garde à vue : une procédure condamnée mais qui continue à prospérer


article de la rubrique justice - police > gardes à vue
date de publication : jeudi 21 octobre 2010
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Le 19 octobre 2010, la Cour de cassation a déclaré que la garde à vue, y compris les régimes dérogatoires, n’était pas conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme.

Mais elle a accordé un délai au gouvernement : le régime de la garde à vue ne sera modifié qu’après l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, au plus tard le 1er juillet 2011. D’ici là, la pratique ne changera pas : la garde à vue reste toujours aussi traumatisante – voyez la garde à vue des 6 lycéens de Fontainebleau – et pratiquée à grande échelle – 800 000 au cours de l’année 2009 !

Par les temps qui courent il est donc raisonnable de s’informer avant de mettre le nez dehors... Avez-vous pris connaissance du Guide du manifestant arrêté mis en ligne par le Syndicat de la magistrature ?

[Mis en ligne le 18 octobre 2010, mis à jour le 21]



Après les arrêts rendus par la Cour de cassation concernant la garde à vue, comme après la décision rendue par le Conseil constitutionnel, la Chancellerie s’est contentée de diffuser une dépêche invitant les magistrats à continuer d’appliquer sans sourciller des dispositions pourtant déclarées contraires à la Constitution et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Un comportement responsable était pourtant possible. La garde des Sceaux pouvait parfaitement, sans attendre une réforme du Code de procédure pénale, prendre toutes dispositions afin que les droits des personnes placées en garde à vue, tels qu’ils sont désormais unanimement reconnus, soient effectivement respectés.Face à cette carence, le Syndicat de la magistrature a décidé d’élaborer une « contre-circulaire » téléchargeable sur son site.

©Gina Sanders - Fotolia.com

Communiqué du Syndicat de la magistrature

In memoriam

le 19 octobre 2010

Le 19 octobre 2010, la Cour de cassation a affirmé, dans trois arrêts historiques, que la garde à vue, en ce compris les régimes dérogatoires de criminalité organisée, n’étaient pas conformes à la Convention européenne des droits de l’Homme. Analyse et perspectives...

L’histoire retiendra que la garde à vue « à la française » a succombé le 19 octobre 2010 à 14h00, au terme d’une longue et pénible maladie : l’immobilisme politique.

La Cour de cassation vient en effet, par trois arrêts de principe, de la déclarer contraire aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

En substance, la haute juridiction, emboîtant le pas à la Cour européenne des droits de l’Homme, estime que la garde à vue doit, pour être valide, respecter trois principes : la notification du droit au silence, la participation de l’avocat aux interrogatoires, avocat dont l’intervention – y compris en matière de criminalité organisée – ne saurait être différée dans le temps qu’en vertu de raisons impérieuses constatées par un magistrat.

L’impéritie de la Chancellerie

A vrai dire, cette décision est tout sauf une surprise, tant une réforme était objectivement inéluctable :

  • Dans une quarantaine d’arrêts rendus depuis deux ans, la Cour européenne des droits de l’Homme a très clairement décidé que l’assistance de l’avocat aux auditions est un droit qui s’attache nécessairement à la garde à vue et qu’il ne saurait exister de régime dérogatoire qui interdise par principe et sans décision du juge l’intervention immédiate de l’avocat en garde à vue.
  • Par courrier en date du 15 décembre 2009, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France ont officiellement saisi la garde des Sceaux de l’urgence qui s’attachait à une réforme de la garde à vue française, l’appelant à « permettre à la justice de s’adapter aux évolutions jurisprudentielles de la Cour de Strasbourg ».
  • Début 2010, de très nombreux tribunaux correctionnels, cours d’appel, juges d’instruction et chambres de l’instruction ont déclaré la garde à vue non conforme à la Convention européenne, y compris en ce qui concerne l’intervention de l’avocat dans les régimes dérogatoires.
  • Courant janvier 2010, différents articles de presse se sont fait l’écho du refus des services de police de Seine-Saint-Denis de se plier aux directives des juges d’instruction leur demandant de permettre aux avocats d’intervenir, en matière de stupéfiants, dès le début de la garde à vue.
  • Le 30 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a invalidé la garde à vue de droit commun, principalement à raison de l’absence d’assistance de l’avocat lors des interrogatoires de garde à vue.
  • Le 14 octobre, dans un arrêt Brusco, la Cour de Strasbourg a clairement condamné la France pour le même motif.

