l’universalité de la Déclaration des droits de l’Homme, par Kofi Annan


article de la rubrique droits de l’Homme > les grandes déclarations
date de publication : 2000
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Discours prononcé le lundi 16 mars 1998, à Genève, lors de l’ouverture de la 54e session de la Commission des droits de l’homme des Nations unies.


"La présente session de la Commission des droits de l’homme fera date : elle coïncide non seulement avec le cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais aussi avec l’examen de suivi consacré à la Déclaration et au Programme d’action de Vienne, cinq ans après leur adoption.

La Déclaration universelle et les principes intangibles qu’elle consacre sont le fruit des efforts inlassables et de la volonté résolue d’hommes et de femmes issus des quatre coins du monde. Aujourd’hui, ces principes, qui sont devenus l’aune à laquelle on mesure l’état d’avancement des sociétés, sont connus et reconnus par tous les habitants de la planète.

Bien sûr, ils ne savent pas nécessairement que la Déclaration universelle a été adoptée le 10 décembre 1948 ; ils ne savent pas toujours qu’au cours de ces 50 dernières années la communauté internationale s’est dotée d’un dispositif complexe destiné à promouvoir et à protéger les droits de l’homme. Mais ils savent que la dignité des êtres humains passe par le respect de leurs droits.

Tous les habitants de la planète partagent le désir de vivre à l’abri des horreurs de la violence, de la famine, de la maladie, de la torture et de la discrimination. Leur conviction est que tous les individus ont le droit de s’exprimer librement, de développer leurs talents, de poursuivre leurs propres aspirations et celles de la communauté. Ils savent que ces droits n’appartiennent pas à une poignée d’élus mais à tout le monde. Les habitants de la planète ont fait leurs les droits de l’homme.

La Déclaration : son universalité a été réaffirmée

Sans discontinuer, la Déclaration a rencontré un soutien grandissant qui a insufflé une vie nouvelle à son message. Son emprise n’a cessé de s’étendre. Son universalité a été réaffirmée. La Déclaration a servi de guide aux constitutions, lois, règlements et politiques des pays, ainsi qu’à la pratique des gouvernants dans l’optique de la protection des droits de l’homme.

Ses dispositions ont apporté une multitude de points de repère aux tribunaux nationaux, parlements, gouvernements, juristes et organisations non gouvernementales dans le monde entier. Cette vague de soutien, qui a conféré à la Déclaration sa place dans notre conscience collective, est la preuve flagrante qu’elle parle à un monde divers. Toutes les valeurs doivent trouver leur expression dans la langue des gens qu’elles ont pour objet de servir et de protéger.

La devise du cinquantième anniversaire Tous les droits de l’homme : nos droits à tous résume bien le défi que nous devons relever aujourd’hui. Oui, la Déclaration constitue notre proclamation commune des droits de l’homme mais malheureusement, il lui reste encore à devenir notre appel commun à l’action. Des violations des droits de l’homme restent une réalité largement répandue que nous n’avons pas pu - et dans certains cas pas voulu - éradiquer.

Les raisons du décalage entre la rhétorique et la réalité - entre nos paroles et nos actes - sont complexes mais nous devons nous efforcer de les déterminer si nous voulons concrétiser la vision que nos pères nous ont donnée à travers le texte de la Déclaration.

Nous devrions maintenant agir fermement en faveur de la ratification des traités relatifs aux droits de l’homme afin de rendre le respect des droits de l’homme juridiquement contraignant dans le monde entier. La Haut Commissaire et moi-même nous sommes adressés à tous les chefs d’Etat et de gouvernement pour réitérer cet appel lancé par la Conférence mondiale de Vienne. Le programme des droits de l’homme de l’ONU est prêt à appuyer les mesures prises par les Etats membres à cette fin.

Promouvoir et préserver les droits de l’homme

Je considère que l’Organisation des Nations unies - et moi-même en tant que secrétaire général - avons un rôle essentiel à jouer pour exprimer, promouvoir et préserver les droits de l’homme.

Dans les mois qui ont précédé mon élection, il a beaucoup été question de discipline budgétaire et d’efficacité administrative. Néanmoins, comme je l’ai dit lorsque j’ai pris mes fonctions, ce qui nous guide et doit continuer à nous guider, c’est la dimension morale de notre travail. Pour marquer le cinquantième anniversaire de la Déclaration, j’ai abordé la question des droits de l’homme devant des publics très divers, de Téhéran à Shanghai.

Prenons le cas de mon propre continent, l’Afrique, qui illustre bien le problème. Lorsque je me suis rendu à Harare pour prendre la parole devant l’Organisation de l’unité africaine l’année dernière, le message que j’avais à faire passer était à la fois difficile et très simple. Je voudrais le reprendre en partie avec vous maintenant.

Au cours des cinq dernières décennies, l’Afrique a subi une série de transformations. Il y a d’abord eu la décolonisation et la lutte contre l’apartheid ; puis il y a eu une période marquée et ternie par la guerre civile et des régimes militaires ; maintenant je crois que le moment est venu pour l’Afrique d’entrer dans une troisième ère, celle d’une vague de paix ancrée dans la démocratie et les droits de l’homme.

Le succès de cette troisième ère repose au départ sur une idée toute simple : la volonté populaire. Partout dans le monde, on prend de plus en plus conscience des effets funestes des coups d’Etat.(...)

Les droits de l’homme sont les droits des Africains

Certains Africains continuent pourtant à considérer le souci des droits de l’homme comme un luxe de riches pour lequel l’Afrique n’est pas prête, voire comme un complot fomenté par les pays occidentaux industrialisés. Il s’agit là pour moi d’une conception dégradante, qui fait injure à l’aspiration à la dignité humaine qui existe dans le coeur de chaque africain.

