du casier judiciaire aux fichiers STIC, FNAEG, FIJAIS ...


article de la rubrique Big Brother > les fichiers de police : Stic, Judex ...
date de publication : dimanche 5 novembre 2006
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Au traditionnel « boulet » pour les sortants de prison que constitue le casier judiciaire, s’ajoutent désormais plusieurs fichiers de personnes condamnées ou simplement mises en cause. Très peu contrôlé, leur usage ne cesse de s’étendre au détriment du « droit à l’oubli » et de la possibilité d’une réintégration dans la société, dénonce l’avocat et ancien bâtonnier du barreau de Versailles, Nicolas Perrault.

Ce phénomène d’extension des fichiers est particulièrement inquiétant. Qui sait quelle utilisation sera faite demain de telles bases de données ? [1]


  • Qu’est-ce que le casier judiciaire ?

Nicolas Perrault : Le casier est un fichier judiciaire des condamnés. Il a été créé en 1848 afin d’établir la biographie judiciaire d’un accusé quand il va comparaître devant les tribunaux. Sa seconde vocation est de constater la situation morale et judiciaire des individus lorsqu’ils ont besoin d’en apporter la preuve pour exercer une profession particulière, solliciter l’accès à la fonction publique, être convoqué comme juré ou user de ses droits électoraux. Tous les magistrats y ont accès et, dans certains cas, les administrations lorsque, pour certains types d’emplois, elles requièrent la production des bulletins n°2 ou 3 du casier judiciaire.

  • Quelle est la différence entre les bulletins ?

N.P. : Le bulletin n° 1 (B1) comprend le relevé intégral de l’ensemble des condamnations (accompagnées ou non d’interdictions et d’incapacités), ainsi que les sanctions disciplinaires, administratives ou judiciaires prononcées à l’encontre de la personne. Le bulletin n° 2 (B2) est une version allégée du B1, puisqu’il ne comporte qu’un nombre limité de décisions judiciaires. Le bulletin n° 3 (B3) ne comporte que les interdictions, déchéances ou incapacités sans sursis, et les peines d’emprisonnement de plus de deux ans prononcées sans sursis. Les décisions prononçant un suivi socio-judiciaire et les interdictions d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, figurent, pendant la durée de la mesure, au B2 ou B3.

  • Le casier judiciaire constitue-t-il un obstacle au retour dans la société ?

N.P. : II est véritablement une prolongation de la peine infligée, une peine supplémentaire. Il représente un handicap essentiellement dans la recherche d’un travail, mais pas seulement. Se réinsérer, c’est aussi retrouver la plénitude de ses droits. Une personne qui se voit infliger à titre principal une peine d’emprisonnement peut également être condamnée à une série de mesures d’interdictions, d’incapacités, de déchéances ou de retraits de droits, qui prendront effet au moment de sa libération. Cela regroupe trois grands types d’interdictions : des interdictions professionnelles qui peuvent concerner l’accès à la fonction publique comme à grand nombre d’emplois privés, des interdictions de droits civiques, civils et de famille, comme le droit de vote ou l’autorité parentale, et une interdiction d’aller et venir, comme l’interdiction du territoire français. Cette situation peut être considérée comme une dématérialisation de l’individu, une relégation supplémentaire. D’autant que le lien entre l’interdiction et l’infraction n’est pas toujours évident. Par exemple, l’interdiction d’émettre des chèques n’est pas toujours justifiée et peut être extrêmement pénalisante dans une démarche de réinsertion.

  • Quelles sont les motivations de la fonction publique pour interdire l’accès aux personnes condamnées ?

N.P. : Ce sont des critères fondés sur des notions très anciennes qui ne veulent plus dire grand chose. On a toujours considéré que les fonctionnaires devaient avoir une « bonne moralité ». La demande de casier judiciaire en est un prolongement. Progressivement, l’autorité administrative a cependant adopté une démarche plus restrictive. Désormais, l’infraction sanctionnée doit être incompatible avec l’exercice des futures fonctions. Par exemple, si une personne postule à une place d’entretien au commissariat à l’énergie atomique et qu’il lui est reproché un délit pénal comme l’abandon de famille, cela ne doit pas faire obstacle à l’attribution du, poste car ce délit n’a pas de rapport avec l’emploi.