Face à ces alertes convergentes, un ministre de la justice conséquent se devait, sans idéologie, de prévoir des solutions rapides dans l’intérêt des justiciables et des professionnels de la justice : il n’en a rien été. Au contraire :

  • La garde des Sceaux n’a absolument rien fait, bien qu’elle en ait été officiellement saisie par le Syndicat de la magistrature, pour débloquer la situation qui sévissait en Seine-Saint-Denis, ni pour inciter les magistrats à faire une application loyale de la CEDH.
  • Le porte-parole du ministère a même eu le front de déclarer, le 21 juillet dernier : « Certains avocats ont prétendu que la Cour européenne des droits de l’Homme exigeait la présence effective de l’avocat pendant toute la garde à vue. Ceci est faux ».
  • Début septembre, la Chancellerie n’a pas hésité à affirmer, de façon mensongère, que les dispositions applicables en matière de criminalité organisée ne seraient pas modifiées « dans la mesure où leur conformité à la Constitution a été réaffirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 ».

La stratégie du ministère de la justice procède d’une inquiétante absence de courage politique à ce niveau de responsabilité. En effet, en ne proposant aucune modification des régimes dérogatoires dans les deux projets rendus publics en mars et septembre, la garde des Sceaux refusait à l’évidence d’en assumer l’éventuel coût politique. Il était en effet tellement plus simple de faire reposer la responsabilité de la réforme sur la Cour de cassation...

Et maintenant ?

Au nom du principe de sécurité juridique, la Cour de cassation a décidé de différer la prise d’effet de sa jurisprudence au 1er juillet 2011. Ce faisant, elle s’est calquée sur la position du Conseil constitutionnel. Juridiquement contestable, ce pragmatisme conforte un gouvernement qui avait pourtant pris le risque de l’insécurité. Il a pour conséquence de priver ceux-là même qui avaient saisi la Cour de cassation – comme hier les justiciables qui avaient suscité la décision du Conseil constitutionnel – des garanties offertes par une norme supérieure à la loi. De même, dans les mois à venir, les personnes placées en garde à vue ne pourront se prévaloir utilement de ces arrêts, pas plus que de la décision du Conseil constitutionnel...

Voici donc où conduit la politique irresponsable de la Chancellerie : à priver pendant plusieurs années des centaines de milliers de personnes des droits élémentaires qui leur sont reconnus tant par la Constitution que par une convention internationale !

Après cette pluie de décisions, les magistrats se trouvent placés devant l’alternative suivante : admettre que ces textes fondamentaux soient quotidiennement violés pendant plusieurs mois, ou prendre les dispositions qui s’imposent.

Pour le Syndicat de la magistrature, la première option n’en est pas une : il s’agirait d’une trahison de la mission constitutionnelle de l’autorité judiciaire, « gardienne de la liberté individuelle ». Il appartient donc aux magistrats, une nouvelle fois confrontés à la carence du ministère de la justice, de prendre leurs responsabilités en faisant vivre dès à présent, dans les procédures dont ils ont la charge, des droits désormais unanimement reconnus.

Communiqué du Syndicat de la magistrature

Garde à vue à la française : ça sent le sapin...

Le 14 octobre 2010

Dans un arrêt Brusco c. France rendu ce matin, la Cour européenne des droits de l’Homme condamne la France pour violation du droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination en garde à vue.

C’est entendu : une part importante de la motivation de cette décision – fondée sur l’article 6 (paragraphes 1 et 3) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales – porte sur des dispositions obsolètes. En effet, les lois du 15 juin 2000 et du 9 mars 2004 ont clairement proscrit la pratique subie par le requérant en juin 1999 et aujourd’hui condamnée par la Cour de Strasbourg : l’audition sous serment, assimilable à une « pression », d’une personne placée en garde à vue.

En revanche, la seconde partie du socle de cet arrêt est objectivement historique : la Cour condamne également la France, pour la première fois, parce que le requérant n’a pas pu bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de sa garde à vue et pendant ses auditions. Or, si le régime de la garde à vue de droit commun, ici en cause, prévoit l’intervention de l’avocat dès la première heure depuis la loi du 15 juin 2000, il évince toujours l’avocat des auditions de son client. Sur ce point, la décision de la Cour européenne condamne donc clairement le régime actuel.

Cette décision est tout sauf une surprise pour ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la jurisprudence européenne. En effet, l’exigence d’une assistance effective de l’avocat tout au long de la garde à vue est acquise depuis déjà plus de deux ans. Ainsi est-il souligné au paragraphe 45 de l’arrêt :

« La Cour rappelle également que la personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire (voir les principes dégagés notamment dans les affaires Salduz c. Turquie, 27 novembre 2008, Dayanan c. Turquie, 13 octobre 2009, Boz c. Turquie, 9 février 2010 et Adamkiewicz c. Pologne, 2 mars 2010) ».

Or, il a fallu attendre le 7 septembre 2010 pour que le gouvernement, sous la pression du Conseil constitutionnel, transmette au Conseil d’Etat un avant-projet de loi prévoyant la présence de l’avocat aux côtés de son client lors de toutes ses auditions. Et encore ne s’agit-il que d’une simple présence – et non d’une « assistance » puisque l’avocat ne pourrait pas poser de question ni formuler d’observation – à laquelle le parquet pourrait d’ailleurs faire obstacle pendant 12 heures de manière aussi discrétionnaire qu’incompréhensible...

