citoyens européens étroitement surveillés


article de la rubrique Big Brother > l’Europe de Big Brother
date de publication : mercredi 1er août 2007
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Il est un domaine où la construction européenne va vite, celui de la mise en réseau des fichiers de police. Prévue par le traité de Prüm [1] étendu aux 27 membres de l’UE, elle se fait sans prendre en considération la protection des données, comme le regrettait vivement la CNIL européenne (le CEPD) : « la législation facilitant l’échange de données [est] adoptée avant qu’un niveau approprié de protection des données ne puisse être garanti » [2].

C’est le même constat qui ressort d’un avis du Parlement européen critiquant l’intégration du traité de Prüm dans le droit européen [3].


Photo biométrique des signataires du traité de Prüm

Citoyens européens sous étroite surveillance

Libération, 1 août 2007

Big Brother pointe le bout de son nez : dès 2008, les polices européennes vont avoir accès à l’ensemble des fichiers ADN, empreintes digitales et immatriculation des véhicules existant dans les 27 Etats membres de l’Union. La lutte contre la criminalité, à l’heure où les frontières physiques ont disparu, va en être grandement facilitée.

Mais la protection des citoyens contre les abus a été oubliée dans l’affaire. Encore une fois, les libertés publiques sont sacrifiées sur l’autel de la lutte contre le crime, ce qui alarme le Parlement européen et les associations de défense des droits de l’homme.

Europe policière. Ce renforcement de la coopération policière ne concernait au départ que sept pays : l’Espagne, l’Autriche, les trois pays du Benelux, l’Allemagne et la France. En mai 2005, ces Etats avaient signé le Traité de Prüm prévoyant ces échanges d’informations mais aussi un droit de poursuite transfrontalier, la mise à disposition des forces de maintien de l’ordre d’un pays à l’autre ou encore des équipes d’enquête communes, afin de lutter contre la criminalité transfrontalière, le terrorisme et l’immigration illégale. Devant le succès de cette coopération, le Conseil des ministres de l’Intérieur de l’Union a décidé début juin d’étendre ce traité aux Vingt-Sept.

Le Traité de Prüm était déjà resté en travers de la gorge du Parlement européen qui s’inquiète de cette Europe policière qui se met en place en évitant de passer par la case démocratie : « Il a été préparé en dehors de tout processus démocratique », les Parlements nationaux n’ayant pas été associés à son élaboration, déplore la députée européenne socialiste, Martine Roure, membre de la commission des Libertés publiques et vice-présidente du Parlement européen. Son intégration à « l’acquis communautaire » ne change pas grand-chose, le traité sur l’Union ne donnant qu’un rôle « purement formel au Parlement », comme elle le dénonce.

Dans son « avis » très critique sur l’intégration du traité de Prüm dans le droit européen, voté au mois de mai, Strasbourg exige une définition précise des « données à caractère personnel » échangeables , une meilleure protection des données ou encore une limitation de l’ouverture des fichiers aux cas les plus graves : « Nous ne voulons pas que le maintien de l’ordre ou de la sécurité publique suffise », précise Roure. Enfin, le Parlement exige que la durée de conservation des données ne dépasse pas deux ans alors que le traité de Prüm laisse chaque Etat libre de décider.

« Dérives ». Pour Philippe Hensmans d’Amnesty International, c’est tout le traité de Prüm qui devrait être remis à plat : « La définition du terrorisme est trop vague et donc dangereuse. Lorsqu’on définit de façon vague le terrorisme, les retombées peuvent être extrêmement graves » puisque beaucoup de comportements peuvent être assimilés au terrorisme. « Jusqu’à présent, les échanges d’informations portaient sur des faits qui avaient déjà eu lieu, poursuit-il . Le problème ici, c’est que les Etats s’échangeront des données sur des gens qui n’ont pas fait d’attentat mais qui pourraient en faire. Ça peut mener à des dérives. On n’a pas non plus défini ce qu’est un individu dangereux ! »

Les ONG et les eurodéputés attachés aux libertés réclament une « décision-cadre » sur la protection des données. « Je pense qu’une telle décision pourra être adoptée avant décembre », espère Martine Roure. Un optimisme guère partagé par le bureau du ­Contrôleur européen de la protection des données (CEPD). « Dans le projet de conclusion du dernier sommet européen, il y avait une référence à une telle protection des données. Mais plusieurs Etats-membres sont encore réticents, notamment le Royaume-Uni et la République Tchèque, explique Hielke Hijmans, administrateur du CEPD. Il n’y a même pas encore d’accord sur les principes généraux de cette protection ! » Cet échange de données, et notamment des données ADN, fait craindre une évolution « big brotherienne ». Martine Roure déplore ce « flicage inadéquat » : « Ce n’est pas toujours bon d’aller fouiller dans la vie des gens, quelques fois ça ne sert à rien ! Si l’on me prouve que c’est efficace, alors je dis OK ! Mais je pense qu’une société fliquée n’est pas une bonne société. »

Par Virginie Rivière


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