l’“Institut pour la justice” : une association au service de l’extrême droite


article de la rubrique démocratie > sur le blog de Gilles Sainati
date de publication : samedi 19 novembre 2011
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L’Institut pour la Justice se présente comme « un organisme indépendant qui regroupe des juristes, des victimes et des citoyens, qui œuvrent pour réformer la Justice française [1] ».

En réalité, comme l’écrit le Syndicat de la magistrature, il s’agit d’ « une officine diffusant des thèses simplistes sur la sécurité, manifestement inspirées par le discours de l’extrême-droite [2] ». Un lobbying qui s’appuie sur la douleur des victimes pour prêcher le tout répressif.

L’IPJ se dit “apolitique” mais nombre de ses thèses rejoignent celles de la Droite populaire ou du Front national. Il ne cesse en effet de fustiger les alternatives légales à la détention et le prétendu laxisme de la justice pénale et il milite notamment pour l’élimination sociale des « multirécidivistes ».

Gilles Sainati, magistrat dans l’Hérault, propose ci-dessous les grandes lignes du programme de ce « qui n’est ni un Institut, ni pour la Justice, mais une simple association de 1901 essayant de promouvoir des thèses ultra-répressives sous un vernis pseudo-scientifique [3] ».


Spam pour l’Injustice en 2012 : quand la droite nous refait le débat sur la sécurité

En plein collapsus démocratique européen, je viens d’être, comme beaucoup, d’entre nous destinataire d’un spam émanant d’un certain “Institut pour la Justice.”

Utilisant le procédé le plus déplorable en terme de réflexion cette association se propose de surfer sur l’émotion d’un cas dramatique pour nous faire avaliser son pacte 2012 pour la justice qui fleure bon la démagogie des officines les plus réactionnaires.

Mais observons les propositions de cette association dont l’intitulé “Institut pour la justice” sonne déjà comme un aveu... vouloir crédibiliser une idéologie fort droitière sous le couvert pseudo-scientifique de l’appellation “Institut”.

La liste des experts associés nous permet de renouer avec de vieilles connaissances, ceux la mêmes qui ont participé à l’opération idéologique de la Tolérance zéro des années 2000, ceux qui ont soutenu Nicolas Sarkozy dans sa politique sécuritaire avec les résultats catastrophiques que l’on constate maintenant.

Arrêtons-nous aux quelques propositions de cette association qui n’envisage la justice que sous le coté pénal :

1 – Égalité des droits entre victimes et accusé

De quoi parle-t-on ? Le terme accusé ne se rapporte juridiquement qu’à la personne qui comparaît devant la Cour d’Assises... En mélangeant les registres sémantiques cet argumentaire instaure la confusion des genres... Mais l’on comprend bien l’objectif : hisser la victime au même rang que le parquet... C’est en réalité effectivement opposer deux conceptions de la justice ; l’une inspirée de la loi du talion qui fait la part belle à la vengeance privée et celle de la justice de la République qui fait intervenir le parquet comme défenseur de la société et de l’ordre public... Dans cette perspective la victime aurait notamment la possibilité de contester en appel la remise en liberté de son agresseur... C’est tellement simple que l’on se demande pourquoi ce n’est pas déjà mis en place : parce qu’il existe un principe, celui des preuves et des faisceaux d’indices qui permettent d’asseoir une culpabilité et la victime est la plupart du temps mal placé pour évaluer ce faisceau d’indices et encore moins la proportionnalité de la peine... C’est transformer la procédure pénale en un flot de subjectivité.

2 – L’impunité zéro pour les atteintes aux personnes et aux biens

Les mêmes recettes qu’en 2000, on troque la notion de tolérance zéro avec celle d’impunité zéro... Le résultat de cette politique est catastrophique. Associée avec la courses aux chiffres cette politique a totalement démobilisé les services de police au détriment de la lutte contre la criminalité organisée...

Plus encore, cet “Institut pour la justice” nous explique qu’il faut créer « un grand ministère chargé de la sécurité des citoyens regroupant les force de l’ordre et la politique pénale... »

Justice ne rime pas avec indépendance ! Parler de démocratie après cette mise au pas de la justice pénale est un euphémisme..