  • Qu’en est-il des entreprises privées ?

N.P. : Elles peuvent parfaitement demander à une personne qu’elles envisagent de recruter de produire le B3. Si elle refuse, elle ne sera pas recrutée. Si l’employeur ne le demande pas en revanche, il n’y a pas d’obligation légale d’informer de l’existence d’une condamnation, mais il ne faut pas mentir sur sa situation. Cela dit, un refus d’embauche qui serait motivé seulement par le fait que la personne a été condamnée pourrait être considéré comme une discrimination. Le Code du travail prévoit en effet qu’une personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement en raison de son origine, de ses mœurs, etc. Les condamnations pénales ne devraient donc pas non plus permettre d’écarter une personne d’une possibilité de recrutement.

  • Peut-on obtenir un relèvement de ces interdictions, déchéances ou incapacités ?

N.P. : Un relèvement peut être demandé lorsqu’on veut exercer un emploi particulier. C’est la juridiction de condamnation qui prend la décision. Le relèvement entraîne l’effacement des mentions du casier judiciaire. Plusieurs, arrêts du Conseil d’État ont cependant estimé que l’autorité administrative pouvait tenir compte de faits à l’origine d’une condamnation, alors même qu’elle n’est pas inscrite au casier judiciaire ou a été effacée. En octobre 2004, le Conseil, a par exemple examiné le cas d’une personne qui s’était portée candidate au concours d’agent de surveillance et qui devait assurer le contrôle du stationnement sur la voie publique. La personne avait commis des faits de vols à l’étalage, qui avaient été classés sans suite, non inscrits au bulletin n°2. Mais le Conseil d’État a considéré que, malgré tout, ces faits étaient incompatibles avec l’exercice de cette fonction. Autrement dit, l’arbitraire est encore bien présent dans les décisions de l’administration. D’autant qu’elle dispose d’un accès à ces informations par le biais du, fichier STIC (Système de traitement des infractions constatées).

  • Qu’est-ce que le STIC ?

N.P. : Le STIC est le fichier informatique de la police judiciaire. Y sont enregistrés l’identité de la personne, son surnom éventuel, sa date et son lieu de naissance, sa situation familiale, sa filiation, sa nationalité, son adresse, sa profession, son « état personnel », son signalement ainsi qu’une photographie. Le STIC recense à la fois les personnes mises en cause dans des infractions, c’est-à-dire, selon la terminologie officielle, les personnes «  à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, à la commission de ces infractions  », et les victimes des infractions concernées. Autrement dit, il suffit d’avoir, eu affaire, d’une quelconque façon, aux services de police pour figurer dans le STIC. C’est une atteinte sérieuse à la présomption d’innocence, parce que, tant qu’une personne n’a pas été condamnée, il n’y a aucune raison qu’elle figure dans un quelconque fichier. Pourtant, le législateur a validé ce type de démarche.

  • Combien de temps sont conservées ces informations ?

N.P. : Pour une personne majeure, ces informations sont conservées vingt ans. Par dérogation, cette durée peut être limitée à cinq ans ou, à l’inverse, étendue à quarante en fonction de la nature de l’infraction. Les informations concernant un mineur sont, quant à elles, conservées, soit cinq ans, soit, par dérogation, dix ans, voire vingt. Par ailleurs, les données personnelles sont effacées en cas de décision définitive de relaxe ou d’acquittement, sauf si le procureur de la République en ordonne le maintien. Les décisions de non-lieu et de classement sans suite, lorsque ces dernières sont motivées par une insuffisance de charge, font, quant à elles, l’objet d’une mention, sauf si le parquet prescrit l’effacement des données.

  • A quoi sert concrètement ce fichier ?

N.P. : Le STIC est présenté comme un outil de lutte contre la criminalité, donc un outil de prévention. Mais son contenu s’est élargi progressivement, au fur et à mesure du durcissement de la politique pénale. Il a été détourné de son objectif initial et joue désormais un rôle de casier judiciaire parallèle. C’est d’autant plus problématique que sa consultation à des fins administratives ne présente pas des garanties similaires à celles prévues pour le fonctionnement du casier judiciaire. De plus, de nombreux dysfonctionnements ont été relevés par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) dans l’alimentation et la mise à jour de ce fichier, avec environ 25 % d’erreurs. Il faudrait renforcer les contrôles, faciliter d’accès au fichier STIC pour tout individu et offrir un droit de rectification simple et rapide.

