deux affaires et leur instrumentalisation


article communiqué de la LDH  de la rubrique discriminations > femmes
date de publication : mardi 13 septembre 2016
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Deux affaires sont intervenues à Toulon, le 13 juin et le 4 septembre 2016, d’atteinte intolérable à la liberté des femmes de se vêtir comme elles l’entendent dans l’espace public.

Dans le premier cas, une jeune femme a été agressée verbalement par un groupe de cinq filles dans un bus, parce qu’elle portait un short. Dans le second, un groupe familial de huit personnes – trois enfants et cinq adultes – a été violemment attaqué par une bande d’une dizaine de voyous : après avoir insulté les deux jeunes femmes, qui faisaient du roller ou du vélo, ils s’en sont pris avec fureur à leurs compagnons qui protestaient.

La Ligue des droits de l’Homme a dénoncé ces insultes et ces violences inadmissibles [1]. Elle tient aussi, dans les deux cas, à corriger les informations inexactes qui ont été diffusées par la presse et à dénoncer les commentaires racistes qui ne correspondent pas aux récits des victimes.


Juin 2016 : le témoignage de la jeune fille en short insultée dans un bus

M. V., élève de classe préparatoire dans un lycée de Toulon a relaté le jour même, 13 juin, sur Facebook les insultes qu’elle a subies. Elle s’est exprimée à nouveau quelques jours plus tard, le 17 juin, pour dire qu’elle avait été scandalisée par certaines réactions : « Il suffit de regarder les commentaires pour se rendre compte de l’islamophobie ambiante alors que je n’ai, à aucun moment, attribué une origine particulière à ces filles ni même mentionné une quelconque religion. » Cette affaire avait entrainé la réaction suivante de la LDH de Toulon.

Nous reproduisons ci-dessous les deux messages de M. V.

13 juin 2016

« Je suis en colère ce soir.
Nous sommes en 2016 et je viens de me faire agresser parce que je portais un short. Oui, un short. UN PUTAIN DE SHORT.

Nous sommes en 2016 et un groupe de 5 FILLES m’a insultée, menacée, crachée dessus dans un bus sans que jamais personne n’intervienne, malgré leurs hurlements et les miens. Elles n’ont visiblement pas apprécié tous les arguments que j’ai sortis en faveur de l’égalité homme-femme et de la liberté de disposer de son propre corps puisqu’elles m’ont suivie pour me frapper lorsque je suis sortie du bus et ne sont parties qu’après qu’un homme que j’ai interpellé ait attendu avec moi qu’elles s’en aillent (au bout de 15 minutes, vous captez le délire ?)

Nous sommes en 2016 et je tremble de rage : à la question "pourquoi vous me traitez de pute parce que je porte un short alors qu’un homme peut se balader torse nu en plein centre ville sans que personne n’y trouve rien à redire ?", elles m’ont répondu dans la seconde, les yeux écarquillés, comme si c’était l’évidence absolue : "ben parce que t’es une femme, faut se respecter sale conne."

Ah oui. Autant pour moi, j’avais oublié. Mais merci, maintenant j’ai la très agréable impression d’avoir fait un bond de quelques siècles en arrière.
J’avais l’habitude des pelos relous qui te klaxonnent et te sifflent comme un chien parce que tu as le malheur de disposer d’un vagin, qui viennent te harceler parce qu’ils ne comprennent pas ton "non", je connaissais les propos misogynes et salaces quand tu n’as apparemment pas assez de tissu sur toi pour protéger ta vertu, mais que ça aille aussi loin AVEC DES FEMMES pour un pauvre short, c’est une triste première.

Nous sommes en 2016 et malgré ce qu’en disent certains, le combat féministe est bien loin du compte. »

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17 juin 2016 (extraits)

« Bonjour à tous ! Je viens aux nouvelles :

Tout d’abord, j’ai porté plainte hier après-midi. Grâce à la visibilité de mon post, j’ai pu retrouver 6 témoins dont l’homme qui m’a protégée. Le policier qui a recueilli ma plainte m’a assuré que c’était malheureux mais que ce type d’agression était très courante et que le motif que j’invoquais (injure publique sur un particulier) ne rencontrait pas un très grand succès : pour cause, des procédures longues et pénibles, peu de réactions, des coupables difficilement identifiables et une sanction minime, surtout pour des mineures.
Cependant, il a ajouté que la médiatisation de cette histoire pouvait faire bouger la plainte, et pour cela je vous remercie.

Je veux mettre au clair des choses qui ont pu être mal comprises ou déformées : je n’ai pas été frappée mais ce n’était pas loin, ces filles avaient mon âge ou un peu moins, et c’est moi qui ai interpellé l’homme en sortant du bus, non le contraire.

Ensuite, parlons des choses qui m’importent le plus :
je suis à la fois touchée par un tel soutien et scandalisée par les réactions. Il suffit de regarder les commentaires pour se rendre compte de l’islamophobie ambiante alors que je n’ai, à aucun moment, attribué une origine particulière à ces filles ni même mentionné une quelconque religion. Vous êtes d’ailleurs tout aussi nombreux à m’avoir reproché ce que vous estimez être un "manque d’information" ou une "pudeur hypocrite". En fait, cela me parait tout à fait naturel et, à mon sens, on devrait tous s’en contrefoutre. Elles étaient françaises, et je me fiche royalement de savoir de quelle ethnie ou de quelle religion elles provenaient. Parce que là n’est pas le débat.

Le problème est bien plus profond qu’une simple question de religion ou d’appartenance ethnique et je n’ai pas attendu cette agression pour me faire taxer de pute. 
Ce sont des mécanismes du patriarcat qui ont été vraisemblablement très bien ingérés et revomis sur la première femme à découvrir son corps qui passait. J’ai eu d’ailleurs énormément de retour de femmes me signalant qu’elles ont, elles aussi, été insultées voire pire pour une tenue jugée indécente, que ce soit par des personnes âgées, des mères de famille, des proches, de parfaits inconnus hommes ou femmes et j’en passe.

