gens du voyage : le Var hors la loi


article de la rubrique roms et gens du voyage > gens du voyage dans le Var
date de publication : mardi 23 juin 2009
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Le tribunal administratif de Toulon a validé le 22 juin 2009 l’arrêté préfectoral, pris le 18 juin dernier, à la demande la commune de Brignoles, concernant l’évacuation par la force des 85 caravanes de la communauté des gens du voyage « Vie et Lumières », établies sur un terrain privé. Estimant que la commune de Brignoles s’était conformée à la légalité, le tribunal a en effet rejeté la requête déposée vendredi dernier par la mission évangélique en vue de l’annulation de cet arrêté. La communauté avait, semble-t-il, déjà quitté les lieux.

Il faut souligner que Brignoles est l’une des rares communes du Var à avoir respecté le schéma départemental d’accueil des gens du voyage prévu par la loi Besson [1]. Ci-dessous le dossier d’Agnès Masséi publié le 22 juin 2009 dans La Marseillaise.


La Une de La Marseillaise le 22 juin 2009.

Le Var, décidément pas une terre d’accueil

Gens du voyage. Le périple, de La Garde à Brignoles, d’une communauté tzigane évangéliste remet en, lumière le manque d’aires d’accueil et de grand passage. En dépit de la loi.

« Il reste beaucoup à faire », concède d’emblée Caroline Gadou, sous-préfète. On savait le Var très mauvais élève en matière d’accueil des gens du voyage, et l’actuel périple dans notre département de la communauté évangéliste « Vie et Lumière » en est une énième illustration.

Pour rappel, le 2 juin, plus d’une centaine de caravanes – soit quelque 500 personnes – ont pénétré à La Garde où, se voyant refuser l’accès au site de « la Bouilla », elles se sont installées sur la voie publique avant d’occuper les terrains de particuliers. Pour finalement quitter les lieux une dizaine de jours plus tard (le 14 juin) afin de rejoindre Brignoles, où elles demeuraient toujours ce week-end sur une zone privée.

Ironie du sort, la commune est l’une des rares, comme le souligne le maire Claude Gilardo (PCF), « à être en conformité avec la loi » puisqu’une aire d’accueil y a été inaugurée récemment. Un arrêté de mise en demeure, pris par le préfet jeudi, préconisait l’évacuation du terrain. Mais il s’est avéré inefficace dans la mesure où la communauté a immédiatement fait appel de la décision préfectorale. L’affaire devrait être examinée par le Tribunal administratif de Toulon ce matin.

En attendant, Claude Gilardo ne décolère pas : « Je respecte la loi, et je suis plus ennuyé que ceux qui ne le font pas ! »

Schéma départemental.

La loi en question exige en effet la mise en place d’un « schéma départemental d’accueil » dont l’élaboration et la réalisation incombent aux services de l’Etat et au Conseil général, en lien avec les associations intervenant dans ce domaine. Le document existe, depuis 2003. Mais, sur le terrain, force est de constater que depuis toutes ces années, les collectivités n’ont eu de cesse de s’affranchir des obligations qui y sont préconisées.

« Les communes du département étant de tailles diverses et plus ou moins fréquentées, cela n’aurait pas de sens d’exiger une aire pour chaque ville », précise Caroline Gadou. Le schéma départemental a donc défini l’aménagement de sept aires de grand passage, « réservées à d’importants mouvements religieux ou familiaux pour une durée de quelques jours », ainsi que de trente aires d’accueil « de 20 à 40 places » bénéficiant de sanitaires, de gardiennage, «  pour une durée plus longue, de quelques mois, mais dans l’idée qu’il s’agit d’un point d’ancrage ponctuel », poursuit Caroline Gadou.

Six ans plus tard, on est loin, très loin, du compte : deux aires d’accueil ont été ouvertes « au Luc en décembre 2008 et à Brignoles ». Quant aux aires de grand passage, elles se trouvent uniquement dans l’Est du département et le chiffre n’est guère plus élevé : une à Grimaud, la seconde à Fréjus/Saint-Raphaël.

« Quelques projets sont plus ou moins avancés », ajoute la représentante de l’Etat en évoquant les aires qui devraient voir le jour « à La Garde et probablement à La Farlède ».

Un Etat plus ou moins coercitif

Dans le Var, il en va du respect du « schéma départemental d’accueil » comme de celui observé à l’égard de la loi SRU sur le logement social. La plupart des élus n’ont aucun scrupule à contourner leurs obligations.

« On peut le regretter », déclare Caroline Gadou. « La cohabitation entre sédentaires et gens du voyage ne se passe pas toujours très bien. Au-delà de ces réalités concrètes, on peut également comprendre l’appréhension de certains. Or la seule façon de résoudre ces difficultés, ainsi que les situations de danger lorsque, comme à La Garde, il y a stationnement sur la voie publique, est le respect de la loi  ».

