drogues : sortir de l’hypocrisie française


article de la rubrique libertés > drogues
date de publication : mardi 29 juin 2010
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Quarante ans après la loi du 31 décembre 1970, il est urgent de ré-ouvrir le débat public sur les drogues, en s’appuyant sur des réalités épidémiologiques et sociologiques.

Afin d’y contribuer, nous reprenons un dossier de Laurent Mucchielli [1], mis en ligne le 23 juin 2010, qui permet d’approfondir la connaissance que nous avons des formes et enjeux de l’action publique tant en France et au sein de la communauté européenne que outre-Atlantique. Il examine les limites de la politique du cannabis en France (Anne Coppel et Eric Poulain), les convergences et divergences des politiques publiques européennes (Henri Bergeron), ainsi que les logiques du mouvement anti-prohibitionniste aux Etats-Unis (Fabrice Olivet). Il analyse enfin les significations sociales des usages de drogues parmi les nouvelles générations (Aude Lalande).


Drogues : sortir de l’hypocrisie française

On le sait, une certaine rhétorique politicienne manichéenne a enfermé le débat sur la sécurité dans une opposition entre rigueur et laxisme, et certains s’y font toujours prendre. Mais ce genre de simplismes pollue tout aussi bien le débat sur les drogues, qui est enfermé depuis des décennies dans une prétendue opposition entre pénalisation et dépénalisation. Oui, nous disons bien "polluer" tant ces discours font prendre à la société française des années de retard dans le traitement de certains problèmes sociaux. Car le constat est là, massif : la France possède une des législations européennes les plus répressives en matière de drogues, et c’est pourtant l’un des pays européens où la consommation de drogues a le plus augmenté au cours des 20 dernières années. Ce sont désormais plusieurs millions de Français qui consomment du cannabis plus ou moins régulièrement. Il faut donc le dire haut et fort : la prohibition est un leurre et c’est une ligne politique irresponsable. Une façon de se donner bonne conscience sans se soucier de la réalité. Cette réalité est qu’un monde sans drogues est désormais impossible. Dès lors, il faut sortir de l’irresponsabilité, cesser de prétendre vouloir et pouvoir "éradiquer" les drogues pour essayer concrètement de réduire le plus possible les risques en termes de santé et de sécurité. Pour cela, outre qu’il faudrait se donner les réels moyens policiers et judiciaires de lutter contre les trafics organisés (tant internationaux que nationaux et locaux), il faudrait aussi comprendre qu’il existe une troisième voie entre prohibition et laisser-faire : la voie de la réglementation. L’Etat pourrait définir comment acheter légalement des produits médicalement contrôlés, dans quelles conditions exercer la liberté de consommer, voire même dans quelle mesure pouvoir cultiver certains produits pour un usage privé, y compris de type thérapeutique. Tout ceci pourrait s’expliquer, s’enseigner et se contrôler. La réglementation reléguerait ainsi les produits réellement toxiques et réduirait considérablement les trafics, établissant dans l’esprit de chacun (et surtout des jeunes) une ligne de démarcation claire et réaliste entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas, comme entre ce qui est dangereux et ce qui ne l’est pas. En bref : on passerait de la politique idéologique de prohibition à la politique pragmatique de réduction des risques.

Laurent Mucchielli


Pour introduire le débat : « Sortir de l’hypocrisie française, apprendre à gérer les drogues en réduisant les risques », par Michel Kokoreff (Université de Nancy 2).

Cannabis : les effets ballon de la politique française [2]

Synthèse

La politique menée actuellement en France en matière de lutte contre le cannabis est un échec. Quarante ans d’inflation répressive continue de la part de gouvernements de gauche comme de droite et plusieurs campagnes menées sur le thème de la « tolérance zéro » dans la « guerre aux drogues » n’ont pas suffi à en endiguer la consommation. La France reste en tête des pays européens en matière de consommation de cannabis, et cette dernière est en augmentation constante. On dénombre aujourd’hui près de 4 millions d’usagers de cannabis, dont 550 000 usagers quotidiens. Face aux échecs flagrants de la politique menée, il est temps de pacifier notre législation et nos politiques publiques pour envisager un nouveau paradigme de réduction des risques liés aux usages de drogues.

Le cadre législatif entourant le cannabis est devenu si répressif que l’essentiel des mesures prévues depuis 2007 porte sur l’application de la loi (automaticité des sanctions, fichage des usagers, peine planchers…), avec un coût considérable pour la collectivité. Certains rapports évaluent en effet le coût moyen d’une interpellation liée aux stupéfiants à 3300 euros, établissant le coût annuel total des interpellations à 3 milliards d’euros. Si ces chiffres doivent être pris avec précaution, on peut néanmoins estimer qu’une politique pacifiée permettrait de libérer de précieux moyens de sécurité.

Par ailleurs, une étude approfondie des chiffres des interpellations et des condamnations pénales fait apparaître une réalité contraire aux discours martiaux sur les « trafics » : entre 2002 et 2008, les peines pour usage ont doublé, alors que les condamnations pour trafic ont baissé. Les interpellations pour stupéfiants concernent dans 90% des cas les usagers de cannabis. La politique du chiffre imposée par le gouvernement se traduit par une répression inutile, en partie responsable d’un climat délétère entre populations et forces de l’ordre, et amputant ces dernières de précieux moyens qui pourraient être consacrés à d’autres missions. L’usage de cannabis, qui devrait faire l’objet d’une politique pertinente de prévention, d’information et de soin, est aujourd’hui le cœur de cible d’une politique du chiffre inefficace.

Cette politique ignore la complexité des multiples domaines concernés par le fléau du trafic illicite de drogues. En effet, une lutte efficace en la matière est peu compatible avec la politique du chiffre, tant elle demande une analyse fine des réseaux concernés par les trafics de drogues et un temps d’investigation long. Ici encore, la stratégie sécuritaire, dont les responsables brandissent l’intenable promesse d’une « guerre aux drogues », conduit à l’impasse. Pour illustrer cet échec, il suffit de noter que le prix des drogues est continuellement en baisse depuis 1991, les producteurs ayant réussi à s’adapter pour amonceler toujours plus de profits et de moyens d’influence.

Les insécurités sont nombreuses, les ressentis à fleur de peau. Nous devons nous engager pleinement dans une stratégie de changement de paradigme et de pratiques, notamment sécuritaires. Il s’agit donc de savoir penser et faire avec le cannabis en fonction de la réalité des risques pour les usagers, mais aussi en fonction des risques liés à l’action publique elle-même. Le mot d’ordre doit redevenir « savoir plus – risquer moins ».

Olivier Poulain, Anne Coppel, Mario Lap et Victor Ippécourt


Ressources en ligne :

Notes

[2Référence : Terra nova, 2010 http://www.tnova.fr/index.php?optio....


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