec le Parlement, Henri Cuq.

Technologies. Le 26 septembre sur France 3, le ministre de l’Intérieur estimait que « la menace terroriste sur Paris était à un niveau très élevé ». Son projet de loi prolonge ce constat dès l’exposé des motifs : « La France n’est pas à l’abri d’attaques similaires à celles survenues à New York et Washington (septembre 2001), Madrid (mars 2004) et Londres (juillet 2005). La mondialisation des échanges et le perfectionnement des technologies de l’information et de la communication aggravent la menace. La volonté de destruction de terroristes y trouve de nouvelles voies d’expression. » Le texte fait donc la part belle à l’approche technologique, alors que, traditionnellement, les services français mettent en avant la force du renseignement humain dans la réussite de leurs enquêtes.

Le chapitre 1er encourage le développement de la vidéosurveillance en autorisant les « personnes morales exposées à des risques d’actes terroristes » à déployer des caméras filmant la voie publique aux abords immédiats de leurs bâtiments. Concernant les télécommunications, le texte facilite l’accès aux informations détenues par les opérateurs téléphoniques. Les enquêteurs n’auraient plus besoin d’une réquisition judiciaire pour se faire communiquer des données relatives aux communications d’un abonné. Ils devraient disposer des mêmes facilités de consultation pour différents fichiers administratifs (immatriculations, permis de conduire, cartes d’identité...).

A la lumière de l’affaire Richard Reid, ce Britannique qui a tenté de mettre à feu des explosifs dissimulés dans ses chaussures sur un vol Paris-Miami et qui communiquait depuis un cybercafé parisien, le projet de loi propose d’assimiler les cybercafés à des opérateurs téléphoniques. Ils devront conserver leurs données de connection sur un an, disposition très critiquée par la Cnil. Pour « faciliter le travail sur un objectif ciblé », dixit un enquêteur, l’article 7 vise à améliorer l’utilisation des systèmes de surveillance automatique de véhicules, qui peuvent photographier des plaques d’immatriculation et des passagers. Avec de tels dispositifs, disent les auteurs du projet de loi, on peut « anticiper » sur les actions de membres d’un réseau terroriste « sur des points précis du territoire ». Il est prévu de faciliter les contrôles d’identité dans les trains transfrontaliers et l’accès aux données des compagnies ferroviaires, maritimes et aériennes.

Immigration. En préconisant la modernisation du Fichier national transfrontière (FNT), le projet de loi s’inscrit aussi dans la lutte contre l’immigration irrégulière. Le FNT est traditionnellement alimenté à partir des données collectées sur les cartes d’embarquement et de débarquement des passagers aériens. Désormais, il recueillera les informations collectées sur la bande optique des passeports et cartes d’identité. « Si, en luttant contre le terrorisme, on peut aussi intercepter des flux irréguliers, c’est tant mieux », estime un haut fonctionnaire.

Le volet judiciaire du projet de loi aggrave la répression de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste en criminalisant ce qui relève encore du délit. L’article 11 porte de dix à quinze ans le délai durant lequel une déchéance de nationalité est possible pour un condamné après sa naturalisation. Hier, Dominique Barrella, président de l’Union syndicale des magistrats, a prévenu : « Attention à ne pas tomber dans des mesures excessives de type anglais ou américain. Il faut rester dans le cadre d’une société démocratique. »


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