Si la sanction existe, elle ne se matérialise pas, comme dans celui du logement social, sous forme d’amende. « Elle se traduit par l’inscription d’office des travaux au budget de la collectivité, avec mise en demeure de les réaliser. Cela s’est déjà produit et l’Etat est prêt à utiliser ce moyen dont il dispose. Mais c’est un outil très lourd et très contraignant ». Auquel, pour l’heure, on préfère des notions telles que « le partenariat », « l’adhésion », « le travail de conviction et de pédagogie ». On a connu, notamment dans le Var, un Etat bien plus coercitif, vis-à-vis des maires de gauche, lorsqu’il s’agissait de l’application du service minimum d’accueil dans les écoles les jours de grève...

Repères

3 modalités sont offertes aux communes pour satisfaite leurs obligations : réaliser et gérer une aire d’accueil sur leur territoire ; transférer leur compétence à un Etablissement public de coopération intercommunale ; passer avec d’autres communes du secteur une convention intercommunale (c’est le cas de TPM).

37 communes varoises (celles de plus de 5000 habitants) figurent au « schéma départemental
d’accueil », auxquelles il faut ajouter Fayence et Montauroux, de moins de 5000 habitants mais pour lesquelles le diagnostic de 2001 a fait ressortir des besoins en matière d’accueil des gens du voyage.

8 bassins d’habitat (échelle jugée la plus pertinente pour appréhender la question) ont été identifiés Brignoles/Saint-Maximin/Ouest-Var – Fréjus/Saint-Raphaël – Draguignan/Centre-Var – Fayence/Est-Var – Golfe de Saint-Tropez – Toulon 1ère couronne (TPM) – Toulon 2ème couronne Est – Toulon 2ème couronne Ouest.

La loi du 5 juillet 2000

La loi numéro 2000.614, dite du 5 juillet 2000 ou « loi Besson », relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage prévoit dans chaque département la mise en oeuvre d’un « schéma départemental d’accueil », dans lequel figurent obligatoirement les communes de plus de 5000 habitants.
Ce qui peut aussi être le cas de communes de plus petite taille lorsque l’analyse des besoins en a fait ressortir la nécessité ou lorsqu’un accord avec une commune de plus de 5000 habitants prévoit la réalisation d’aires d’accueil. Les communes inscrites au schéma doivent réaliser des aires d’accueil dans un délai de deux ans suivant sa publication. Une révision du document devrait avoir lieu au cours du deuxième semestre 2009.

« Comment peut-on laisser des gens vivre dans ces conditions »

Aire de la Chaberte, à La Garde : rats, amoncellements de poubelles et d’excréments comme cadre de vie

« Cela ne peut pas continuer comme ça », nous confiait Philippe Clofullia, porte-parole des habitants de l’aire de la Chaberte, en juin 2008 à l’issue de la réunion en préfecture de la Commission départementale consultative des gens du voyage. Et pourtant... Un an plus tard, les conditions de vie de la centaine de personnes installées là ne se sont pas améliorées. « C’est toujours dans le même état », déclare-t-il.

A l’époque, la mairie avait fait procéder à la coupure d’eau et d’électricité sur le site. « Nous n’avions pourtant jamais refusé de payer : D’ailleurs, au départ, la mairie nous facturait l’électricité : 20 euros par caravane et par mois. Ce qu’elle a nié devant le préfet, mais j’ai gardé ces factures où figurent l’en-tête d’EDF et le tampon de la mairie », déclare Philippe Clofullia.
« Quand ils sont venus débrancher ; nous avons dit à la police que nous remettrions l’eau et le courant ». Ce qui fut fait : « C’est du délire, on ne peut pas laisser les gens vivre de cette manière ».
Hormis la condamnation « d’une entrée qui donnait sur la station service et la pose d’un peu de goudron pour faire un autre accès qui est hyper dangereux », plus rien n’a été effectué.

Aussi, Philippe Clofullia se déclare-t-il aujourd’hui « sceptique » sur le fait de voir un jour réalisés les travaux nécessaires : « Il y a de quoi, non, vous ne trouvez pas ? Lorsque vous voyez qu’en un an ils n’ont pas été capables de mettre une prise ou un robinet ».
Pour lui, une chose est certaine : « Tout est fait pour que nous partions. C’est clair et net, nous ne sommes pas des imbéciles. Et puis, nous avons l’habitude : nous ne sommes pas les bienvenus et on refuse de prendre nos enfants à l’école »

«  Vous vous rendez compte que des enfants ont attrapé la galle ? »

Sa femme, Séverine, qui dit «  ne pas faire partie des gens du voyage », a découvert la Chaberte en épousant Philippe Clofullia. Si elle n’y vit pas, elle y a néanmoins « passé beaucoup de temps ». Et n’en revient toujours pas : « Je suis hallucinée, horrifiée, scandalisée que des choses pareilles puissent exister en France. J’ai eu le sentiment de me trouver dans ces camps de réfugiés dans les pays en guerre. Là, à quatre kilomètres de Toulon... ».

