fracturation des sols, fracturation des droits


article de la rubrique démocratie > sur le blog de Gilles Sainati
date de publication : lundi 18 avril 2011
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la banquise (d'après un cliché Spot)

Un texte de Gilles Sainati, écrit après la manifestation de Nant.


Fracturation des sols – Fracturation des droits

Le récent rassemblement à Nant (Aveyron) des opposants à l’exploration et l’exploitation des gaz de schistes a bien délimité la place de chacune des parties prenantes au débat : la démocratie militante et la froideur de la gouvernance technocrate. En apparence, les militants ont gagné : le gouvernement a annoncé qu’il acceptera qu’une loi annule les permis d’exploitation dans les prochains jours, mais comme le dit le premier ministre et son gouvernement : « Le gouvernement soutiendra les amendements visant à abroger des permis d’exploitation des gaz de schiste en France mais ne fermera pas la porte à la recherche scientifique dans ce secteur ». Le Premier ministre a ordonné une mission de recherche scientifique pour étudier les possibilités d’exploiter de tels gaz sans nuire à l’environnement.

Ainsi donc, la lutte n’est que remise, les pouvoirs publics espérant un essoufflement de la mobilisation.

C’est peut être comme cela qu’il fallait interpréter l’hélicoptère de la gendarmerie, bardé d’appareils photo qui a survolé pendant tout l’après midi les manifestants, faisant diverses incursions au dessus des parkings, pour semble t-il photographier les plaques d’immatriculation... Etait-il là pour uniquement calculer le nombre de manifestants ou bien leur tirer leur portrait ? Les deux mon capitaine. Car il faut s’y faire, manifester contre le pouvoir, même en groupe, en masse, n’est plus anodin. Le but de tous ces fichages est in fine la mise en place d’une police pro-active en cas de troubles. Ainsi l’identification la plus fine des participants à la manif de Nant peut s’avérer utile, dans deux, trois, six ans si la tension monte entre les foreurs qui seraient autorisés à fracturer le sol et les nouveaux eco-terroristes en devenir.

Les méthodes les plus prédatrices en terme environnemental, vont de pair avec la fracturation des droits collectifs et individuels comme celui de la manifestation...

Le droit de manifester, un moyen de fichage

Si la la possibilité d’être filmé a toujours été la contrepartie du droit de manifester, celui ci est devenu au fil du temps et de l’évolution technologique un moyen d’établir des fichiers d’opposants, de récalcitrants, voir de potentiels terroristes. C’est un décret de juin 2009 qui a prévu une infraction punie d’une amende de 1.500 euros au plus (contravention de 5e classe) dans « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public ». Le décret prévoit qu’en cas de récidive dans un délai d’un an, l’amende peut être portée à 3.000 euros. Des exceptions sont toutefois prévues pour les « manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime ».

Cette évolution et cette nouvelle législation n’est pas due à une coïncidence. Il y a malheureusement toujours eu des casseurs dans certaines fins de manif et depuis 2009, ce type de comportement n’a pas été arrêté par ce type de décret... Enfin l’exemple de la manif de Nant , est celle d’une manifestaion familiale et festive ...

Cette nouvelle législation constitue la partie émergée de la volonté de construire un fichier de potentiels suspects et d’opposants...

De nombreux fichiers pourraient être ainsi alimentés, dont nous n’avons que peu d’informations sur leur contenu et leur étendue comme le fichier Cristina (centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux) dont la gestion est confié à la DCRI ( Direction Centrale du Renseignement Intérieur) sorte de nouveau service regroupant la DST et les RG la gendarmerie ayant par ailleurs fusionné avec la police nationale.

Cristina est classé secret défense et n’est pas soumis au contrôle de la CNIL ...

Fracturer comme méthode de gouvernance

En fait la méthode d’extraction du gaz des schistes nécessite la fracturation des schistes profonds avec des conséquences irréversibles sur l’environnement et notamment la salubrité des nappes phréatiques. Cette méthode utilisée à grande échelle aux USA a abouti à la détérioration définitive de nombreuses zones du territoire. Pour en arriver là, les multinationales qui étaient à la manoeuvre ont tout a la fois fois bénéficié du saccage des règles environnementales par l’administration Bush mais plus généralement de la destruction de tous les fondements du droit depuis l’adoption du patriot act en 2001. La France n’a pas échappé à ce déferlement sécuritaire qui a abouti au vote dans ces dix dernières années de 220 dispositifs législatifs sécuritaires dont on peut nommer les principaux : Loi sécurité quotidienne, loi Sécurité intérieure, Loi Perben 1 & 2, LOPPSI, 1& 2, Prévention de la délinquance, Peines Planchers, mesure de sûreté, maintenant sur la psychiatrie etc ...

L’on assiste à une véritable fracturation des droits fondamentaux... Comme si le capitalisme voulait chasser l’homme de son biotope aussi bien naturel que social. Détruire pour mieux exploiter en quelque sorte. Nous pourrions reprendre la liste des droits fondamentaux dont la fracturation entraîne soit un dévoiement soit une disparition :

  • le droit à une justice indépendante et égale pour tous... fracturée par une pénurie voulue de moyens et une finalité exclusivement tournée vers la répression des pauvres et précaires,
  • le droit social, consciencieusement démantelé, du droit du contrat de travail à celui de la retraite,
  • le droit de l’environnement, débridé, avec une explosion de toutes les normes d’urbanisme, et d’urbanisme commercial , notamment,
  • le droit de la nationalité, dont le projet est de le transformer en éventail soumis au bon vouloir du prince.

La liste serait longue et si elle imputable à un gouvernement, elle l’est plus à une gouvernance qui n’a plus qu’une seule préoccupation : le taux de marge nette...

Gilles Sainati


Graphisme : fracturation de la banquise, d’après un cliché Spot.


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