Et c’est ça, le problème que je veux pointer : le fait qu’on puisse trop facilement juger […] la respectabilité d’une femme selon la façon dont elle s’habille, son comportement et la manière dont elle mène sa vie sexuelle. Tout cela ne nous regarde pas. C’est son choix et nous n’avons aucunement le droit de l’inquiéter de notre avis car, croyez moi, ELLE S’EN FOUT PUISSANCE 10 MILLIONS.
Malheureusement, on a tous déjà attribué l’étiquette de "pute" ou de "salope" à une fille pour ses vêtements ou ses mœurs. Et il faut prendre conscience que c’est injuste.

Parce qu’on ne dit pas d’un homme qu’il est "un chien" quand il met des débardeurs moulants, parce qu’on dit qu’il est un champion quand il se tape une meuf à une soirée, quand on blâme la femme et qu’on la qualifie de "FILLE FACILE" qui ne se respecte pas. […]

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Septembre 2016 : le témoignage de deux femmes insultées et de leurs compagnons violemment agressés

Une violente altercation s’est produite dimanche 4 septembre dont le quotidien Var Matin du 7 septembre a donné, sur la foi d’informations policières, une version inexacte quant au vêtement porté par les deux jeunes femmes, dans l’article « Toulon : elles sont habillées en short ... maris et ami se font passer à tabac ».

Le vendredi 9 septembre, Var Matin a apporté un démenti. Au-delà du démenti factuel sur le fait qu’il n’y avait pas de shorts et que les insultes sexistes ne portaient pas sur un vêtement particulier (en l’occurrence, l’une des femmes portait un jogging et l’autre un legging [2] ), cette affaire, comme la précédente, a donné lieu à des commentaires racistes et islamophobes. Sur un certain nombre de sites internet d’extrême droite, des personnes ont fait aussitôt le lien entre cette agression et l’islam et tous les commentaires qui ont suivi ont repris ce lien. Le 7 septembre, Marion Maréchal Le Pen a tweeté : « À #Toulon c’est déjà la charia : porter un short peut vous emmener à l’hôpital ! Soutien à cette famille traumatisée. » Le lendemain, un article de Céline Pina intitulé « La police de la vertu islamiste impose ses normes par la violence » apparaissait sur le site lefigaro.fr. La même Céline Pina avait publié le 15 juin un article à propos de l’affaire précédente qui faisait le même rapprochement : « Cette histoire n’est pas sans rappeler l’agression similaire d’une adolescente à Gennevilliers en avril dernier. » [3]

Le 8 septembre également Lydia Guirous a publié sur le site de Valeurs Actuelles un article intitulé : « Toulon : quand le rideau de fer islamiste tombe sur les femmes de France ». Plus inattendu, dans son émission intitulée 28 Minutes diffusée le vendredi 9 septembre, Arte a laissé le journaliste Brice Couturier opérer le même rapprochement. De nombreux commentaires ont évoqué ce lien, parfois sous forme d’interrogation, jusqu’au moment où un article de Libération « Hallucination collective à Toulon ? Les femmes agressées ne portaient pas de short » [4]
et un article du Monde
« Islam et “agressions vestimentaires” : le grand emballement des faits divers » [5] ont rectifié les faits et décrypté le mécanisme de cet amalgame.

La section de Toulon de la LDH a fait sa propre enquête et recueilli le témoignage des victimes. Il en ressort que le caractère sexiste des insultes est manifeste et que, lorsque les promeneurs ont protesté, ils ont subi une agression d’une violence extrême. Les victimes, contrairement à tous les commentaires qui se sont multipliés, ne font pas de lien raciste ou islamophobe entre l’origine ou la religion supposée des voyous (l’un des termes utilisé par eux ne renvoie pas à la culture du Maghreb) et les délits inadmissibles qu’ils ont commis et pour lesquels les personnes agressées réclament justice. La section de Toulon de la LDH leur a apporté son soutien.

Communiqué LDH

Paris, le 8 septembre 2016

À Toulon ou ailleurs, les femmes ont le droit de s’habiller comme elles le désirent !

Dimanche 4 septembre 2016, à Toulon, deux familles avec de jeunes enfants qui se promenaient sur une piste cyclable ont été l’objet de très violentes agressions verbales et physiques perpétrées par un groupe d‘une dizaine de jeunes, au prétexte que deux promeneuses portaient des shorts. Les trois hommes de cette famille ont été passés à tabac, devant les enfants présents ; l’un d’entre eux, très sérieusement blessé, souffre de fractures multiples au visage. Deux des agresseurs présumés ont été arrêtés et déférés au parquet, et l’enquête policière se poursuit.

La Ligue des droits de l’Homme condamne très fermement ces comportements inadmissibles et souhaite que l’enquête menée permette à ce que les auteurs de ces agressions répondent de leurs actes devant la justice.

Elle rappelle que nulle autre limite que celle fixée par les principes fondateurs de notre République et par la loi ne saurait être opposée à la liberté des personnes d’aller et venir et de porter les vêtements qu’elles souhaitent.

La Ligue des droits de l’Homme restera extrêmement vigilante quant au respect des droits de chacune et de chacun à cet égard, et continuera résolument à se mobiliser pour combattre tous les discours de haine et d’exclusion, d’où qu’ils viennent.

Notes

[1Voir le communiqué.du comité régional PACA de la LDH : https://www.facebook.com/ldh06cg/?h....

[2Ainsi que l’établira l’enquête réalisée par la section toulonnaise de ka LDH.


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