C’est avec stupéfaction, mêlée de colère, qu’elle raconte les rats qui ont élu domicile sur le site, l’amoncellement de poubelles, les vingt centimètres de boue dans lesquels on patauge dés qu’il pleut et les excréments qui jonchent le sol, « parce que certains n’ont ni arrivée d’eau ni commodités ».

« Comment peut-on laisser des gens vivre dans ces conditions d’hygiène ? Vous vous rendez compte que des enfants ont attrapé la galle ? », interroge-t-elle. « La galle », répète-t-elle à plusieurs reprises. « La prochaine fois, ce sera peut-être le choléra »...
Eprouvant visiblement le besoin de témoigner sur ce qu’elle qualifie de « dément », d’« intolérable », Séverine ne s’arrête plus. « Il y a des femmes enceintes qui sont forcées de se rendre dans la station service qui est à 400 mètres pour aller aux toilettes. L’une d’entre elles habite à côté de la caravane de Philippe Clofullia, elle a mis six ans pour tomber enceinte. A chaque fois que je la regarde, je ne le lui dis pas mais je suis angoissée. Pour elle et ce qu’elle pourrait attraper ; et pour le bébé qui sera là dans quelques mois ».

Comme de nombreux observateurs, Séverine n’est pas dupe « On a bien compris que les communes n’avaient pas envie d’accueillir les gens du voyage ». Elle ne comprend pas en revanche que « l’on traite des êtres humains de cette manière ». Et elle comprend d’autant moins que des élus s’exonèrent de respecter la loi lorsque, « tous les jours, on entend notre Président nous marteler qu’il y a des lois et qu’il faut les respecter ». Elle n’est pas la seule.

« Certains n’appliquent que ce qui les intéresse »

A Brignoles et La Garde, des élus indignés par le non-respect de la loi.

« Je suis accablé de constater que l’Etat ne tient pas ses engagements. Les textes exigent des terrains pour accueillir les gens du voyage. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la loi », lâche Claude Gilardo. Ne cachant pas son irritation, le maire communiste de Brignoles ne s’attendait pas, il y a quelques semaines encore, à gérer l’occupation d’un terrain privé par une centaine de caravanes.

Elu en mai 2008, il avait alors eu à coeur de se « mettre en conformité avec la loi » en procédant à la réalisation « d’une aire d’accueil de quarante places, disposant d’un gardiennage nuit et jour, 365 jours sur 365, dont le montant s’élève à 2 300 000 euros, plus 180 000 euros pour le gardiennage ».
Tandis qu’en inaugurant la structure, il se félicitait d’en avoir fini avec « des installations illicites comme le Var en connaît actuellement », il n’allait pas tarder à déchanter avec l’arrivée de la mission tzigane « Vie et Lumière ».

Il entreprend alors des démarches auprès des services de l’Etat et alerte sur les problèmes d’hygiène et de sécurité que cette présence pourrait occasionner, à la fois pour les « voyageurs et pour les Brignolais ».

Le préfet a beau avoir pris un arrêté de mise en demeure de quitter les lieux, la situation brignolaise connaissait hier un statu quo en raison du recours déposé par les membres de la communauté.
Le Tribunal administratif devrait se prononcer ce lundi.

« Chaque année le même constat »

Joël Canapa, conseiller municipal (PCF) de La Garde, où les évangélistes avaient pris leurs quartiers avant de se diriger vers Brignoles, ne semble pas franchement surpris : « Nous faisons chaque année le même constat, et les choses vont en s’aggravant ». Il poursuit : « Cette fois-ci le maire [Jean-Louis Masson (UMP)] a tenu bon [en bloquant l’installation à « la Bouilla », ndlr]. Mais une fois que les caravanes se sont retrouvées sur des terrains privés, ça n’a plus gêné personne. Et le maire a cessé d’aider les particuliers : pourtant, les 11 jours que ces 150 caravanes ont passés ici ont laissé des traces ».

Lui aussi pointe l’insuffisance des aires d’accueil et souligne l’incohérence de certains élus : « Le schéma de 2003 a été entériné, entre autres, par le Conseil général. Beaucoup de maires sont conseillers généraux et eux-mêmes ne l’appliquent pas ».
Il dénonce en outre « une morale varoise qui consiste pour certains élus à ne pas respecter la loi » ou plutôt « à n’appliquer que ce qui les intéresse ». « C’est scandaleux », conclut-il.

Agnès Masséi


Notes

[1Le schéma départemental d’accueil des gens du voyage, adopté en mars 2003, est téléchargeable sur le site de la DDE du Var : http://www.var.equipement.gouv.fr/I....


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