contre la violence éducative infligée aux enfants


article de la rubrique prisons > enfermement et violences contre les jeunes
date de publication : samedi 8 mars 2014
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Aujourd’hui, en France, les enfants sont les seuls êtres humains qu’il est permis de frapper : depuis la fin du XVIIIe siècle, on a successivement interdit de frapper les domestiques, les hommes d’équipage, les prisonniers, les femmes. Mais, dans les familles on a toujours le droit de frapper les enfants. Certains professionnels de l’enfance recommandent même encore la gifle et la fessée. Comment se fait-il que les êtres humains les plus fragiles les plus vulnérables, ceux sur qui la violence peut avoir les conséquences les plus dommageables, ne soient pas protégés par la loi contre la violence infligée dans un but éducatif ?

Pour contribuer à une prise de conscience et tenter de faire évoluer la législation, Olivier Maurel, auteur de plusieurs livres sur le sujet, a fondé l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO). Le site internet associé comporte de nombreux éléments d’information et de réflexion.


Voir en ligne : non à la violence éducative ordinaire !

Du fait que la France a signé et ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant dont l’article 19 stipule que « les Etats doivent protéger les enfants contre toute forme de violence », la France aurait dû interdire depuis longtemps cette pratique. C’est d’ailleurs ce que lui rappelle tous les cinq ans le Comité des droits de l’enfant des Nations unies lorsque les représentants de la France viennent présenter leur rapport sur l’application de la Convention. C’est aussi ce que lui rappelle le Conseil de l’Europe qui demande à tous les Etats européens d’interdire toute forme de violence éducative et d’humiliation sur les enfants. Une plainte a même été déposée l’an dernier contre la France par une ONG et elle a été jugée recevable par le Comité des droits du Conseil de l’Europe.

Il est d’autant plus nécessaire de se poser la question de l’interdiction de la violence éducative que de multiples recherches sur le développement des enfants ont montré la nocivité des violences et des humiliations sur la santé physique et mentale des enfants, sur leur comportement et sur leur développement affectif et cognitif.

Madame Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille s’est dite favorable à une interdiction. La loi sur la famille qui était en préparation aurait probablement comporté une mesure allant dans ce sens. Mais malheureusement, suite aux manifestations, cette loi a été repoussée sine die alors qu’elle avait déjà été assez avancée.

Contre la violence éducative :
laissons plutôt grandir notre aptitude innée à l’empathie !

par Gaëlle Brünetaud Zaïd, L’Enfant et la Vie, n°176, 1er trim. 2014


La violence éducative ordinaire comprend, entre autres, les châtiment corporels (dont les fessées), les punitions, humiliations, manipulations... Olivier Maurel les étudie depuis plus de vingt ans pour nous aider à nous en détourner. Rencontre avec un homme à la fois père de cinq enfants et grand-père, qu’on sent profondément humble et bon.

Né en 1937, Olivier Maurel a connu la tendresse dans sa famille en même temps que l’horreur des guerres. Militant pacifiste, touché par les travaux d’Alice Miller, il s’interroge depuis toujours sur la violence. Il a créé l’Observatoire de la Violence Éducative Ordinaire (OVEO) [1] et s’intéresse à l’origine de toutes les formes de violence utilisées à des fins éducatives. Cela comprend la violence verbale, physique et psychologique.

  • Oui, la nature humaine est bonne !

Contrairement à ce que la théorie des pulsions voudrait nous faire croire, les études scientifiques menées sur les enfants prouvent qu’ils sont animés, dès leur plus jeune âge, d’une prédisposition innée à la vie sociale. Ils sont doués pour l’attachement, l’imitation, l’altruisme et l’empathie. Au cours de ses expériences, par exemple, Felix Warneken a montré qu’un enfant de 18 mois qui voit quelqu’un laisser tomber malencontreusement un objet s’empresse de l’aider à le ramasser, spontanément, sans en attendre quoi que ce soit en retour. L’égoïsme est sans doute une attitude acquise !

  • Un enfant qui n’est pas frappé ne frappe pas à son tour.

Pourquoi les parents frappent-ils leurs enfants ? Parce que nous avons une aptitude innée à l’imitation : les neurones miroirs enregistrent tous les comportements que nous observons et nous préparent à les reproduire. Un enfant frappé apprend à frapper, un enfant humilié apprend à humilier, un enfant négligé apprend à négliger. Il apprend même pire que cela : à agir ainsi envers plus faible que lui. C’est donc l’éducation qui pervertit les aptitudes innées des enfants : c’est ainsi que l’imitation des comportements violents génère la violence, l’attachement se transforme en sadisme (celui qui aime fait mal) et l’altruisme en égoïsme. Les tueurs en série ont perdu toute capacité d’empathie et ont presque toujours eu des enfances épouvantables ; et les génocides sont commis dans des pays où la violence éducative est forte.