Est-ce que les mères africaines ne pleurent pas lorsque leurs fils et leurs filles sont tués ou torturés par les agents de l’oppression ? Est-ce que les pères africains ne souffrent pas lorsque leurs enfants sont injustement emprisonnés ? Est-ce que l’Afrique dans son ensemble ne souffre pas lorsque l’une de ses voix est étouffée ?

Je l’ai dit à Harare, les droits de l’homme sont les droits des Africains. Ce sont les droits des Asiatiques ; ce sont les droits des Européens ; ce sont les droits des Américains.

Des droits inhérents à l’humanité elle-même

Ces droits n’appartiennent à aucun gouvernement, ils ne se limitent à aucun continent, car ils sont inhérents à l’humanité elle-même. Et ils intéressent tous les niveaux et tous les secteurs de la société. Ce que Mme Robinson appelle l’approche "par la base" signifie qu’il faut agir au niveau communautaire et au niveau national. "Tous les droits de l’homme pour tous" passe par l’exécution de programmes nationaux et la création de capacités nationales, cela implique une action concertée du gouvernement et de la société civile, et une responsabilité partagée des institutions et des individus.

Vous tous ici réunis comprenez, peut-être mieux que d’autres, que pour les victimes de violation des droits de l’homme, les actions en faveur de la défense des droits de l’homme viennent généralement trop tard. Est-ce suffisant de dire à ces victimes que nous avons fait de notre mieux ? Ne vaut-il pas mieux mener une action préventive à l’égard de ces violations ?

Les violations d’aujourd’hui sont les causes des conflits de demain

Je suis ici aujourd’hui pour vous dire que le siècle prochain doit être axé sur la prévention. Je suis ici pour vous dire que nous ne pouvons plus prétexter que le manque de ressources nous empêche d’agir à temps. Les violations des droits de l’homme d’aujourd’hui sont les causes des conflits de demain. Ce cercle vicieux de violations et de conflits, générateur de nouvelles violations, peut et doit être enrayé.

Nous disposons de sources d’information presque illimitées sur les événements qui se produisent dans le monde. Nous disposons de rapports soumis à cette Commission, à l’Assemblée générale, à la Haut Commissaire. Ces rapports doivent être considérés comme des outils diagnostiques et des signaux d’alerte. Ils ne doivent pas être ignorés. La communauté internationale doit avoir la volonté d’utiliser cette information pour agir en temps voulu.

La communauté internationale doit faire un effort pour bien appréhender toutes les implications du lien entre démocratie, développement et droits de l’homme. La Conférence mondiale a insisté sur ce lien, qui est attesté par l’expérience de toutes les nations. Cette expérience, illustrée ici par de remarquables réalisations, là par des événements tragiques, nous enseigne que le développement durable est impossible sans la pleine et entière participation de la population, qu’il est impossible sans l’exercice plein et entier des droits de l’homme.

Les droits de l’homme renforcent l’Etat de droit

Les droits de l’homme font partie intégrante de la paix et de la sécurité, du développement économique et de l’équité sociale, car la vie humaine et le développement humain sont au coeur de chacune de nos missions et de chacun de nos programmes.

Les droits de l’homme contribuent à la paix et au développement, renforcent l’état de droit, et libèrent, dans toute sa plénitude, la créativité des individus et des sociétés. Et ce n’est pourtant qu’aujourd’hui que nous commençons à comprendre combien notre approche du maintien de la paix, des affaires humanitaires et du développement durable sera modifiée et enrichie par la prise en compte du facteur droits de l’homme.

Ce n’est pas une tâche facile. Mais les conséquences d’un échec seront plus douloureuses encore, pour nous, pour nos enfants, et pour les enfants de nos enfants.

Ne pas nous permettre d’être indifférents, individuellement ou collectivement

Nos prédécesseurs ont construit les Nations unies pour épargner aux futures générations les horreurs de l’holocauste et de la guerre, sources de douleurs et d’afflictions indicibles pour l’humanité.

La Déclaration universelle est née de cette expérience pour faire en sorte que ces horreurs ne se reproduisent jamais plus. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être indifférents, individuellement ou collectivement. Ayons présent à l’esprit cet avertissement inoubliable du théologien allemand Martin Niemoller :

"En Allemagne, ils ont d’abord arrêté les communistes, et je n’ai pas protesté parce que je n’étais pas communiste.
Ils ont ensuite arrêté les Juifs, et je n’ai pas protesté parce que je n’étais pas juif.
Ils ont ensuite arrêté les syndicalistes, et je n’ai rien dit parce que je n’étais pas syndicaliste.
Ils ont ensuite arrêté les catholiques, et je n’ai rien dit parce que j’étais protestant.
Puis ils sont venus m’arrêter, et ce jour-là, il ne restait plus personne pour protester."

Si nous n’élevons pas la voix, individuellement et collectivement, aujourd’hui et à chaque fois que notre conscience est mise au défi par l’inhumanité et l’intolérance, nous n’aurons pas fait notre devoir - pour nous-mêmes ou pour les générations futures.

Une norme commune pour l’ensemble de l’humanité

Le moment est venu de nous demander non seulement comment la Déclaration peut protéger nos droits, mais comment nous pouvons correctement protéger la Déclaration. Un demi-siècle après l’adoption de celle-ci, le moment est venu d’aborder une nouvelle étape de notre mission pour en apporter le message à tous les peuples.

Aujourd’hui, je vous demande à tous de saisir l’occasion de cette journée anniversaire pour tracer la voie des droits de l’homme pour les cinquante prochaines années et au-delà.

Que cette année soit celle où le monde recherchera une fois encore dans la Déclaration universelle des droits de l’homme - comme il y a 50 ans - une norme commune d’humanité pour l’ensemble de l’humanité."


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