l’obsession de l’origine


article de la rubrique démocratie > Sarkozy : campagne 2012 et bilan
date de publication : vendredi 30 mars 2012
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Le 6 mars dernier, Nicolas Sarkozy déclarait sur France 2, au cours de l’émission Des paroles et des actes : « Il y a trop d’étrangers sur notre territoire. »

Mais qui désignait-il alors par le terme « étranger » ? Tous les travailleurs immigrés, y compris les Français d’origine immigrée, soit 5,2 millions de personnes, en comptant les Européens ? Ou voulait-il dire les 200 000 immigrés légaux non-européens, qui viennent travailler en France, ou s’y rendent par regroupement familial ? Incluait-il les secondes générations de l’immigration, nées en France ? Ou parlait-il des clandestins ? On comprend mal que l’homme chargé de l’unité nationale manie les concepts de base avec une telle légèreté. Beaucoup de Français nés hors de nos frontières, qui ne sont plus « étrangers » depuis longtemps, se sont sentis visés. Or la statistique publique (y compris le ministère de l’immigration) respecte les définitions internationales des Nations unies : un immigré est une personne née étrangère à l’étranger, qui a franchi la frontière et s’est installée pour une durée d’au moins un an. En France, 40 % des immigrés ont acquis la nationalité française, tous âges confondus, et ce chiffre progresse encore au cours de la vie. [1]

Il ne faut pas confondre “étrangers” et “immigrés”. Sinon, demande Akram Belkaïd, comment ceux des Français que l’on rappelle en permanence à leur origine pourront-ils se sentir totalement français ?


Des Français pas comme les autres

par Akram Belkaïd, Le Quotidien d’Oran, le 29 mars 2012


« On ne parvient plus à assimiler ceux qui sont là ». Cette phrase est d’Henri Guaino, conseiller spécial et plume du président Nicolas Sarkozy. Extraite d’un entretien accordé au quotidien Libération, elle désigne les immigrés avec pour toile de fond les polémiques et débats au sujet des tueries de Toulouse et de Montauban [2]. Précisons les choses. L’homme n’est pas xénophobe pas plus qu’il n’est un adepte de l’immigration zéro chère à Marine Le Pen. Républicain et souverainiste, il a le courage et l’honnêteté de dire que le modèle social français n’est pas « menacé par l’immigration » même si son patron ne cesse de sous-entendre le contraire (plus par calcul électoral que par conviction, d’ailleurs). Pour Guaino, c’est juste que la France a « assez de difficultés à résoudre pour ne pas en ajouter d’autres », comprendre celles que créent les nouveaux arrivants.

Ce retour en force du thème de l’immigration dans la campagne pour l’élection présidentielle est tout sauf une surprise. On peut même penser que cela aurait été le cas même sans les assassinats commis par Mohamed Merah. Et c’est là que l’on touche à ce qui constitue l’un des problèmes fondamentaux de la France. Tant que l’on continuera d’y parler d’immigration à propos des difficultés que posent, et qui concernent, des personnes nées en France et de nationalité française, les diagnostics resteront mauvais et les solutions inefficaces. Reprenons donc par le début. Dès l’identité du tueur connue, les médias français, y compris ceux qui, comme Libération ou France Inter, sont dits de gauche, n’ont cessé d’user et d’abuser de l’expression « un Français d’origine algérienne ». Nombre de confrères et de collègues algériens y ont vu une attaque sournoise contre l’Algérie. A dire vrai, il s’agissait plus d’un réflexe pavlovien et d’une incapacité à dépasser une certitude, souvent non-assumée, selon laquelle il existe plusieurs catégories de Français.

