interdiction aux mineurs de l’exposition de Larry Clark : lettre publique au maire de Paris


article communiqué de la LDH  de la rubrique libertés > liberté de création
date de publication : mercredi 6 octobre 2010
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Avant même son ouverture le 8 octobre, au Musée d’art moderne, la Mairie de Paris a annoncé l’interdiction aux moins de 18 ans de la rétrospective Kiss The Past Hello, consacrée à l’oeuvre de Larry Clark, photographe de l’adolescence.

Interrogé par Le Monde au sujet de cette interdiction, Larry Clark répond que « cette censure est une attaque des adultes contre les adolescents ». Et ajoute : « C’est une façon de leur dire : retournez dans votre chambre ; allez plutôt regarder toute cette merde sur Internet. Mais nous ne voulons pas que vous alliez dans un musée voir de l’art qui parle de vous, de ce qui vous arrive. Les enfants aiment mon travail, il leur parle. Je trouve qu’on devrait faire le contraire, interdire l’expo aux plus de 18 ans ! Je fais ces images pour moi et pour les adolescents. Oui, il y a du sexe et de la nudité, mais ça fait partie de la vie. » [1]

L’Observatoire de la liberté de création de la LDH dénonce cette censure dans une lettre publique adressée au maire de Paris et au directeur du Musée d’Art moderne de la ville de Paris.


Une des photographies de l’exposition Kiss The Past Hello, datant de 1972.

Lettre publique de l’Observatoire de la liberté de création de la LDH

Paris, le 5 octobre 2010


Monsieur le Maire,
Monsieur le directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris,

Vous avez pris, au prétexte que la loi aurait changé en 2007, ce qui est faux pour le sujet qui nous préoccupe, une décision bien regrettable. En interdisant l’exposition de Larry Clark aux moins de 18 ans, alors que ses photographies ont déjà été montrées à la Maison Européenne de la Photographie il y a trois ans, et alors que, depuis, rien n’a changé dans la loi, contrairement à ce que vous affirmez, pour les expositions, vous adressez un signal régressif et rétrograde, non seulement au monde de l’art, mais au public, ce peuple que vous prétendez protéger.

Doit-on vous rappeler, Monsieur le Maire, que votre parti a voté cette loi largement défendue par les députés socialistes, non en 2007, mais en 1994 ? Que cette loi que vous prétendez découvrir aujourd’hui, Monsieur le Directeur, l’Observatoire de la liberté de création la dénonce comme liberticide depuis des années dès lors qu’elle permet la poursuite pénale des oeuvres de l’esprit ? Ces fameux articles 227-23 et 227-24 ont permis la plainte de la Mouette contre l’exposition Présumé Innocent dès 2000, mais faut-il vous rappeler que cette procédure unanimement critiquée a abouti pour l’instant à un non lieu ? Et qu’aucune procédure contre les oeuvres fondées sur ces articles, grâce au fait que nos juges se révèlent jusqu’à ce jour des défenseurs, eux, de la liberté de création, et du droit du public à accéder aux oeuvres, n’a finalement abouti ?

En interdisant l’exposition de Larry Clark aux moins de 18 ans, que prétendez vous faire ? Donner raison à cette loi que vous prétendez dénoncer ? Faire mieux que la Mouette qui prétend protéger les enfants, que l’Agrif qui prétend protéger les catholiques, ou que Promouvoir qui défend l’identité française ?

Ces articles de loi que vous appliquez aujourd’hui aveuglément constituent en délit la diffusion à des mineurs de messages pornographiques. Ainsi, vous osez désigner comme pornographiques des images qui représentent la sexualité de jeunes gens, commettant un contresens sur les oeuvres que vous avez pourtant décidé de montrer. En ravalant Larry Clark au rang de vulgaire pornographe, vous desservez l’artiste que vous exposez, et déniez au public le droit de se faire sa propre opinion sur les oeuvres. Plus précisément, vous excluez les adolescents de toute possibilité d’approche de photographies qui explorent des territoires, souvent difficiles, qui les concernent directement. Vous jugez en lieu et place des citoyens, ce qui est l’attitude contestable de tous les censeurs.

Cette loi que vous utilisez comme prétexte est une loi pénale : vous l’avez transformée, ce qui est le rêve de tous les réactionnaires, en loi de censure préalable. Permettez-nous de vous rappeler que les poursuites pénales contre l’exposition Présumés Innocents à Bordeaux n’ont pas empêché son bon déroulement, et que cette exposition a eu lieu sans censure du maire Alain Juppé.

Vous venez donc de commettre, Monsieur le Maire, Monsieur le directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, une double faute politique : censurer, et travestir la réalité pour vous justifier. Vous comprendrez que nous rendions cette lettre publique.

Agnès Tricoire, avocate spécialisée en propriété intellectuelle et responsable de l’Observatoire de la liberté de création, rappelle que l’article 227-24 ne concerne nullement les expositions mais a été conçu pour lutter contre les images pédophiles qui circulent, notamment sur Internet.

Quant à la question de savoir si on peut parler de pornographie ou de pédophilie à propos de l’oeuvre de Larry Clark, Agnès Tricoire s’insurge : « C’est scandaleux ! Larry Clark n’est pas un pornographe. C’est quelqu’un qui, dans son oeuvre, évoque les relations sexuelles. Il faut arrêter de tout confondre. Quant à parler de pédophilie, c’est monstrueux. La pédophilie, c’est le fait d’avoir des pratiques sexuelles sur un enfant non consentant. La représentation de la sexualité entre adolescents n’a strictement rien à voir avec la pédophilie. Ceux qui censurent ces oeuvres portent sur elles le regard des pervers. On ne peut pas considérer que le public est pervers. » [2]

Notes

[1Le Monde des 3-4 octobre 2010.

[2« Les clés pour comprendre la polémique sur l’expo Larry Clark », par Ornella Lamberti, LExpress.fr, le 8 septembre 2010.


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