Cet arrêt met donc en lumière la scandaleuse inertie de la Chancellerie. Il est vrai qu’elle a toujours soutenu, avec une persévérance dans la mauvaise foi défiant toute concurrence, que les arrêts rendus à l’égard d’autres pays ne concernaient en rien la France !

La situation est désormais on ne peut plus claire : à compter d’aujourd’hui, toute audition d’une personne en garde à vue qui serait effectuée sans qu’elle ait été mise en mesure d’être assistée de son avocat ne pourrait qu’être considérée comme contraire aux exigences de l’article 6 de la CEDH. Les magistrats nationaux, qui sont les premiers juges de la Convention, appliqueront cet arrêt avec d’autant moins de réserves qu’il est la déclinaison française d’une jurisprudence très établie.

Face à l’incendie, la garde des Sceaux serait bien inspirée de rompre avec sa stratégie du déni et de tirer sans plus attendre les conséquences pratiques de cette condamnation qui vient grossir le casier judiciaire européen déjà bien chargé de la France. Le 30 juillet dernier, lorsque le Conseil constitutionnel a déclaré la garde à vue de droit commun contraire à la Constitution, la Chancellerie s’est contentée d’une circulaire « y’a rien à voir ». Il n’est pas sûr que la manoeuvre puisse être efficace deux fois, d’autant que, le 19 octobre, la Cour de cassation pourrait porter le coup de grâce à l’un des pans les plus archaïques de notre procédure pénale.

Garde à vue : la Cour européenne des droits de l’homme condamne Paris

[LEMONDE.FR avec AFP et Reuters, le 14 octobre 2010]


La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné, jeudi 14 octobre, la France dans une affaire de garde à vue, comme l’affirmait France Info. Les juges européens ont estimé que les personnes gardées à vue doivent pouvoir bénéficier d’un avocat dès le début de la procédure et durant tous les interrogatoires et insisté pour que soit respecté le droit d’un mis en cause de garder le silence. "Le droit français ne répond pas aux exigences du procès équitable", écrivent-ils [1].

La CEDH était saisie du cas d’un homme dont le droit au silence en garde à vue n’avait pas été respecté. En 1999, le requérant, Claude Brusco, avait prêté serment de dire "toute la vérité, rien que la vérité" en tant que témoin devant des policiers, alors qu’il se trouvait en fait déjà en situation de garde à vue comme suspect dans une affaire d’agression. Une loi de 2004 a depuis supprimé l’obligation de prêter serment pour les personnes placées en garde à vue dans le cadre d’une commission rogatoire.

Les juges de Strasbourg constatent néanmoins que le requérant n’a "pas été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait", et qu’il "n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue". "Il y a eu, en l’espèce, atteinte au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence", affirment unanimement les sept juges européens, qui accordent 5 000 euros au requérant en réparation de son dommage moral.

Décision de la Cour de cassation attendue pour le 19 octobre

C’est la première fois que la France est directement condamnée par la CEDH au sujet de la garde à vue. En revanche, elle avait été indirectement mise en cause par deux arrêts qui réaffirmaient la nécessité de la présence d’un avocat lors de toute privation de liberté : l’arrêt Salduz contre Turquie, du 27 novembre 2008, dans lequel la Cour indique que "le prévenu peut bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police" ; et l’arrêt Dayanan contre Turquie, du 13 décembre 2009, qui estime que "l’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire."

La décision de la CEDH intervient quelques jours après que le parquet général de la Cour de cassation a recommandé de déclarer les dispositions régissant la présence de l’avocat en garde à vue non conformes aux règles européennes, y compris pour les régimes dérogatoires (stupéfiants, terrorisme, criminalité organisée). La Cour de cassation rendra sa décision le 19 octobre. La chambre criminelle de la haute juridiction était saisie de trois pourvois dans trois procédures distinctes, soulevant la question de la conformité de la garde à vue française à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Le 30 juillet, le Conseil constitutionnel avait déjà censuré le régime français de garde à vue au regard des droits et libertés garantis au citoyen [1]. Les "Sages" ont donné au gouvernement jusqu’au 1er juillet 2011 pour mettre en œuvre une nouvelle loi, plus respectueuse des droits de la défense. En revanche, le Conseil constitutionnel n’a pas remis en cause les régimes dérogatoires de la garde à vue (concernant notamment les faits de terrorisme ou liés à la criminalité organisée). Dans la foulée de cette décision, la chancellerie a rédigé un nouveau projet de loi qui autorise l’avocat à assister aux auditions des suspects durant toute la garde à vue, avec des dérogations que critiquent les professionnels du barreau. Plus de 790 000 mesures de gardes à vue ont été décidées en 2009, dont plus de 170 000 pour les seuls délits routiers.


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