Prenons l’exemple des discours sur les banlieues des grandes villes de l’Hexagone. La situation, souvent difficile tant sur le plan social que sécuritaire, y est souvent décrite sous le prisme de l’immigration. Si l’on prend soin d’écouter le discours des hommes politiques, Hollande et Mélanchon compris, aucun ne dira de manière précise que les habitants de ces zones refoulées sont d’abord et avant tout des ressortissants français. C’est simple, il existe tout un florilège d’expressions destinées à mettre en évidence, voire à la renforcer, l’altérité dont ces citoyens seraient porteurs. On parle de « populations immigrées » ou de « Français d’origine immigrée », ce qui, dans ce dernier cas, ne concerne aucunement celles et ceux dont les parents ou grands-parents sont originaires d’Europe du sud (Espagne, Italie, Portugal) ou de l’Est (Pologne, Hongrie, Balkans). Il ne viendrait jamais à l’idée de Libération, du Monde et encore moins du Figaro de présenter Nicolas Sarkozy en tant que Français d’origine hongroise. Ce qu’il est pourtant du fait de la nationalité de son père...

On parle aussi, en désignant des ressortissants français (!), d’« immigrés de la deuxième ou troisième génération » cela sans oublier de préciser les origines « arabes », « musulmanes », « africaines », « maghrébines » ou encore « nord-africaines ». La personne concernée a beau être née en France, avoir grandi en France, ne parler que la langue française, être allée à l’école républicaine chère à Henri Guaino, et à ne s’imaginer pour seule perspective qu’un avenir en France, elle restera « d’origine quelque chose » ou, léger mieux, elle sera « franco-quelque chose ». Et c’est valable quel que soit le statut social. En effet, que l’on ne croit pas que le fait d’avoir quitté la banlieue change la donne. Bien au contraire, être obligé de décliner son origine est un acte régulier, presque permanent ou obligatoire quel que soit le milieu social, ou professionnel, dans lequel on se trouve.

Ainsi, ce chercheur en islamologie qui confiait en privé sa décision de ne plus se présenter en tant que Français. « Je dis d’emblée que je suis Marocain. Cela m’évite d’entendre cette insupportable question : “ah oui, vous êtes Français… Mais de quelle origine ?” ». Et de préciser, chose intéressante, que rares sont celles et ceux qui lui demandent alors s’il possède la nationalité française. « Je suis d’origine berrichonne » a pour habitude de dire de son côté, un journaliste économique dont, il faut le préciser, le patronyme et l’apparence physique indiquent bien qu’une partie de ses racines plongent de l’autre côté de la Méditerranée. Le plus souvent, cette sortie fait rire aux éclats mais elle ne décourage pas pour autant les questions curieuses et insistantes. « C’est comme si le fait de refuser de dire d’où est venu mon grand-père était suspect », explique-t-il.

Voilà donc un paradoxe français. Se proclamer républicain, défenseur de l’égalité – et de la laïcité – mais, dans le même temps, être obsédé par les origines d’une partie de la population. De fait, le véritable enjeu est résumé par la question suivante : comment faire pour que ces Français que l’on rappelle en permanence à leurs origines se sentent totalement Français ? Cette question mériterait un vrai débat national lequel serait déconnecté des questions liées à l’immigration. En effet, ce n’est pas d’une question de visas ou de contrôles aux frontières dont il s’agit mais bien de la manière dont on se comporte avec un « stock » de Français dont on ne parle que lorsqu’interviennent des événements dramatiques à l’image des émeutes de 2005 ou de 2007 ou de ce qui vient de se passer à Toulouse et Montauban. Et la récente sortie du président français (d’origine hongroise) Nicolas Sarkozy à propos de Français à « l’apparence musulmane » ne va certainement pas permettre de faire avancer les choses...

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« Les amalgames n’ont aucun sens, je rappelle que deux de nos soldats étaient… comment dire… musulmans, en tout cas d’apparence, puisque l’un était catholique, mais d’apparence… comme l’on dit : la diversité visible ».

Nicolas Sarkozy


Notes

[1Voir l’entretien avec François Héran : http://libertes.blog.lemonde.fr/201....

[2Libération, mardi 27 mars 2012.


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