cannabis : à quand un vrai débat en France ?


article de la rubrique libertés > drogues
date de publication : samedi 20 septembre 2014
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Tirant la leçon de l’échec des politiques exclusivement répressive, une commission internationale sur la politique des drogues demande aux États de donner la priorité à la santé publique. Cela ébranlera-t-il nos gouvernants ? On peut en douter : alors que certains pays ont légalisé la production de cannabis et que nos voisins européens en dépénalisent l’usage, la France reste arc-boutée sur sa loi du 31 décembre 1970. Cette loi, une des plus répressives en Europe, c’est la tolérance-zéro pour usage de cannabis. L’inefficacité de cette politique est avérée puisque la consommation de cannabis en France reste l’une des plus élevées en Europe.

Au moins pourrait-on en débattre, comme le souhaitait l’ancien ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant dans une tribune publiée le 6 février dernier [1]. Le même jour, la sénatrice EELV Esther Benbassa déposait une proposition de loi “visant à autoriser l’usage contrôlé du cannabis” ... quand viendra-t-elle à l’ordre du jour ?

[Mis en ligne le 13 septembre 2014, mis à jour le 20]



Légaliser le cannabis : La France s’accroche au tout-répressif

par Louise Fessard, Mediapart le 24 août 2014 (extraits) [2]


Alors que l’Uruguay, le Colorado et Washington aux États-Unis ont légalisé la production de cannabis, que ses voisins européens en dépénalisent l’usage, la France reste arc-boutée sur sa loi du 31 décembre 1970, l’une des plus répressives en Europe. Avec des effets inefficaces puisque la consommation reste l’une des plus élevées du continent. [...]

Officiellement, le gouvernement socialiste ne craint pas le débat. Le ministre de l’intérieur PS Bernard Cazeneuve nous a ainsi répondu le 12 août 2014 être favorable « au plus large débat »… en refermant aussitôt la porte. « Mais dans ce débat, j’ai ma position : je suis fermement hostile à toute dépénalisation. »

Face aux lecteurs du Parisien en juin 2014, Christiane Taubira restait tout aussi prudente : « À partir du moment où 40 % des adolescents ont touché au cannabis, on ne peut pas se cacher sous le sable. Pourquoi, dans un pays où l’on peut débattre des sujets les plus compliqués, n’est-il pas possible de débattre de celui-ci ? Si l’on légalise, terminé le trafic ! Mais moi, je ne suis pas qualifiée pour dire qu’il faut légaliser. Faut-il des états généraux ? Je pense que oui. »

Mais quand la sénatrice écologiste Esther Benbassa dépose le 28 janvier 2014 une proposition de loi « visant à autoriser l’usage contrôlé du cannabis », l’ex-ministre de l’intérieur Manuel Valls coupe court. « J’ai demandé un débat sans vote dans l’hémicycle pour sensibiliser les élus, raconte la sénatrice. Manuel Valls a immédiatement refusé. » « Nous considérons qu’il faut des interdits, nous a répondu Manuel Valls le 12 mars 2014. Ça ne veut pas dire que le débat n’aura pas lieu. Qui peut l’empêcher ? Nous avons besoin de normes, de règles, d’interdits. »
[…]

Échaudé par l’épisode houleux du « mariage pour tous », François Hollande ne veut plus de débats « sociétaux », jugés trop sensibles. « Les socialistes ne veulent pas choquer les gens, mais que des jeunes se procurent du cannabis auprès de groupes mafieux ne gêne personne », s’indigne Esther Benbassa. Pour elle, le « traumatisme » du mariage pour tous qui « a divisé la France en deux », les récents débats autour de la réforme pénale montrent un pays « replié sur ses stéréotypes et ses conservatismes ». « Malgré leur conservatisme, les États-Unis sont en avance sur les libertés individuelles », dit la sénatrice qui rêve d’une mission parlementaire au Colorado. [...]