Quant à l’idée bizarre de prévoir des peines d’amendes automatiques pour toute condamnation même symbolique, c’est le premier pas vers la prison pour dette abrogée en France en 1867.

3 – Application effective des peines prononcées

J’ai déjà abordé ce débat dans le blog, mais cet intitulé laisse entendre que finalement les peines ne seraient pas purgées. C’est ignorer les termes du débat qui sont résumés par la documentation française. Il y a là un aveuglement idéologique. L’on reprendra une phrase de Laurent Mucchielli :

“La dernière enquête que détaille A. Kensey évalue la proportion de casiers judiciaires comportant au moins une nouvelle condamnation (toutes infractions et toutes peines confondues) 5 ans après la sortie de prison. On mesure donc ici un « taux de re-condamnation » [4]. Il est d’environ 50 % dans les 5 ans qui suivent la libération. Le taux de retour en prison est pour sa part d’environ 40 %. Et si l’on se limite aux affaires les plus graves, celles sanctionnées par une peine de réclusion criminelle, le taux chute pour se limiter à 1 % pour les auteurs de viol et 0,5 % pour les auteurs d’homicide. Ainsi, un taux global n’a pas de sens tellement il varie selon la nature de l’infraction.” [5].

La meilleure solution pour éviter la récidive est une politique ambitieuse d’aménagement des peines, ambitieuse en terme de moyens humains et matériels... Au lieu de cela, l’“Institut pour la justice” propose la création de 30 000 places supplémentaires de prison pour porter la capacité totale pénitentiaire à 90 000 places, autant dire qu’avec ce type de programme les actions de suivi et de réinsertion sont remise aux calendes grecques, par contre Bouygues et consorts applaudiront des deux mains : quand le bâtiment va tout va....

4 – Une fermeté de précaution vis à vis des criminels dangereux

La doxa se résume en une phrase : “Il est temps pour la Justice d’appliquer un principe simple : en cas de doute sur la dangerosité du criminel, ce doute doit profiter à la victime et à la société plutôt qu’au condamné”.

Bon, le doute ne profite plus à l’accusé... Quant à la validation scientifique de tels procédés il est fait état des méthodes actuarielles du risque de récidive criminel importés des USA, on retrouve ainsi dans les experts de l’association le psychiatre promoteur de cette technique statistique en France, le docteur Alexandre Baratta [6].

Cette nouvelle voie pénale ouvre vers une justice actuarielle qui, selon Philippe Mary, "éclairerait le passage d’un État social à un État
[social-]sécuritaire, dans lequel la sécurité, réduite à la portion congrue, serait devenue une fin en soi, davantage politique que sociale, et la pénalité un instrument de régulation étatique dans une politique de réduction des risques à l’égard de populations désormais socialement et économiquement inutiles."
 [7]

La proposition finale de ce pacte est la suggestion de l’élection des procureurs au suffrage universel... Voilà qui permettra un clientélisme à tout crin, il est vrai que l’exemple du procès DSK à New York fait envie, l’Institut pour la Justice se propose d’en importer le principe en France !

Mettre autant de moyens dans autant d’aveuglement est le signe d’un débat surgissant sur la sécurité lors de la prochaine élection présidentielle et du choix d’une partie de la droite la plus conservatrice et atlantiste ( ? ) d’orienter les débats vers ces thèmes : il est vrai que pour faire passer la rigueur et le diktat des marchés il faut bien faire diversion.

15 Novembre 2011

Gilles Sainati


Notes

[3D’après l’excellent billet de Maître Eolas.

[4Des chiffres parfois fantaisistes circulent dans le débat public. La mesure du « taux de récidive » est en réalité délicate. Pour interpréter un chiffre, il faut connaître la population d’enquête, les critères choisis comme indicateurs et la période d’observation. La plupart des enquêtes portent sur le devenir de sortants de prison 5 ans après, à partir du casier judiciaire. (Laurent Mucchielli).


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