  • Quelles difficultés rencontrent les personnes qui figurent dans ce fichier ?

N.P. : Des gens qui avaient postulé à des emplois d’agents de surveillance dans certaines activités sensibles ont vu leur candidature rejetée au moment du recrutement parce que leur nom apparaissait dans ce fichier STIC. Dans certains cas, les informations n’étaient pas bonnes, faisaient référence à des faits anciens ou sans rapport avec l’emploi, voire
pour lesquels un non-lieu avait été prononcé. La loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 précise en effet que : «  Désormais les décisions administratives de recrutement, d’affectation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation concernant soit les emplois publics participant à l’exercice des missions de souveraineté de l’État, soit les emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense, soit les emplois privés ou activités privées réglementées relevant du domaine des jeux, paris et courses peuvent être précédées d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou missions envisagées ». En faisant référence au « comportement » et non à des décisions judiciaires, le législateur a laissé toute latitude à l’administration pour décider et vérifier la compatibilité des emplois.

  • Qu’en est-il du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) ?

N.P. : Le FNAEG est destiné à centraliser les empreintes génétiques des personnes condamnées pour certaines infractions. Les empreintes de personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants qui rendent vraisemblable le fait qu’elles aient commis une infraction peuvent également être conservées sur décision d’un officier de police judiciaire. Il s’agit, dans cette hypothèse, de personnes qui n’ont pas encore été condamnées pour les faits qui leur sont reprochés et qui devraient, en principe, bénéficier de la présomption d’innocence. Les informations enregistrées ne peuvent être conservées plus de quarante ans. Initialement, le champ d’application du FNAEG était limité aux seules infractions de nature sexuelle (viols, agressions et exhibitions sexuelles, infractions liées à la pédophilie, etc.). La loi pour la sécurité intérieure l’a cependant étendu à la quasi-totalité des crimes et délits d’atteintes aux personnes et aux biens.

  • Un nouveau fichier a également été créé récemment, le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS)...

N.P. : Oui, le FIJAIS a été créé par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Là encore, alors qu’il était initialement destiné, à recevoir, conserver, et communiquer les informations relatives aux auteurs d’infractions de nature sexuelle, la loi du 12 décembre 2005 a élargi le fichier aux personnes condamnées pour des crimes de tortures ou d’actes de barbarie, ainsi que pour des meurtres, assassinats ou empoisonnements commis en état de récidive. Ce phénomène d’extension des fichiers est très inquiétant. Nous ne pouvons pas savoir quelle utilisation sera faite demain de telles bases de données. Le législateur devrait être beaucoup plus attentif.

  • La CNIL parle de « risques graves d’exclusion sociale » du fait de l’utilisation de ces fichiers, qu’en pensez-vous ?

N.P. : C’est vrai. Il faudrait d’ailleurs que la CNIL voit ses pouvoirs renforcés en matière de contrôle. Elle a la possibilité d’interroger les administrations sur l’usage qu’elles font des fichiers et celles-ci doivent déclarer tous les dispositifs de recueil d’informations automatisés. Mais petit à petit, son rôle est réduit par des contraintes législatives qui privilégient la protection du groupe au détriment de celle de l’individu dont les libertés personnelles sont ainsi de plus en plus menacées. Deux notions se heurtent : faciliter la réinsertion et donc promouvoir le « droit à l’oubli » , et une tentation sécuritaire sans cesse renforcée. En choisissant cette dernière option, la société crée des exclusions, qui engendrent les maux mêmes que cette politique est censée combattre.

Nicolas Perrault, avocat, ancien bâtonnier du barreau de Versailles.
Propos recueillis par Stéphanie Coye et Jean Bérard

Notes

[1Cet article a été publié dans le numéro 57 (septembre-octobre 2006) de Dedans/Dehors, revue de l’Observatoire international des prisons, sous le titre Demain, tous fichés ?.


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