Louise Fessard


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Drogues : d’ex-présidents appellent les Etats à
libéraliser sous contrôle le marché

par Paul Benkimoun, LeMonde.fr le 10 septembre 2014


Dans un rapport rendu public mardi 9 septembre à New York, la Commission globale sur la politique des drogues demande aux Etats de réorienter radicalement leurs stratégies et de prendre le contrôle des marchés de la drogue. Dans la perspective de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies (Seagnu) qui, en 2016, sera consacrée à la politique des drogues, le document prône l’abandon des politiques uniquement fondées sur la répression en donnant la priorité à la santé publique. Il invite les Etats à réguler, en cessant de criminaliser l’usage et la possession de drogues. Concrètement, « réglementer les marchés de la drogue pour donner le contrôle aux gouvernements. »

La commission rassemble notamment l’ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, les ex-présidents du Brésil, du Chili, de la Colombie, du Mexique, de la Pologne, du Portugal et de Suisse. Ses membres affirment que la « guerre aux drogues » est perdue. « Après plus d’un siècle d’approche punitive, les faits sont accablants : loin d’avoir atteint ses propres objectifs, a engendré de graves problèmes sociaux et sanitaires », peut-on ainsi lire au début du document.

« RÉDUIRE LA MORTALITÉ, LA MORBIDITÉ ET LES SOUFFRANCES »

« En 1998, la précédente Seagnu fixait l’objectif d’un monde débarrassé des drogues en 2015 grâce à la prohibition. Cette politique a surajouté, aux dommages que créent les drogues, des catastrophes sanitaires comme l’infection par les virus du sida et ceux des hépatites, une violence sociale, en particulier en Amérique latine, et l’apparition de narco-Etats », affirme Michel Kazatchkine, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour le VIH/sida en Europe de l’Est et en Asie centrale, et membre de la commission.

Le débat s’est accéléré. Aux Etats-Unis, 17 Etats ont décriminalisé la possession pour usage personnel de cannabis à des fins non médicales. Ceux de Washington et du Wyoming ont légalisé l’usage récréatif du cannabis.

La Nouvelle-Zélande a adopté en 2013 une loi sur les substances psychoactives autorisant la production et la vente de certaines d’entre elles considérées comme « à faible risque » dans un cadre réglementaire strict. « En Europe se sont développées des politiques de réduction des risques liés à l’usage de drogue qui ont fait la preuve de leur efficacité, mais il persiste une énorme timidité, par exemple sur l’ouverture de salles d’injection », remarque Michel Kazatchkine.

La commission estime qu’il « s’agit là de la seule manière de réduire à la fois la mortalité, la morbidité et les souffrances liées à la drogue et à la violence, ainsi que la criminalité, la corruption et les profits illicites favorisés par les politiques prohibitionnistes inopérantes ».

RÉGULATION DU MARCHÉ

En pratique, la commission recommande de réorienter les priorités et les ressources en direction des « interventions sanitaires et sociales éprouvées » et d’assurer un accès équitable aux médicaments essentiels, en particulier les analgésiques à base d’opiacés. Elle demande de « cesser de criminaliser l’usage et la possession de drogues, et de “traiter” de force des personnes dont la seule infraction est l’usage ou la possession de drogues », comme cela a pu être le cas en Asie et dans l’est de l’Europe.

Elle défend les options autres que « l’incarcération pour les acteurs non violents du bas de l’échelle, tels les fermiers et les passeurs, entre autres personnes engagées dans la production, le transport et la vente de substances illégales ». S’y ajoute la proposition de « viser en priorité une réduction du pouvoir des organisations criminelles, de la violence et de l’insécurité engendrées par la concurrence entre elles ainsi qu’avec l’Etat ».

Il ne s’agit pas de libéraliser totalement le marché des drogues mais de le réguler. La commission suggère des « essais dans des marchés légalement réglementés de drogues actuellement interdites, en commençant, sans s’y limiter, par le cannabis, la feuille de coca et certaines nouvelles substances psychoactives (drogues de synthèse) ».

Paul Benkimoun


P.-S.

Complément

Décriminaliser d’urgence le rapport à la drogue

par Jean-Pierre Rosenczveig, le 14 septembre 2014


Un rapport a été rendu public le mardi 9 septembre à New York par la Commission globale sur la politique des drogues qui rassemble notamment Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies, les ex-présidents du Brésil, du Chili, de la Colombie, du Mexique, de la Pologne, du Portugal et de Suisse. Pas moins.

Las ! Ce travail majeur n’a suscité quasiment aucun écho dans notre pays nombriliste plus préoccupé de découvrir l’intimité des présidents de la République que de se colleter aux problématiques politiques et sociales du pays. Mis à part l’article de Paul Benkimum dans Le Monde du 10 septembre et la réaction de Dany Cohn-Bendit sur Europe 1 ce travail révolutionnaire aura produit un encéphalogramme plat de la classe politico-médiatique française.

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Notes

[2L’article complet : http://www.mediapart.fr/journal/fra... (réservé aux abonnés).


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