  • Pourquoi voter une loi contre la fessée ?

80 à 90% des enfants ont subi des violences à un âge où ils ne pouvaient pas remettre en question leurs parents : ils dépendaient totalement d’eux. Ils ont appris qu’on pouvait leur faire du mal « pour leur bien », ils ont intégré les violences reçues qui sont devenues des réponses automatiques, physiologiques. Il leur faut donc une autorité plus forte pour y mettre fin : celle de la loi. D’autant que la maltraitance est la pointe immergée de l’iceberg de la violence faite aux enfants : plus on admet la violence ordinaire, plus la maltraitance se développe. C’est flagrant : en Suède, par exemple, depuis l’application de la loi contre les violences faites aux enfants, il n’y a plus de décès par
maltraitance.

  • Sortir du cercle vicieux et « automatique » de la violence

Les enfants frappés ne frappent pas forcément. Il suffit d’un déclic, qui peut surgir à la lecture d’un livre, dans le sillage d’une rencontre, par opposition à ce qu’on a vécu, ou bien parce que l’un des deux parents n’était pas violent et que c’est celui-là qu’on choisit de suivre... S’informer est capital. Pour éduquer leurs enfants sans violence, les parents devraient pouvoir trouver de l’aide dans les maisons de quartier, les REAP (Réseaux d’Écoute et d’Appui à la Parentalité), les PMI (Protection Maternelle et Infantile)... La non-violence pourra encore plus se développer quand on aura cessé de croire à la théorie des pulsions, qui a fait malheureusement beaucoup d’émules en France, et beaucoup moins dans la plupart des autres pays du globe.

Bibliographie

  • C’est pour ton bien, Alice Miller, Éd. Aubier, 1985
  • J’ai tout essayé !, Isabelle Filliozat, Éd. Poche Marabout • 2013

Bibliographie d’Olivier Maurel :

  • La violence éducative, un trou noir dans les sciences humaines, Éd l’Instant Présent, 2012.
  • Oui la nature humaine est bonne !, Robert Laffont, 2009.
  • La Fessée : questions sur la violence éducative, La Plage, 2004, Préface d’Alice Miller.

L’enfance des dictateurs

Comme Alice Miller a été la première à le montrer, tous les dictateurs du XXe siècle ont subi des violences dans leur enfance. Hitler était, d’après sa propre sœur, battu tous les jours et méprisé par son père au point que celui-ci le sifflait comme un chien. Staline a été également battu violemment par son père et par sa mère (Miller, 1984 ; 1990). Mao (Gruner, 2005), Saddam Hussein, Ceausescu (Miller, 1991 ; 2004) ont eux aussi été maltraités. Les violences subies par Ivan le Terrible, Pol Pot, Amin Dada, Bokassa et Mussolini dans leur enfance ont été mises en lumière par d’autres auteurs (Lassus, 2008 ; Chalmet, 2013). [2]

Ces dictateurs ont pris le pouvoir dans des pays où la violence éducative était non seulement généralisée comme partout, mais aussi particulièrement intense. Les peuples sur lesquels ils ont exercé leur pouvoir, habitués à se soumettre à la force depuis l’enfance dans le cadre familial, étaient portés, pour cette raison, à se soumettre à l’autorité en place, plutôt pour le pire que pour le meilleur. Châtiés "pour leur bien", ils ont appris qu’une notion abstraite, le "bien", permet de faire violence à ceux qui sont censés le mériter. Ils deviennent ainsi très vulnérables à tous les discours démagogiques appelant à persécuter des boucs émissaires « pour le bien » d’une cause quelconque.

Olivier Maurel


Notes

[1L’Observatoire de la Violence Educative Ordinaire est une association créée dans le but d’informer le plus largement possible l’opinion publique et les responsables politiques sur la pratique de la violence éducative ordinaire, c’est-à-dire les diverses formes de violence utilisées quotidiennement pour éduquer les enfants dans les familles et les institutions.

[2Références :

  • Pierre Lassus, L’Enfance du crime, Tous les grands criminels ont été des enfants maltraités, Bourin, 2008.
  • Véronique Chalmet, L’Enfance des dictateurs, Paris, Prisma, 2013.

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